Chronique du Comté de Narbonne.

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Jeudi 22 novembre de l’an 2012

Quelle chienlit chez les oupséistes, mon oncle ! Lundi, leur cocoeheh ( !!! ) carillonnait dans un cahot d’ horions et de louanges mêlés la déroute du sieur Couillon et le triomphe du sieur Flipé , quand ce jour même j’apprends, en lisant les dépêches du soir, le déni du premier et sa volée  de copieuses et hargneuses hostilités envers l’abominé Flipé. La confusion des esprits est à son comble et abondamment étalée dans ce qui n’est plus qu’une lamentable et pathétique farce, mon oncle ! Des troupes sans autres chefs que leurs casques errent hébétées dans ce brouet politicien concocté par de sots personnages animés par leurs seuls intérêts . Quel spectacle ! Quelle vulgarité dans ce déballage de rage et de fureur. La civilisation est un fin vernis sous lequel bouillent de noires passions , me disais tu au temps de mon apprentissage. Et tous les matins que Dieu donne, je m’étonne encore de pouvoir toujours en chérir l’ éclat et sa beauté. Un miracle quotidien parfois terni par des paroles entendues à  la table d’un estaminet mais aussitôt effacées par la beauté d’un geste et la grâce d’une bienveillante civilité. A cette aune, mon oncle, celles ouïes depuis hier entre affidés de Couillon et Flipé ont des accents d’égoutiers. Comment demain alors incarner je ne sais quelle destinée pour un royaume et des sujets qui se savent en danger ? Il est vrai cependant, me diras tu, que les rosiens furent à Reims eux aussi sur le point d’exploser après qu’avec Gospin le pouvoir de l’Etat leur fut de quelques temps confisqué par le mol Chiraton  ; et l’un des leurs, en Gouda fleurdelysé, n’ habite-t-il point désormais le palais de l’Elysée, ses amis de la Cour en tenant fermement toutes les clés ? Dans cette engeance, l’amitié et la fraternité sont servies en échange d’annuités et de charges grassement rémunérées. Aussi attendons nous, mon oncle, à un sursaut de  fausse dignité qui cependant ne réglera rien des vraies raisons de cet assourdissant tumulte. Sans chef et surtout sans idées clairement partagées, que faire en effet dirait un maître sibérien à ces soldats perdus à l’âme fracassée ? Ah, mon oncle, de cette histoire, du tragique ou de la comédie on ne sait ce qu’il faut en retenir. Sinon cette éternelle loi, qu’en politique, gouverner un parti ou un Etat c’est dissimuler ; mais qu’il est, dans ce domaine comme dans la vie en général, des accidents imprévisibles où se dévoilent la vérité de leur être tendue vers le désordre et la mort. Loin de vomir d’hypocrite manière cet art de la dissimulation , il faut aussi savoir l’aimer . J’attache ainsi, comme toi, du prix aux bonnes manières et aux élégantes vêtures ; les civilités sont de saines apparences et concourent au bien vivre en nos violentes sociétés. Il suffit de passer une heure tous les matins auprès d’un parent en fin de vie pour s’en convaincre. Hier, en pleine crise, c’est d’un mouchoir humide que je lavais son visage crispé par la douleur. Dans sa détresse, muet, c’est de sa seule dignité dont il se souciait… Je te quitte mon oncle, et termine ce matin cette lettre commencée hier soir. Vers onze heures, j’irai au plus près de cette existence qui désespérément s’accroche à la vie: son unique espérance dans laquelle il peut s’asseoir et reposer…

Chronique du Comté de Narbonne.

