Lecture d’Anatole France (2).Une rencontre!

  Une rencontre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toujours dans la lecture d’Anatole France et de son Histoire universelle, page 343 et suivantes, dans ma version papier: extrait ( que l’on peut lire aussi, pages 316 et suivantes dans l’édition numérisée, chez Gallica ) :

 

 « — Monsieur Bergeret, dit l’archiviste, voulez-vous écouter un bon conseil ? Vous êtes républicain ; ne tirez pas sur vos amis. Si nous n’y prenons garde, nous retomberons sous le gouvernement des curés. La réaction fait des progrès effrayants. Les blancs sont toujours les blancs ; les bleus sont toujours les bleus, comme disait Napoléon. Vous êtes un bleu, monsieur Bergeret. Le parti clérical ne vous pardonne pas d’avoir appelé Jeanne d’Arc une mascotte. (Moi-même j’ai grand’peine à vous en excuser, car Jeanne d’Arc et Danton sont mes deux idoles.) Vous êtes libre-penseur. Défendez avec nous la société civile ! Unissons-nous ! La concentration nous donnera seule la force de vaincre. Il y a un intérêt supérieur à combattre le cléricalisme.

— Je vois surtout à cela un intérêt de parti, répondit M. Bergeret. Et, s’il me fallait mettre d’un parti, c’est dans le vôtre forcément que je me rangerais, puisque c’est le seul que je pourrais servir sans trop d’hypocrisie. Mais, par bonheur, je n’en suis pas réduit à cette extrémité, et ne suis nullement tenté de me rogner l’esprit pour entrer dans un compartiment politique. À vrai dire, je demeure indifférent à vos disputes, parce que j’en sens l’inanité. Ce qui vous distingue des cléricaux est assez peu de chose au fond. Ils vous succéderaient au pouvoir que la condition des personnes n’en serait pas changée. Et c’est la condition des personnes qui seule importe dans l’État. Les opinions ne sont que des jeux de mots. Vous n’êtes séparés des cléricaux que par des opinions. Vous n’avez pas une morale à opposer à leur morale, pour cette raison qu’il ne coexiste point en France d’un côté une morale religieuse et de l’autre côté une morale civile. Ceux qui voient les choses de la sorte sont trompés par les apparences. Je vais vous le faire entendre en peu de mots. »

 

Remplacez donc  curés et cléricalisme par droite (s) et libéralisme, et complétez le tout par cette remarque de Milan Kundera dans « Une rencontre » :

 

« Dans notre temps, on a appris à soumettre l’amitié à ce qu’on appelle les convictions. Et même avec la fierté d’une rectitude morale. Il faut en effet une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, nécessairement imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très-bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. Contrairement à la puérile fidélité à une conviction, la fidélité à un ami est une vertu, peut-être la seule, la dernière. »

 

Que rajouter ?

 

 

Lecture d’Anatole France.

Anatole France - Histoire contemporaine. L'Orme du Mail, le Mannequin d'osier, L'Anneau d'améthyste, Monsieur Bergeret à Paris

 

 

 

 

 J’ai déniché, la semaine dernière, chez mon bouquiniste, l’édition du 28.12.1948, chez Calmann-Lévy, en parfait état, d’ «  Histoire contemporaine », d’Anatole France. Depuis, passant outre le jugement commun et celui d’Aragon sur l’auteur de cette tétralogie satirique de la société française sous la Troisième république : «  Exécrable histrion de l’esprit. Je tiens tout admirateur d’Anatole France pour un être dégradé. », je suis, avec délectation, les heurs et malheurs conjugaux et professionnels de M. Bergeret, professeur de lettres anciennes, esprit sceptique et doux. Hier au soir, par exemple, je me suis endormi, le sourire aux lèvres sur les pages 299-303. Extraits :

 

« Le journal, en effet, portait en manchette l’annonce d’un de ces incidents communs dans notre vie parlementaire, depuis le mémorable triomphe des institutions démocratiques. Les Saisons alternées et les Heures enlacées avaient ramené en ce printemps, avec une exactitude astronomique, la période des scandales. Plusieurs députés avaient été poursuivis dans ce mois. Et la feuille déployée par M. Bergeret portait en lettres grasses cette mention : « Un sénateur à Mazas. Arrestation de M. Laprat-Teulet. » Bien que le fait en lui-même n’eût rien d’étrange et révélât seulement le jeu régulier des institutions, M. Bergeret jugea qu’il y aurait peut-être quelque affectation d’insolence à l’afficher ainsi sur un banc du Mail, à l’ombre de ces ormes sous lesquels l’honorable M. Laprat-Teulet avait joui tant de fois des honneurs que les démocraties savent accorder aux meilleurs citoyens. C’est là, sur ce Mail, que dans une tribune de velours grenat, sous des trophées de drapeaux, M. Laprat-Teulet, siégeant à la droite de M. le président de la République, avait, aux grandes fêtes régionales ou nationales, aux inaugurations diverses et solennelles, prononcé ces paroles si propres à exalter les bienfaits du régime, en recommandant toutefois la patience aux masses laborieuses et dévouées. Laprat-Teulet, républicain de la première heure, était depuis vingt-cinq ans le chef puissant et vénéré de l’opportunisme dans le département. Blanchi par l’âge et les travaux parlementaires, il se dressait dans sa ville natale comme un chêne orné de bandelettes tricolores. Il avait enrichi ses amis et ruiné ses ennemis. Il était publiquement honoré.Il était auguste et doux. Il parlait aux petits enfants de sa pauvreté, chaque année, dans les distributions de prix. Et il pouvait se dire pauvre sans se faire de tort, car personne ne le croyait, et l’on ne pouvait douter qu’il ne fût très riche ….Sage, jaloux de ne pas fatiguer la fortune, modéré, ce grand aïeul de la démocratie laborieuse et intelligente avait depuis dix ans, au premier souffle de l’orage, renoncé aux grandes affaires ; il avait quitté même le Palais-Bourbon et s’était retiré au Luxembourg, dans ce grand conseil des communes de France où l’on appréciait sa sagesse et son dévouement à la République. Il y était puissant et caché. Il ne parlait qu’au sein des commissions. … Ni l’honorable M. Laprat-Teulet, ni son juge d’instruction, ni son avocat, ni M. le procureur de la République, ni M. le garde des sceaux lui-même n’avait prévu, n’avait compris la cause de ces déclenchements subits et partiels de la machine gouvernementale, ces catastrophes burlesques comme un écroulement d’estrade foraine et terribles comme un effet de ce que l’orateur appelait la justice immanente, qui par moments culbutaient de leur siège les plus vénérés législateurs des deux Chambres. Et M. Laprat-Teulet en concevait un étonnement mélancolique…. »

