Quelle chienlit chez les oupséistes, mon oncle ! Lundi, leur cocoeheh ( !!! ) carillonnait dans un cahot d’ horions et de louanges mêlés la déroute du sieur Couillon et le triomphe du sieur Flipé , quand ce jour même j’apprends, en lisant les dépêches du soir, le déni du premier et sa volée de copieuses et hargneuses hostilités envers l’abominé Flipé. La confusion des esprits est à son comble et abondamment étalée dans ce qui n’est plus qu’une lamentable et pathétique farce, mon oncle ! Des troupes sans autres chefs que leurs casques errent hébétées dans ce brouet politicien concocté par de sots personnages animés par leurs seuls intérêts . Quel spectacle ! Quelle vulgarité dans ce déballage de rage et de fureur. La civilisation est un fin vernis sous lequel bouillent de noires passions , me disais tu au temps de mon apprentissage. Et tous les matins que Dieu donne, je m’étonne encore de pouvoir toujours en chérir l’ éclat et sa beauté. Un miracle quotidien parfois terni par des paroles entendues à la table d’un estaminet mais aussitôt effacées par la beauté d’un geste et la grâce d’une bienveillante civilité. A cette aune, mon oncle, celles ouïes depuis hier entre affidés de Couillon et Flipé ont des accents d’égoutiers. Comment demain alors incarner je ne sais quelle destinée pour un royaume et des sujets qui se savent en danger ? Il est vrai cependant, me diras tu, que les rosiens furent à Reims eux aussi sur le point d’exploser après qu’avec Gospin le pouvoir de l’Etat leur fut de quelques temps confisqué par le mol Chiraton ; et l’un des leurs, en Gouda fleurdelysé, n’ habite-t-il point désormais le palais de l’Elysée, ses amis de la Cour en tenant fermement toutes les clés ? Dans cette engeance, l’amitié et la fraternité sont servies en échange d’annuités et de charges grassement rémunérées. Aussi attendons nous, mon oncle, à un sursaut de fausse dignité qui cependant ne réglera rien des vraies raisons de cet assourdissant tumulte. Sans chef et surtout sans idées clairement partagées, que faire en effet dirait un maître sibérien à ces soldats perdus à l’âme fracassée ? Ah, mon oncle, de cette histoire, du tragique ou de la comédie on ne sait ce qu’il faut en retenir. Sinon cette éternelle loi, qu’en politique, gouverner un parti ou un Etat c’est dissimuler ; mais qu’il est, dans ce domaine comme dans la vie en général, des accidents imprévisibles où se dévoilent la vérité de leur être tendue vers le désordre et la mort. Loin de vomir d’hypocrite manière cet art de la dissimulation , il faut aussi savoir l’aimer . J’attache ainsi, comme toi, du prix aux bonnes manières et aux élégantes vêtures ; les civilités sont de saines apparences et concourent au bien vivre en nos violentes sociétés. Il suffit de passer une heure tous les matins auprès d’un parent en fin de vie pour s’en convaincre. Hier, en pleine crise, c’est d’un mouchoir humide que je lavais son visage crispé par la douleur. Dans sa détresse, muet, c’est de sa seule dignité dont il se souciait… Je te quitte mon oncle, et termine ce matin cette lettre commencée hier soir. Vers onze heures, j’irai au plus près de cette existence qui désespérément s’accroche à la vie: son unique espérance dans laquelle il peut s’asseoir et reposer…
Le royaume vit une étrange situation, mon oncle ! Le Roi et son premier ministre se sont dissous dans l’opinion. Aux yeux des Français, ils semblent ne plus exister. Le nantais couaque pendant que ses ministres piaffent, et le premier des hollandais ne sait plus à quel saint se vouer. Ses amis à contrario le disent affuté et réactif aux difficultés du pays. Qui au demeurant sont les mêmes qu’hier et qui l’obligent à remiser ses promesses ; tout en jurant devant, mais devant qui, mon oncle !? de ne rien céder à ses engagements du passé. Et cela dit sur ce ton bon enfant, rond et mouillé, où percent des lueurs d’ironie teintées de roses et d’agressives pensées. Il est vrai cependant que le mariage pour tous est programmé ! Car il faut bien le reconnaître, notre Roi à du talent, mon oncle ! Et puis, il est si gentil au dire des gazetiers. Cynique bien sur, mais si gentil ! Il est d’ailleurs des signes qui ne trompent pas : sa cravate éternellement de travers et sa manche de chemise, la droite, toujours trop longue n’expriment-ils pas cette naturelle et atavique bonhomie de celui qui jadis présidait en terres corréziennes ? Cet après midi, on me dit qu’il réunit 300 ou 400 nouvellistes au château. Mon ami, le rédacteur en chef du « Courrier de Cucugnan », qui tire à deux exemplaires, a lui aussi été invité. C’est dire l’importance que le Roi accorde à cette grande fête gazetière ! Il va fixer un cap pour les uns, baratiner pour les autres ; et comme à l’accoutumée les avis seront partagés. Mais je ne sais pour quelles raisons, mon oncle, mon intuition me dit que cette orgie de communication ne changera rien au climat de doute et de suspicion régnant sur nos concitoyens. Trop de déni du réel ne peux en si peu de temps être rattrapé. Comment expliquer au peuple rosien qu’il lui faudra accepter de payer pour la compétitivité de nos fabriques, ce qui jusqu’à hier était tout simplement nié ? Enfin ! attendons les jours qui viennent, nos gazetiers nous expliqueront ce qu’il convient d’en penser. Voilà pourquoi, je ne les lis point, mon oncle ! Un célèbre bouffon prétendait que les nouvellistes ne croyaient pas les mensonges des hommes politiques, mais qu’ils les répétaient, ce qui était pire ! Il en est quand même de sérieux et demain sera l’occasion d’en apprécier le nombre.
