Quand, en un instant (20h30, hier), la nature et l’art soudainement se confondent, on tente, poussé par je ne sais quel instinct, de s’en saisir, en pensée, d’abord, puis, dans la circonstance, par l’usage imparfait d’un appareil photo. C’est alors, et dans le même mouvement, que me sont venues à l’esprit une succession de toiles de Piet Moget, vues, de son vivant, dans son hameau du Lac, près de Sigean, qu’à tort, disais-je un jour à l’ami Olivier Bot, on qualifiait dans certains milieux « d’abstraites ». Ce que je contestais ! Je prétendais au contraire que Piet était un grand peintre « figuratif ». On pourra certes me rétorquer que le cadrage de cette photo est un choix qui transforme ce moment « naturel » en un objet abstrait du réel, une image, mais il n’empêche… Reste toutefois cette question : si je ne connaissais pas l’œuvre de Piet Moget, aurais-je pu jouir aussi intensément de cet instant ? Mais n’est-ce pas le propre de l’art que de transfigurer le réel, de le sublimer et parfois de le comprendre d’une manière inédite et inattendue.
Ce matin, j’ai commencé ma randonnée matinale par le tour de l’étang des Ayguades pour ensuite filer droit le long des plages jusqu’à Saint Pierre la mer. Je l’ai commencé aussi avec cette première image d’un homme grattant à mains nues le fond de ce plan d’eau calme et plat. Image qui m’a au sens propre du mot saisi. La veille au soir en effet je m’étais arrêté sur un texte de Flaubert qui semblait l’anticiper. Il est vrai que la vie est souvent faite de ces hasards, songeais-je. Hasards heureux qui confondent souvenirs de lecture et scènes du quotidien. Et hasards tellement ambigus d’ailleurs, qu’on ne sait plus très bien qui, du texte conservé en mémoire ou de l’image apparue plus tard dans le cours de la vie, anticipe ou précède son apparition – dans l’ordre de la pensée en tout cas. Ainsi, pour en revenir à ma petite histoire, Gustave Flaubert, que je lisais hier soir, n’écrivait-il pas à Louise Colet, le 7 octobre 1846 : « Moi je suis l’obscur patient pêcheur de perles qui plonge dans les bas-fonds et qui revient les mains vides et la face bleuie. Une attraction fatale m’attire dans les abîmes de la pensée, au fond de ces gouffres intérieurs qui ne tarissent jamais pour les forts. Je passerai ma vie à regarder l’Océan de l’Art où les autres naviguent ou combattent, et je m’amuserai parfois à aller chercher au fond de l’eau des coquilles vertes ou jaunes dont personne ne voudra; aussi je les garderai pour moi seul et j’en tapisserai ma cabane. » Mon pêcheur n’était pas de perles, certes, mais je venais de quitter ma cabane quand je l’ai vu plonger ses mains dans les bas-fonds d’un étang. C’était un mercredi matin d’octobre. En 1846 !…
Hier après-midi, j’ai procédé au nettoyage de printemps autour de ma « cabane » : ai ratissé le gravier, planté de jeunes géraniums, taillé les branches des lauriers abimées par le vent, constaté l’apparition d’abondants bourgeons sur le mûrier platane, vérifié la bonne santé de l’ipomée, effacé les images, les commentaires, les mots et phrases entendus et lus, ici ou là, les livres aussi ; ai pris le chemin qui mène à la plage, me suis adossé à un rocher, ai regardé la mer, respiré l’air du large, écouté le bruit des vagues…
7 heures 08 ! Admirer ce superbe lever de soleil, tourner le dos à la mer et m’élancer en direction de la Vigie de la Clape ; prendre un peu de hauteur de vue et goûter pour le moment cet air marin qui vient de se lever ; suivre le vol d’une petite troupe de canards sauvages ; aimer ce léger voile de brume qui couvre en partie le massif du même nom – en adoucit les formes sévères. Et oublier tout le reste : ne serait-ce que deux, trois heures durant. Dans la matinée, à coup sûr, le vent va changer de direction : il tournera au Nord Ouest et soufflera en rafales – Il fera très chaud. J’habite un pays en effet où il tourne sans cesse, épuise le catalogue de ses nombreuses identités, où il prend à contre-nez ceux qui n’y prennent garde et les gens de passage. Ce pays est un pays au climat rude, loin des images de cartes météo ou de cartes postales sur papiers glacés vendues par nos promoteurs touristiques et les industriels du loisir programmé. De cette rudesse on peut en voir les marques sur les arbres et les rochers du paysage que je parcours en ce moment ; sur certains visages aussi, de plus en plus rares, toutefois, qu’on peut entrevoir, parfois, au coin d’une rue, sur la place d’un village. Des visages pittoresques diront d’autres : l’ignorance et la bêtise confondues.
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