Je ne lis, ne regarde, ni n’écoute plus rien (presque) qui ait à voir de près ou de loin avec la campagne en cours des législatives. Le temps passe trop vite et j’ai passé l’âge des « idoles » du « bonheur terrestre garanti ». L’enflure rhétorique et gestuelle, l’agressivité de ton et de mots et l’arrogante bonne conscience de leurs prophètes, en effet, m’exaspèrent. Pour tout dire, je ne souhaite rien d’autre, sur un plan politique en tout cas, qu’un relatif statu quo. Ce n’est pas « flippant », je sais ! Mais n’étant ni désespéré ni maladivement pessimiste, ce qui me reste de lucidité me commande d’aimer plus encore la vie : la mienne et celle de ceux que j’aime. De m’asseoir le matin à la terrasse d’un café, de jouir de son ombre et d’y boire un café. De « bader », dirait ma mère. Sans attendre des jours meilleurs.
Illustration : lunette de soleil « Avenir radieux »
J’ai le souvenir, toujours vivace, d’avoir vu et entendu Mady Mesplé papoter, après son récital, dans un salon privé jouxtant la salle des Synodes, et l’avoir alors trouvé fatiguée, vieillie, et pour tout dire quelconque. Quelques minutes avant, placé à bonne distance, j’avais pourtant été ébloui par sa prestance, sa légèreté et sa beauté tandis qu’elle chantait, m’émerveillait. Une déesse drapée dans une longue robe ivoire était là, devant moi !
Hier en fin d’après midi, un petit « crochet » sur mon parcours habituel, et me voilà devant cette entrée de garage ou de parc rongée par le temps, soumise à la nature. Fascinant îlot oublié par l’histoire dans une rue pourtant animée… Si d’aventure j’obéissais à mon désir d’y aller voir, que trouverais-je derrière ces deux grands panneaux de bois, me disais-je ? Les ruines d’une ancienne maison sur lesquelles prolifèrent arbres, buissons et « mauvaises » herbes ? Le cadavre d’une très vieille automobile où nichent et grouillent toutes sortes de vies animales ? À ces questions, les deux messages de n’y jamais stationner devant m’interdisaient d’en franchir les limites. Un médecin, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, pouvait, en effet, en sortir. Que j’imaginais vêtu d’une longue tunique noire, une faux à la main. Il était 19 heures. Je ne voulais pas tenter le diable. Aussi, ai-je continué mon chemin…
Notes : Paul-Louis Courier, né le à Paris et mort assassiné le près de Véretz, est un écrivain français, excellent traducteur, est également un habile épistolier. Mais il est surtout connu comme polémiste, un polémiste qui eut le tort d’être libéral et anticlérical à l’époque du romantisme et du christianisme renaissants. Une citation, au hasard : « On écrit aujourd’hui assez ordinairement sur les choses qu’on entend le moins. Il n’y a si petit écolier qui ne s’érige en docteur. A voir ce qui s’imprime tous les jours, on dirait que chacun se croit obligé de faire preuve d’ignorance. »
Dehors, ciel gris et vent. Café. Trois grandes tasses. L’esprit s’éveille. Mots à mots. Je pense à cette notation de Frédéric Schiffter lue hier soir. Sur la Sagesse. Une remarque de Montaigne.
Pourquoi ? Et pourquoi ce matin. Je n’en sais rien. Une feinte. En vérité, je sais.
J’attends un peu, rêveur, devant la fenêtre du salon. Rues désertes. Silence dans la ville. Puis m’installe devant mon bureau.
J’ouvre le livre III des Essais, sur ma Kindle, tape « sagesse » sur recherche et retiens le texte du Chapitre 5 : Sur des vers de Virgile »
Je lis :
« J’avais besoin dans ma jeunesse de me contraindre et de me solliciter pour me tenir en réflexion, l’allégresse et la santé ne conviennent pas si bien, dit-on, avec ces pensées sérieuses et sages. Je suis à présent dans un autre état, les conditions de la vieillesse ne me donnent que trop d’avertissements, elles m’assagissent et me sermonnent.[…]
Je me défends contre la tempérance comme je l’ai fait autrefois contre la volupté. Elle me tire trop en arrière, et jusqu’à la stupidité. Or je veux être maître de moi, toujours. La sagesse a ses excès, et n’a pas moins besoin de modération que la folie. Ainsi, de peur que je ne sèche, ne me tarisse et n’abuse de prudence, dans les intervalles où mes maux me laissent tranquille, je détourne tout doucement, et dérobe ma vue de ce ciel orageux et obscur que j’ai devant moi.
[…] Dieu merci, je considère cela sans effroi, mais non pas sans effort et sans étude, et je vais en m’amusant au souvenir de ma jeunesse passée. »
Montaigne fait du bien ! Il libère, rend plus léger. Il est temps à présent de me mettre en mouvement… La journée commence à peine !
Il devait être environ 10 heures. J’aperçois trois amis assis à la terrasse d’un café. Je m’approche pour les saluer. L’un d’entre eux se lance sur la composition du nouveau gouvernement. Ce qu’il retient est la nomination de Pap Ndiaye à la tête de l’éducation nationale. « Une provocation ! ». Mais pourquoi donc ? « C’est un indigéniste ! » Ah bon ! Tu l’as lu ? « Non, mais dans le Figaro… »
Dimanche soir.
Je fais un petit tour sur les réseaux sociaux. La nomination de Pap Ndiaye focalise encore les débats. À l’extrême droite et à la droite de la droite : « C’est terrifiant ! ». À l’extrême gauche, déchaînement de haine chez « Les Indigènes de la République » : « Blanc à peau noire », « Noir de maison », essayiste « qui tire à blanc ». Et chez cette « figure » d’une certaine gauche laïque et républicaine : « un adepte de la culpabilité blanche éternelle », « un triomphe du wokisme », « un homme acquis à l’indigénisme »…
Lundi matin.
Ça va passer, mais écrivant ces quelques lignes, je constate que je suis encore un peu mal dans ma peau (peu est en trop !). Un reste de honte ! Et je me dis que s’il n’y avait qu’une raison de soutenir et d’aimer ce nouveau ministre de 56 ans, l’hostilité, la fureur et la haine dont il est l’objet serait suffisante.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]