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Vendredi 28 septembre de l’an 2012
Eh bien mon oncle ! Les ministres de François le Normal ont de la vertu une étrange pratique, et s’en exonèrent d’autant qu’ils l’exigent de tous. Ainsi le sieur Mentoujours, qui jadis haïssait les riches et les banquiers, sans vergogne les fréquente aujourd’hui. Le soir, en toute discrétion,  ou à midi, au moment du café. La maison Lézard, dirigée en France par le sieur Pigassou, un ami de Babius et Boss-Khan, également patron de la gazette « Les corruptibles », qui emploie Aude Puivar, sa dame, a sa préférence. Rien d’étonnant, cet arrogant et cynique parvenu s’étant jadis illustré par ces mots qui le définissent à jamais : « Je suis croyant, mais pas pratiquant. » Une philosophie partagée par la classe des gazetiers bien-pensants au sein de laquelle il jouit, de surcroît, d’une reconnaissance commerciale : il fait vendre. Tu me diras que pour ces croisés de la « vérité », seules comptent les intentions, bonnes, cela va de soi ! Vues sous cet angle, évidemment, toutes les impostures sont permises. Et justifiées pour ne point désespérer les bedeaux et les gogos qui les crurent. Les lendemains qui chantent ne sont pas miraculeusement arrivés, n’est ce pas, mon oncle !  Mais peut-être faut-il mentir aux hommes pour qu’ils vous croient !…? Comme le babusien Tortolone, ci-devant Président de la Cour qui impose de petites économies à son assemblée et embauche sa dame à son cabinet. Je n’ai pas embauché ma femme, j’ai épousé ma collaboratrice », assure-t-il sans trembler. Une variation ménagère et politicienne de la saillie donjuanesque : « L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus. »  Quel génie, tout de même, ce Molière, mon oncle ! à croire qu’il était aussi à New York quand François de Gouda, dans les locaux de la Société des Nations, pour éviter son ancienne compagne et les coups de la nouvelle, a rebroussé chemin, piteusement, avec toute sa troupe. Demi-tour pitoyable justifié avec peine par d’improbables obligations diplomatiques. On entend d’ici Ségolène de Chabichou dans le rôle d’Elvire : « Me ferez-vous la grâce, François, de vouloir bien me reconnaître? et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté? »… « Ah! scélérat, c’est maintenant que je te connais tout entier; et pour mon malheur, je te connais lorsqu’il n’en est plus temps, et qu’une telle connaissance ne peut plus me servir qu’à me désespérer. » Quand Tartoly régnait, on moquait méchamment ses manières, si peu royales il est vrai ; il abaissait le trône, disait-on. Mais que penser d’un monarque pris entre deux femmes et terrorisé à l’idée de devoir saluer la première et subir le courroux de la seconde ? Hésitant et faible, notre Roi est ainsi descendu à hauteur d’homme. Un homme comme tous les hommes ; normal, au cœur et à l’esprit bien monotone dans sa lâcheté. La cour est un vaudeville, mon oncle ! et François de Gouda un Dom Juan revu et corrigé par Feydeau. Mieux vaut rire des hommes, que les agonir, me répètes-tu sans cesse. L’essentiel est peut-être ailleurs, en effet. C’était hier, un arc en ciel ouvrait un ciel d’orange sur les toits de la ville ; il colorait de ses teintes cuivrées des hirondelles en fête et la tour Aycelin brillait à n’y pas croire. Un silence parfait couvrait ce moment de grâce; comme une offrande des dieux, une porte ouverte aux âmes ; juste avant la tombée de la nuit…
Je t’embrasse, cher parent !

Chronique du Comté de Narbonne.

  levée du jour        

Samedi 22 septembre de l’an 2012.

Samedi et dimanche dernier, mon oncle, le Royaume et le Comté étaient « processionnaires ». Comme chaque année, à date fixe, de longues et interminables files ont enfourné du patrimoine avec la même voracité qu’elles vont, au solstice d’été, s’abrutir de décibels copieusement arrosés. Monsieur de Trichaud, gardien à vie des vieilles pierres du Comté, faisait justement remarquer à ta sœur, ma tante, que jamais la cathédrale Saint Just n’avait été aussi pleine de mécréants tout heureux d’échapper enfin, une fois par an, au rituel dominical du goûter familial en compagnie de leurs belles mères. Plus sérieusement, mon oncle, l’irrépressible besoin de nos congénères à s’agglutiner et défiler ensemble ne cessera jamais de m’étonner. Hier autour d’un totem ou derrière un évêque, aujourd’hui à la suite d’un guide ou d’un conférencier tout aussi religieusement écouté. Dans ce « grand jeu sociétal », l’art suprême étant de donner des illusions d’harmonie, le culte patrimonial a le grand avantage d’un unanime consentement ; et c’est au sieur de Trichaud – il chante le grégorien ! que le Comte de Lababout en a « délégué » l’orchestration. Cet esprit, distingué par le Vatican, qui n’aime rien tant que revêtir la toque et la robe (rouge ou noire !) s’est toujours rêvé dans le rôle d’un archevêque ; comblé de grâces rosiennes, il « préside » désormais à toutes les piétés, laïques et viticoles et  processionne sans fin dans la ridicule pompe des confréries comtales. Comme lors des « bans » des vendanges, en compagnie de « petités » locales travesties en consuls d’opérettes ; assemblage hétéroclite conduit par un porte bannière inspiré au physique de frère convers bien nourri, mon voisin le sieur Méglé.

Ces journées furent aussi, mon oncle, opportunément choisies par Dédé Molly pour présenter à l’adoration des foules électorales la statue de Commandeur de feu son papa derrière laquelle il entend foudroyer le Comte et ses petits marquis. Une manière sans équivoque de signifier à Lemaillet et son « parti oxygéné » que l’air à lui aussi lui manque ; et que le Château fait partie de son héritage familial, lui qui souffrit de ne jamais rien obtenir de son fier et sévère paternel. On se dispute, les marteaux à la main, autour du Commandeur, mon oncle ! Tout cela finira en un tas d’inutiles cailloux…

Tu t’en doutes, le Comte et ton ami Patrick de la Natte ne ratent rien de cette entreprise de démolition. Il se murmure même, chez les amis du sieur de la Brindille, que certains soirs, dans de secrètes salles du Château, sonnent de lourds et vibrants coups de maillets ; que l’on y édifierait une stèle à la gloire du Commandeur et que s’élèveraient, dans une folle allégresse, des épouvantes de possessions  et d’exorcismes. Une sorte de rituel sauvage où serait invoqué l’esprit de division afin de l’insuffler dans l’imagination de leurs adversaires.

Je ne prends pas au sérieux ces histoires racontées dans des tavernes emplies de nuages tabagiques aussi voluptueux qu’enivrants, mon oncle, mais il n’en est pas moins vrai que chez les professionnels de la politique et de la magie la réalité s’évanouit souvent sous leurs mots et leurs doigts. Ne me disais tu pas, dans ta dernière lettre que l’homme est une marionnette consciente qui a l’illusion de la liberté et qu’il n’y a pas de menteurs, seulement des gens avides d’illusions !

A très bientôt, mon oncle. Le soleil ce soir vient enfin ; son coucher sera sans nuages, le mien aussi… Je t’embrasse !

Chronique du Comté de Narbonne.

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Ah, mon oncle dans quel étrange monde vivons nous ! Le Dieu des chrétiens peut être offensé ici sous toutes les formes et ses adeptes tués en terre d’islam, nos autorités morales, médiatiques et politiques se taisent. Comme elles se taisent ou s’expriment si peu, quand des foules ignares et fanatisées  cassent et tuent dans les rues de Benghazi du Caire parce que le leur aurait été insulté. Tu me le faisais remarquer dans ta dernière lettre, il ne peut plus être émis de critiques dans le Royaume envers certains actes et pratiques de mahométans « intégristes » résidant ici (certes minoritaires) ou ailleurs (ils le sont moins)  sans que leurs auteurs soient mis, par la caste régnante sur les consciences, au banc de l’infamie. Islamophobes et racistes seraient ces esprits libres ne supportant plus qu’ « on » les assigne à un silence surveillé et honteux. Pour nos gardiens du camp de la bien pensance, leur liberté ne serait que le masque hideux d’un conservatisme ranci, d’une réaction pathologique et nuisible, d’une haine maladive de la « diversité ». Ainsi, va l’esprit du temps, mon oncle, la liberté de critiquer les religions est revendiquée par les antipapistes militants, qui ne l’exercent guère envers d’autres traditions, l’islam fondamentaliste, notamment, il est vrai beaucoup moins « pacifiste ». Dans le Royaume, récemment, un Christ plongé dans l’urine, une pièce de théâtre ridiculisant le messie des chrétiens, n’ont évidemment déclenché que des réactions pacifiques et sévèrement stigmatisées au nom de la liberté d’expression. Espérons, tout de même, que la manifestation organisée à Paris par « ces fous de Dieu » près de l’ambassade du « Nouveau Monde » saura redresser – un verbe prononcer en boucle par tous les conseillers du Roi – nos esprits amollis par trente ans d’arrogance intellectuelle et de lâcheté morale perpétuellement touillées dans la marmite de la repentance coloniale et de la haine de soi. A l’exemple de Manolo Valsez, le solitaire chef rosien de nos pandores royaux, que des bouffons accrédités auprès de gazettes gardiennes du Bien caricaturent en l’affublant d’un bonnet bleu tricoté par  feu Roi Tarkoly ! Faut-il que je te précise, mon cher oncle, afin d’éviter toute ambigüité à mon propos de ce jour, que j’ai toujours gardé à l’esprit tes leçons sur cet Islam des lumières et ses  savants du Moyen-Âge, sans qui nous aurions oublié Platon et Aristote, et une grand part de notre propre culture ; ce dont l’identité française ne peut  à l’évidence se passer. Est ce donc trop demander que les mots cernent enfin les faits et l’histoire plutôt que de remplir le vide d’une plate et peureuse pensée prétendument moderne ? A ce sujet, des mots et du vide, les fortes paroles de dame Ripittiti , en charge de la culture (!!!), à « L’Univers », sonnent comme un marteau pilon dans un bain de vapeur notre entrée dans l’ère du creux. Il lui faut montrer, dit-elle, « que la culture est le disque dur de la politique, du point de vue de la citoyenneté et de l’économie. » Passons sur le style d’une élégance atavique et proprement lorraine, pour le reste, c’est à dire l’essentiel, j’ai beau tourner la phrase dans tous les sens, j’avoue n’y rien comprendre. Des mots sans queue ni tête, lourds et grossiers,  pour colmater  son  néant conceptuel. Une forme de mensonge somme toute banale et grossière, et du plus haut comique, me faisais tu remarquer dans ta dernière lettre,  tout en m’invitant à traquer sans pitié la colonisation de notre langue par ces pernicieux euphémismes inventés tous les jours par nos professeurs de vertus. Ainsi Mme Delaniaise, chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie qui, ne pouvant redresser nos « anciens » forts courbés, veut ajouter aux désormais classiques « jeunes des banlieues, banlieues sensibles et sans papiers »,  « avancer en âge et « monter amoureux » : vieillir et tomber amoureux étant chargés de connotations négatives, affirme-t-elle sottement. