Transfuge !

Transfuge !

Serge Griggio m’a offert le dernier livre de Gilles Moraton : « Transfuge » (Maurice Nadeau, 2025) .

Il savait qu’il me toucherait. Nos origines identiques : prolos du sud, familles espagnoles trempées de communisme, ascension rude vers les livres. Narbonnais aussi. Mais plus jeune : 66 ans.

Moments de vie : N’oubliez pas !

J’aime ce nom. Rue du Bois Roland. Il sonne juste.

Je la prends souvent. Pour marcher. Pour respirer.

Des maisons basses. Des murs pâles. Des jardins serrés contre la rue.

Devant l’une, les belles de nuit débordent. Fleurs, graines.

Petites perles noires tombées sur le trottoir.

J’en ramasse. J’en sèmerai autour de ma cabane.

« Pardon Monsieur ! »

Voix claire. Une femme âgée dans un fauteuil roulant. Un homme la pousse.

Le bras droit immobile. Les yeux, vivants.

Elle me sourit. On s’excuse ensemble.

Plus loin, une maison bleue.

Le portail, les persiennes, les fleurs. Tout bleu.

Je touche les branches. Fines. Fraîches.

« Pardon Monsieur ! »

Encore elle. Même sourire.

— Je cherchais des graines.

— Il n’en fait pas, dit-elle. Mais je peux vous faire des boutures.

Un pot. Oui.

Elle ouvre son portail.

— N’oubliez pas.

Je promets. Le vent se lève.

Les fleurs bougent. Le bleu tremble un peu.

Et je me dis qu’il suffit d’un geste offert

pour que la vie reparte.

Les mots qu’on salit : déportation.

Les mots qu’on salit. : déportation.

Je porte les deux prénoms de mon grand-père maternel : Michel, Joseph.
Je l’aimais beaucoup. Il est mort trop tôt. J’avais neuf ans.
Longtemps, je n’ai rien su de son arrestation, en 1944, ni de sa déportation à Buchenwald. Ces choses-là, on les taisait. Pour protéger les enfants, disait-on. Je crois comprendre pourquoi, maintenant.

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