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Le citoyen Regimbart!

GustaveFlaubert

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FLAUBERT, L’Éducation sentimentale

 

« Tous les jours, Regimbart s’asseyait au coin du feu, dans son fauteuil, s’emparait du National (1), ne le quittait plus, et exprimait sa pensée par des exclamations ou de simples haussements d’épaules. De temps à autre, il s’essuyait le front avec son mouchoir de poche roulé en boudin, et qu’il portait sur sa poitrine, entre deux boutons de sa redingote verte. Il avait un pantalon à plis, des souliers-bottes, une cravate longue ; et son chapeau à bords retroussés le faisait reconnaître, de loin, dans les foules.

A huit heures du matin, il descendait des hauteurs de Montmartre, pour prendre le vin blanc dans la rue Notre-Dame-des-Victoires. Son déjeuner, que suivaient plusieurs parties de billard, le conduisait jusqu’à trois heures. Il se dirigeait alors vers le passage des Panoramas, pour prendre l’absinthe. Après la séance chez Arnoux, il entrait à l’estaminet Bordelais, pour prendre le vermouth ; puis, au lieu de rejoindre sa femme, souvent il préférait dîner seul, dans un petit café de la place Gaillon, où il voulait qu’on lui servît  » des plats de ménage, des choses naturelles  » ! Enfin, il se transportait dans un autre billard, et y restait jusqu’à minuit, jusqu’à une heure du matin, jusqu’au moment où, le gaz éteint et les volets fermés, le maître de l’établissement, exténué, le suppliait de sortir. Et ce n’était pas l’amour des boissons qui attirait dans ces endroits le citoyen Regimbart, mais l’habitude ancienne d’y causer politique ; avec l’âge, sa verve était tombée, il n’avait plus qu’une morosité silencieuse. On aurait dit, à voir le sérieux de son visage, qu’il roulait le monde dans sa tête. Rien n’en sortait ; et personne, même de ses amis, ne lui connaissait d’occupations, bien qu’il se donnât pour tenir un cabinet d’affaires. » (1) Journal républicain d’Armand Carrel, fondé en 1830, et qui joua un grand rôle dans les événements qui préparèrent la révolution de 1848.

 

Une rencontre improbable.

   

 

 

 

C’était à quelques mètres de la clinique d’où je venais que je fis sa rencontre. Elle était appuyée sur le mur gris et sale de ce qui reste encore d’un ancien cinéma. Petite, épuisée et tordue par des douleurs dont j’appris par la suite qu’elles lui irradiaient sa jambe droite, elle soufflait. Et c’est ma main dans la sienne que je l’ai accompagné vers le lieu qu’elle cherchait et que je venais de quitter. Elle avait peur, me disait-elle, de ce point noir réapparu sur son nez qui lui avait été enlevé par un docteur dont elle avait oublié le nom. Le sien, Garcia Virginia me fut adressé, comme le reste de nos échanges, dans la langue de mon grand père paternel, un mélange d’espagnol et de français. Seule, usée, elle avait traversé toute la ville à petit pas de souris. Pas de téléphone chez elle, ni personne pour lui prendre un rendez vous. Virginia a 93 ans. Il nous a fallu plus d’une heure pour rejoindre son domicile, main dans la main toujours. Couple improbable et anachronique. Demain, j’irais la voir et nous conviendront d’un jour et d’une heure pour nous rendre chez son médecin sans nom qui désormais officie à l’extérieur de la ville. Virginia a 93 ans, et un si beau sourire

Une couillonnade corrézienne.

C’était, c’était quand au fait ? Hier, aujourd’hui, il y a un siècle ? Faisons un petit effort de mémoire pour sortir du « format » du jour que les médias nous assènent et que commentent en boucle humoristes, éditorialistes, journalistes, philosophes, psychanalystes, gérontologues et politiciens de droite et de gauche. Vous savez, cette phrase de Jacques Chirac : « Je voterai François Hollande ». Une couillonnade venue du fin fond de la Corrèze et présentée comme un évènement historique par les marchands d’audiences à travers leurs canaux d’abrutissement généralisé. C’était quand, au fait, me disais-je, avant cette nouvelle et dernière « fabrication » de l’actu, comme ils disent, le tsunami qui a ravagé le Japon et détruit des villes entières, la guerre civile en Côte d’Ivoire, les révolutions de Jasmin, la chute de DSK, la bactérie tueuse ?  Et j’en oublie certainement, victime comme tant d’autres de cette peste médiatique qui tue le temps et nous plonge dans une espèce de néant historique où le présent est du passé avant même d’advenir. Quand il n’est pas transmué en une grotesque farce comme avec cette nouille chiraquienne reléguant les tueries d’un chef d’Etat syrien dans la rubrique des faits divers…

Le cornichon serait-il cancérigène?

 

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Le 31 mai, l’Organisation mondiale de la santé a intégré les téléphones portables à sa liste de produits «potentiellement cancérogènes». Ils figurent désormais dans la même catégorie que le très controversé DDT, les gaz d’échappement et les pickles, ces petits légumes macérés dans du vinaigre (cornichons, carottes, chou-fleur, etc.). Au train où vont les recherches épidémiologiques ont peu se demander si notre santé physique et mentale ne dépend plus désormais que de notre capacité à revenir aux bonnes vieilles pratiques en usage aux siècles passés : correspondance épistolaire à la plume d’oie, déplacements à cheval nourris aux herbes ou à pieds protégés par des sabots en bois. Quant aux cornichons, cet étrangleur de potager, aux tiges qui rampent et vrillent et qui pullulent aussi dans nos cités, sur nos ondes et dans ces étranges bocaux que sont nos envahissantes lucarnes, leur cancérosivité évidente peut-être facilement évitée sans retourner au Moyen Age. Il suffit de les cuire. De les bien cuire ! À feux doux cependant…

 

Offenses au café.

Il ne fait pas très chaud. L’air est chargé d’humidité, mais le soleil est là pour deux ou trois heures au moins. Assis à la terrasse d’un café place de l’hôtel de ville, je lis un entretien accordé par Jacqueline Kelen au journal la Croix. En exergue cette phrase : « L’obsession thérapeutique risque de nous faire passer à côté du spirituel ». Un bruit de chaises m’en détourne. Deux femmes s’installent. L’une : « Je viens des urgences, ma fille déprime complètement…j’ai viré mon copain : pas gentil, méchant même… ». L’autre : « ma mère est morte…mon fils m’a envoyé paître…et ma belle fille, celle là… ». Arrive un petit monsieur. Bisous, bisous : « Je n’ai pas le moral moi aussi, mon ami est mort, j’ai payé les obsèques et sa sœur a pris tout le mobilier et la télé. Un grand écran… ». Les deux : « Un grand écran, non ? » Abattu, je replonge dans mon journal et lis : « Au psychanalyste on raconte les offenses subies ; au prêtre on dit les offenses commises. » Peut-être ! Mais cet après midi, il suffisait d’une table, trois chaises, trois cafés et d’une présence indiscrète… mais attentive pour qu’elles soient crûment exposées.