Matisse, pour les yeux, et pour le coeur.

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Revenant de Nice et de Vence, ce texte écrit par mon ami blogueur Pierre-Henry Thoreux s’imposait!

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Deux choses définissent à mes yeux l’art de Henri Matisse (1869-1954): la couleur et les formes.

En peinture, c’est bien là l’essentiel. C’est même, pourrait-on dire, la quintessence de l’expression picturale.

De là sans doute ce pouvoir étrange d’attraction qu’ont ces paysages, ces portraits et ces natures mortes, en apparence si simples et pourtant si difficiles à imiter ou à égaler. En dépit de leur désarmant dépouillement, on a le sentiment qu’on n’avait rien vu de tel avant, et qu’après, il n’y a plus rien à ajouter…

D’emblée l’artiste manifesta une audace et une force sauvages. Révélées en premier lieu dans l’effervescence du courant fauviste, elles évoluèrent au gré de puissantes compositions dans lesquelles le jaillissement des couleurs semble écraser les canons classiques du dessin, abolissant notamment la profondeur de champ et la gravité.

Pour aboutir aux silhouettes monochromes, aux épures délicatement contrastées, produites durant les dernières années de sa vie, l’artiste parcourut un long chemin. Mais le fait est que Matisse qui vécut 85 ans, fut un créateur inspiré jusqu’au bout. Et d’une étonnante fraîcheur. D’une vitalité inépuisable.

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Il suffit pour s’en convaincre, de s’arrêter devant une de ses dernières œuvres : La Tristesse Du Roi. Quelle merveilleuse simplicité ! Quelle grâce, quelle élégance et paradoxalement, quelle magnifique joie dans l’affliction !

Dans ce qui est qualifié d’autoportrait, l’artiste, réduit à l’état de symbole, n’est plus qu’une ombre obscure, une sorte de trou noir central d’où s’échappent des mains blanches et une guitare. Autour, vibrionnent des taches de couleurs avec légèreté et apparente insouciance. Une silhouette probablement féminine semble saluer celui qui s’engloutit dans la nuit. Tandis que de l’autre côté, une forme galbée paraît danser avec des bras s’élevant vers les cieux comme des oiseaux. Le tout baigne dans une ambiance peuplée d’étoiles et de fleurs.

 

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A ce doux adieu à la vie, à cette entrée sereine dans l’au delà, les vitraux de la Chapelle du Rosaire de Vence donnent un écho mystique. Les arabesques bleues découpent la lumière en douces flaques, qui créent une atmosphère mêlant une intense modernité à un ineffable mysticisme.

 

 

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Le vrai mystère est qu’avec un art aussi humble, aussi simple, Matisse parle autant aux yeux qu’au cœur. Dans chaque tableau il y a quelque chose qui vous interpelle. Un mur se confond avec le ciel, dans leur bocal, des poissons rouges semblent jouir d’une étrange liberté, dans un arrière plan, un jardin sans perspective se dissout en délicieuses volutes végétales, et dans de merveilleux décors, fusionnent doucement les lumières, les odalisques et les moucharabiehs de l’Orient, avec les impulsions lumineuses de l’Occident moderne, inspirées par les trépidations du jazz et même les bariolages publicitaires…

A l’inventivité d’un Picasso, à l’intense symbolique d’un Braque, Matisse ajoute une incandescence spirituelle qui vibre même dans les plus schématiques découpages.

Comme pour mieux extraire la quintessence de ses sujets, il revenait souvent sur des thèmes déjà travaillés, pour les traiter différemment, pour en apurer les contours ou bien en styliser toujours plus les formes.

Le Musée Beaubourg ( texte rédigé le 16 mars 2012 ) lui consacre une intéressante exposition, explorant la manière récurrente qu’avait l’artiste d’exprimer ses points de vues picturaux. Intitulée Paires et Séries, elle rapproche de manière saisissante des tableaux réalisés parfois à plusieurs années d’écart, mais centrés sur des motifs communs. Une entreprise fascinante qui tente de percer le mystère de la genèse artistique. Et un envoûtement garanti autour de ce thème et variations…

 

 

Le grand bleu à Narbonne!

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Les F.R.A.C ont été créés par Jack Lang pour soutenir le  » marché de l’art contemporain  » . J’ai vu naître celui de la Région Languedoc-Roussillon. Quelques achats de toiles  et  installations à des artistes déjà passablement reconnus ( on se demande encore pourquoi un Pierre Soulages, qui l’était déjà grandement, figure dans ce catalogue! ) puis très rapidement du grand n’importe quoi. Un immense bazar où s’expose, comme le dit si bien Olivier Cena,   » le blanc souci du rien «  . Aujourd’hui, le problème posé est celui du stockage de ces 1200  oeuvres ! réalisées par 425  artistes !!! Des millions d’Euros d’impôts stérilisés. A multiplier par 22 régions! Une gabegie  » progressiste  » que seule la France s’offre encore . A Narbonne, cet été, pour faire moderne  et soulager la bonne conscience de nos élus soucieux de  culture , on a sorti quelques  » machins « ,  présentés par un nommé Latreille – ça ne s’invente pas! – dans un pathos à la mode vide de sens, sur le thème: du grand bleu. Un gros bluff et un grand  » Plouff! « . En témoigne le livre d’or, si on peut dire, où des visiteurs en colère ont consignés leur exaspération devant tant d’arrogance et de coupable légèreté quant à l’usage fait de leurs impôts. Comme cette dame, le nez collé au mur, j’ai pourtant, et désespérément, cherché le sens de cet invraisemblable déballage. Pour n’y  trouver que le signe de l’ omniprésente bêtise de nos commissaires politiques de la culture et le triomphe d’un relativisme esthétique qui marque la fin de l’art tout court…  

Refuser la pénombre de la Caverne.

