Un calendrier élégiaque : Mars, de Jacques Réda.

Narbonne : Rive gauche de la Robine. Le 1.3.2025.

Lu 3.3.2024

MARS

Comment et d’ou venu, c’est difficile à dire.

Au bout de tous ces jours trop doux pour un hiver,

Il y eut un suspens et l’on aurait pu croire

Qu’un seul jour à jamais rampant nous enfermait

Chaque matin dans une saison inconnue,

Couleur d’étain, inerte, antérieure au temps

Ou d’après tous les temps.

Et nous autres, futiles,

D’un rien distraits, d’un rien contents, la fin des temps

Nous avait échappé.

L’infini sans issue

S’étendait devant nous, nivelé par le gris,

Buvait nos yeux, lavait nos fronts comme des lunes

Reflétant un soleil fourbu qui s’éloignait.

Mais d’où venu, comment, presque insensible encore,

D’un seul oiseau peureux qui picore sans bruit

Peut-être deviné, le printemps en sourdine

Cheminait, et parfois une empreinte semblait,

Rose au faîte d’un mur, fumée au fond des rues,

Avertir, fugitive : il passe, il est passé.

Comme un reflet aussi, la simple rémanence

De lumières bientôt éteintes.Maintenant,

Attendre, espérer, non, ça n’était plus possible :

On allait rester là dans un seul jour sans nom.

C’est alors qu’on sentit cette chaleur étrange

S’établir avec le brouillard autour de l’air

Encore un peu plus froid qui consume les arbres

En cortège le long des talus scintillants.

Deja venait sur nous, dans l’odeur de la neige,

Des jardins remués, ce souffle qui n’est pas

Que le retour prescrit du vent, mais la nouvelle

Pâque, le premier bond de l’esprit sur les eaux.

Jacques Réda : Un calendrier élégiaque. Fata Morgana. 1990

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