 

C’est fin, élégant, subtil et ironique. Le style est l’homme même, en effet, et le sien suffit à définir la petitesse de nos histrions contemporains gangrénés par l’exécrable esprit journalistique…

A propos des vaches.

 

 

 

 

Je terminerai sans doute ce soir l’ « A propos des vaches », de Benoît Duteurtre, paru en 2000 aux Belles Lettres. J’aime, en effet, lire à contretemps. Une façon, la mienne, d’échapper à une actualité littéraire qui, comme l’autre, nous noie quotidiennement dans le vulgaire et l’insipide à l’image de la grotesque et minuscule manifestation de soutien au cruel duo d’histrions Guillon-Porte. A la page 143, donc, je lis ceci :

« J’écoutais des disques et regardais dans les flammes qui crépitaient dans la nuit, tout en feuilletant les Histoires naturelles de Jules Renard : « Elle s’appelle simplement « la vache » et c’est le nom qui lui va le mieux.

D’ailleurs, qu’importe, pourvu qu’elle mange !

Quoiqu’elle vive seule, l’appétit l’empêche de s’ennuyer. Il est rare qu’elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d’où pendent un fil d’eau et un brin d’herbe. »

Pour me plonger illico dans la suite de ce portrait symbolique chez Renard lui-même, page 21, qui finit ainsi :

 « Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu’une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur.

Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu’elle s’approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu’à ce que j’aie mis le pied dans sa bouse. »

Je vous laisse découvrir le paon, page 13, et les dindes, page 8…



Oublier,choisir et penser à Madrid!

L’évènement estival dans le domaine des arts photographiques est à Madrid. C’est à une française que nous le devons: Claude Bussac, née à Narbonne en 1963, directrice de La Fabrica, bras armé du festival et entreprise de gestion culturelle privée (3,30 Millions d’euros de budget cette année, un peu moins que les Rencontres d’Arles).

74 lieux d’expositions où on y trouve : « des icônes poignantes de Dorothea Lange à celles, glamour et arrogantes, d’Annie Leibovitz, juste en traversant la Calle de Alcala. Des photographies peintes avec une minutie narcissique par Gerhard Richter (Fundacion Telefonica) aux jeunes talents sud-américains un peu brumeux (Instituto Cervantes), juste en remontant la Gran Via. Sous l’avalanche de clichés, la marche à l’ombre permet de penser, de comparer, de se souvenir, d’oublier, de choisir. »

 

 

 

Manzanar, California, grand-père et petit fils, 3 juillet 1946, quand les Japonais d'Amérique sont emprisonnés après Pearl Harbor, reportage inédit de Dorothea Lange. (Dorothea Lange)

 

 Manzanar, California, grand-père et petit fils, 3 juillet 1946, quand les Japonais d’Amérique sont emprisonnés après Pearl Harbor, reportage inédit de Dorothea Lange. (Dorothea Lange)

Carolina Martínez

« Hola soy Carolina Martínez …A través de mis imágenes intento vertebrar un mundo de sentimientos y emociones; hablar sin palabras, hablar con imágenes. Todas mi trabajo es fruto de un momento, de un disparo espontáneo que intenta recoger toda la carga emocional y escondida de las situaciones que me encuentro. »

Ouvrir les yeux quand il est temps.

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J’ouvre, au hasard (qui sait ?), « L’homme de cour » de Baltasar Gracian (éditions Champ libre 1980) et je tombe sur ceci, page 139-140 : « Tous ceux qui voient n’ont pas les yeux ouverts ; ni tous ceux qui regardent ne voient pas. De réfléchir trop tard, ce n’est pas un remède, mais un sujet de chagrin. Quelques-uns commencent à voir quand il n’y a plus rien à voir. Ils ont défait leurs maisons et dissipés leurs biens avant que de se faire eux-mêmes. Il est difficile de donner de l’entendement à qui n’a pas la volonté d’en avoir, et encore plus de donner la volonté à qui n’a point d’entendement. Ceux qui les environnent jouent avec eux comme avec des aveugles, et toute la compagnie s’en divertit ; et d’autant qu’ils sont sourds pour ouïr, ils n’ouvrent jamais les yeux pour voir. Cependant, il se trouve des gens qui fomentent cette insensibilité, parce que leur bien être consiste à faire que les autres ne soient rien… » Ecrit par le grand jésuite en 1646, ça vaut bien l’édito du « Monde » de demain, non ?

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