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Après les réflexions d’après Banquet du Livre 2012 de Jacques Raynal, je ne pouvais pas ne pas rappeler ici la figure de Gérard Bobillier, fondateur des éditions Verdier et du Banquet de Lagrasse, décédé en octobre 2009. Je ne le peux d’autant moins que, ce dimanche matin, Victor Malka recevait sur France Culture, dans sa Maison d’Etudes, René Lévy , directeur, chez Verdier, de la collection: les 10 Paroles. C’est de Maimonide et de la réédition du Guide des Egarés dont il fut question. Magnifique conversation, au sens philosophique du terme, et claire introduction à la pensée de ce grand penseur juif marqué par Aristote. Il est des hasards nécessaires!…

Je ne connaissais de Gérard Bobillier que son itinéraire politico- philosophique qui le fit passer du maoïsme militant à l’édition du Zohar, mais ma bibliothèque est cependant pleine de ses livres. Quand Gil Jouanard et Anne Potié, des amis chers, dirigeaient le Centre Régional des Lettres de Montpellier, je me rendais en effet régulièrement dans leurs locaux pour me plonger dans les cartons remplis des nouvelles éditions que leur adressait fidèlement Gérard Bobillier.J’y passais des heures à feuilleter et  lire, seul, dans cette grande pièce à l’odeur prégnante de papier des auteurs découverts en ces occasions comme Bergougnioux, Michon, Delibes, Llamazares; et Erri de Luca , à présent édité chez Gallimard, que je ne quitte plus depuis. Cet écrivain désormais reconnu, après des années de prison, s’était fait maçon pour gagner sa vie. Un maçon qui, tout au long de ces années de vie d’ouvrier, et depuis, feuillete « les Saintes Ecritures et leur hébreu ancien une heure avant de partir au travail. » (Première heure. Rivages poche page 7) «  en homme qui ne croit pas », sans être pour autant athée… Une plongée dans cet univers textuel pour y constater que le métier de maçon est un titre honorifique, comme le prouve le prophète Isaïe lorsqu’il écrit à propos d’un homme juste : « Et je t’appellerai maçon de brèche, celui qui répare les chemins pour vivre. (Is 58,2) » (Page 18). Gérard Bobillier était lui aussi du métier, si je puis dire. Il lui en a fallu à lui aussi du courage et de l’obstination pour construire, au cœur des Corbières, loin des bavardages mondains et médiatiques, une «  Maison » qui «  refusait obstinément – et quoi qu’il lui en coûtât – la pénombre de la Caverne et le jeu des apparences trompeuses… pour s’approcher de la lumière des idées.» N’est ce pas Jacques?

Les mots ne sont jamais que des mots…

 

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Un peu de poésie ce matin: celle de Jaccottet!

 

« Qu’ils disent légèreté ou qu’ils disent douleur, les mots ne sont jamais que des mots. Faciles. »… « Néanmoins, même si les mots n’empêchent pas la mort qui me désarçonne et qui m’interdirait dès maintenant de vivre si j’acceptais sa fascination, j’ai le sentiment confus qu’il faut dépasser cette oppo­sition entre mots et choses, surmonter cette mau­vaise conscience et ce dégoût. Faute de quoi, d’ail­leurs, je lâcherais la plume une bonne fois. Si, tant bien que mal, ici, elle poursuit son travail, c’est conduite, plus que par ma main, par cette intuition d’un sens, ce très faible reste d’espoir. Par exemple, je ne puis m’empêcher d’éprouver que certains mots, dans des circonstances données, semblent plus «vrais» que d’autres, que je ne peux absolument pas en user indifféremment; je m’entête à les cher­cher, bien que je sois incapable de m’expliquer comment il se fait qu’un tel choix soit possible, et paraisse légitime. »

 

Philippe Jaccottet : «  A travers un verger »

 

Infinie bêtise !

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Vent violent, ciel clair et température basse. Il fait froid ! Les visages sont fermés et « fripés ». Un temps à courir chez sa boulangère, pour filer ensuite dans une brasserie. Au chaud ! Y lire son journal, observer son voisin et se laisser envelopper par un fond de paroles brouillées propre au lieu, qu’une odeur de café crème leste d’une délicate pointe de suavité. Chaude et bienheureuse bêtise… Plus tard, France Culture : «  le journal de la philosophie ». François Noudelmann reçoit Claude Coste pour son ouvrage « Bêtise de Barthes » paru chez Klincksieck, 2011. Son hypothèse : la bêtise et le stéréotype sont liés. Comme chez Flaubert ( son dictionnaire des idées  reçues ). Et personne n’y échappe. Barthes comme nous tous. Le Moi, suprême bêtise, est une illusion, et seule la littérature, l’écriture : la fragmentée, peut nous permettre d’en sortir. Peut-être ! Exemple de bêtise : celle du politique. Du militant, plus précisément, qui ne pense jamais par lui-même. Par nature, si je puis dire…