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Maillac est en guerre, et son maire aussi.

 

 

 

 

Nous ne sommes pas en Seine Saint Denis. Ici, pas de grappes urbaines truffées de ghettos sociaux. Seules des vignes entourent ce petit coin paisible des Corbières. Quand vient  l’heure de l’apéro, des retraités, blasés, lancent paresseusement leurs boules de pétanque vers un équivoque bouchon. Quelques chats, les yeux mi-clos, méfiants, les observent de loin, ronronnant d’aise à  l’ombre de vieux murs de pierres. Et de petites dames en noir, courbées , s’en vont rejoindre la nostalgique compagnie des résidents du cimetière voisin. C’est dans ce petit village du Narbonnais, Maillac, que son maire vient d’interdire « à tout jeune de moins de 17 ans de se promener sans ses parents après 22 heures ». Un couvre feu qui les condamne à  un enfermement total, le soleil de plomb de la journée brûlant tout désir d’escapade. « C’est facho ! » s’étrangle son ex-première adjointe. « Il n’y pas plus à gauche que moi » s’époumone  Schivardi, son ex-premier magistrat et candidat permanent à la présidentielle d’une extrême gauche groupusculaire. Comme ses voisins de Carcassonne et Narbonne, qui le sont moins, à gauche, et qui, dès leurs élections, ont installé des caméras de surveillance dans leurs villes…Selon que vous serez de droite ou de gauche…

 

On tape le premier mot dans l’espoir que les autres suivront.

 

 

 

 

 

 

On tape le premier mot dans l’espoir que les autres suivront. Comme s’ils allaient de soi. Je veux dire comme s’ils collaient à une pensée qui , dans le moment présent, ne sait malheureusement pas où se poser, je l’avoue. Ou si, par la grâce de signes successifs inconsciemment choisis, quelque singulière idée en sortirait. Toujours la même rengaine philosophique : du langage ou de la pensée qui mène le bal ? On connaît l’expression : «  les mots ont dépassé ma pensée », sa sœur jumelle toute à l’opposé aussi : « les mots m’échappent pour l’exprimer… ». Eternel dilemme de la poule et de l’œuf ! Et désespoir constant pour celui qui ne cesse d’en creuser le mystère, me disais-je , tout en pensant qu’à cette alternative la « parole médiatique » si plate et si bête en détruisait le sens. Là, point de tourment en effet ! A de viles et molles pensées répondent de pauvres et vilains mots. Et réciproquement ! Sans épaisseurs aucune, nus et vulgaires dans le rire et la pitié, la peur et l’espoir, la haine et l’amour… Un néant de sens aux milles et noires lumières dans lesquelles se perdent nos consciences aliénées. Et un prétexte, j’en conviens, à cette petite vanité de vouloir jouer des mots et des sens pour meubler les blancs de cette page…

Ils amusent leurs talents à des choses puériles.

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MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes (1721) : Lettre XXXVI

Mes lectures, cette lettre: « Usbek à Rhédi, à Venise. »

Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques-unes de ces maisons, on dit des nouvelles ; dans d’autres, on joue aux échecs. Il y en a une où l’on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que lorsqu’il y est entré. Mais ce qui me choque de ces beaux esprits, c’est qu’ils ne se rendent pas utiles à leur patrie, et qu’ils amusent leurs talents à des choses puériles. Par exemple, lorsque j’arrivai à Paris, je les trouvai échauffés sur une dispute la plus mince qu’il se puisse imaginer : il s’agissait de la réputation d’un vieux poète grec dont, depuis deux mille ans, on ignore la patrie, aussi bien que le temps de sa mort. Les deux partis avouaient que c’était un poète excellent ; il n’était question que du plus ou du moins de mérite qu’il fallait lui attribuer. Chacun en voulait donner le taux ; mais, parmi ces distributeurs de réputation, les uns faisaient meilleur poids que les autres. Voilà la querelle ! Elle était bien vive : car on se disait cordialement, de part et d’autre, des injures si grossières, on faisait des plaisanteries si amères, que je n’admirais pas moins la manière de disputer, que le sujet de la dispute. « Si quelqu’un, disais-je en moi-même, était assez étourdi pour aller devant un de ces défenseurs du poète grec attaquer la réputation de quelque honnête citoyen, il ne serait pas mal relevé, et je crois que ce zèle, si délicat sur la réputation des morts, s’embraserait bien pour défendre celle des vivants ! Mais, quoi qu’il en soit, ajoutais-je, Dieu me garde de m’attirer jamais l’inimitié des censeurs de ce poète, que le séjour de deux mille ans dans le tombeau n’a pu garantir d’une haine si implacable ! Ils frappent à présent des coups en l’air. Mais que serait-ce si leur fureur était animée par la présence d’un ennemi? »….

Manière d’être, façon de lire?

 

 

 

 

Il était assis à ma gauche. Avachi plutôt, dans ce fauteuil de la terrasse du « Petit Moka ». A l’ombre, et agréablement rafraîchit par un léger vent, j’y lisais mon journal du jour. L’esprit et le regard cependant attentifs au spectacle de « la rue ». C’est la sonnerie de son portable qui m’a sorti de cette bienheureuse bulle méditative dans laquelle tourbillonnaient humeurs du jour et jugements esthétiques. Sa voix grasse et sonore succédant à la stridence syncopée de sa « prothèse technologique ». Ouais ! Ouaaaiiiis ! Quoâ ! Ouâhh ! De passage à Narbonne disait-il en substance tout en fourrageant nerveusement du petit doigt des narines aussi larges que ses mocassins fatigués et couverts de salissures sur lesquels bouchonnaient des chaussettes informes et décolorées. Du reste, je n’en dirais rien sinon qu’il finit par poser ses deux mains entre ses grosses cuisses, le regard sombre et lointain. Plongé dans quels fantasmes ? Je m’obligeais à n’y point penser pour m’en retourner à cette conversation entendue ce matin sur les ondes de France Culture. Olivier Rolin, Alain Finkielkraut et Marielle Macé y développaient courtoisement de tout ce que la lecture leur apportait de connaissances et de bonheurs. Le dernier livre de Marielle Macé ? « Façons de lire, manière d’être. » Si j’en avais eu le courage, j’aurais demandé à mon voisin de bistrot le titre de son dernier livre lu…