C’est en parcourant le blog (excellent !) de Patrick Corneau, que je suis tombé sur un texte de Jean Sulivan. Coup de foudre ! Et achat immédiat de son Abécédaire, que je ne connaissais pas. En attendant d’en feuilleter les pages, et pour vous donner l’envie d’y aller voir, deux extraits. Que voici :
« Nous nous croyons éclairés. Nous avons lu tant de livres, écouté tant de débats. L’aliénation religieuse, nous connaissons. La foi alibi: peur de la vie, peur de la mort, refuge pour la faiblesse. Nous avons dépassé. Mais nous supportons que les sociétés contemporaines prospèrent au sein de l’aliénation économique. Le ressassement idéologique, la compétition permanente, la course vers l’an 2000, l’obsession du niveau de vie, fascination des apparences qu’on nomme réalité au théâtre de l’audio-visuel ont pris la place des méditations religieuses, tandis que les consciences surinformées deviennent désertiques sans autres consolations que l’argent, les gadgets sans cesse renouvelés d’une société qui ne survit qu’en exaspérant les désirs et en créant de nouveaux besoins. »
La dévotion moderne
« Si vous lisiez, par exemple, non pour être confirmé en ce que vous pensez, mais pour sortir de votre sommeil. Lire, c’est partir, accueillir. Hélas ! Ce que l’on veut souvent sans le dire jamais, c’est s’abriter, prendre, s’enrichir, sans aucun risque. Car n’avoir jamais été blessé, réveillé, mis en marche, en joie par un livre, c’est n’avoir jamais lu. Quel temps réservez-vous à votre nourriture spirituelle ? Où la prenez-vous ? Êtes-vous capable de solitude ? On meurt seul dit Pascal. On vit seul aussi pour l’essentiel. Réservez-vous quelques heures pour aller marcher sous les arbres ou le long de la mer. Regardez-vous dans votre vérité. Vous êtes un passant. Ce qui est à vous ne vous appartient pas. Dépositaire provisoire : tout ce que vous êtes. Quand je dis: vous, c’est aussi bien : je, moi, n’importe qui. Qui que vous soyez, vous n’êtes pas important. Vous donnez trop d’importance à la réussite. Ce que vous nommez échec, n’en ait un que si vous le décidez. Vous dites que vous êtes irrémédiablement blessé par le passé. Cela dépend de vous à l’instant même. »
Nous sommes à l’heure américaine. Profitons en pour lire la poésie de Walt Whitman… De l’air ! Du souffle…
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A un historien.
Vous qui chantez les choses d’autrefois, Vous qui avez exploré le dehors, la surface des races, la vie qui se montre, Qui avez traité de l’homme comme créature des politiques, sociétés, législateurs et prêtres, Moi, citoyen des Alleghanies, traitant de l’homme tel qu’il est en soi, en ses propres droits, Tâtant le pouls de la vie qui s’est rarement montrée d’elle-même (le grand orgueil de l’homme en soi), Chantre de la Personnalité, esquissant ce qui doit encore être, Je projette l’histoire de l’avenir
Chant à moi même.
Je chante le soi-même, une simple personne séparée, Pourtant je prononce le mot démocratique, le mot En Masse, C’est de la physiologie du haut en bas, que je chante, La physionomie seule, le cerveau seul, ce n’est pas digne de la Muse; je dis que l’Ëtre complet en est bien plus digne. C’est le féminin à l’égal du mâle que je chante, C’est la vie, incommensurable en passion, ressort et puissance, Pleine de joie, mise en oeuvre par des lois divines pour la plus libre action, C’est l’Homme Moderne que je chante.
Walt Whitman, Feuilles d’herbes (Traduction de Jules Laforgue)
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