Question d’identité.
Pierre-Henry Thoreux, dans son blog « Les amoureux de la liberté », revient sur un texte d’Alain d’Alain Finkielkraut que j’ai publié il y a quelques jours: (Etre français par la littérature). Son point de vue est très pertinent. Et je ne pense pas que nous différions beaucoup. En attendant de m’expliquer plus avant, je livre ici son analyse…
« Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l’épineux problème de l’identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d’excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu’il est sous tendu par un texte d’Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d’interpeller.
Pour faire simple, l’idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : « Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. «
A dire vrai, au terme d’une introspection, et malgré tout l’amour que je porte à l’Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.
Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l’histoire, le fondement exclusif de l’identité nationale.
Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?
Je prends à l’inverse, l’exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d’avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu’est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?
Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d’unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d’une vraie personnalité. E pluribus unum…
De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d’être fier de mon pays.
Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu’elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu’elle n’a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu’un égocentrisme trop souvent méprisant ?
S’agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.
De ce point de vue j’ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu’il s’avoue déprimé en évoquant l’aveu d’une personne d’origine polonaise, qui revendique d’être français bien qu’elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette… Qu’y a-t-il de si choquant ?
J’aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l’apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J’adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j’ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j’éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J’admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d’autres formes d’expression artistique, la Peinture ou la Musique…
En définitive, le poids de l’histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d’être français. C’est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D’ailleurs réduite à celle d’un seul pays, la culture expose au chauvinisme.
Le coq gaulois est une forme d’expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l’idée de culture et d’intelligence.
En France je veux être Français, mais en Amérique j’aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol…
A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s’empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que « la culture a la vertu de nous vieillir », mais est-il vraiment opportun de pouvoir « s’émanciper du présent » comme il le recommande, ou « de pouvoir habiter d’autres siècles » comme il en rêve ?
Ce n’est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu’on peut imaginer l’avenir. Encore une fois l’Histoire américaine est édifiante. Sans renier leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants vers le Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.
Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation « sans culture ni histoire ». Ils auraient pu à l’inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.
Car il est à craindre que les nations qui constituent ce conglomérat fatigué n’aient d’autre choix, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l’auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l’identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale… »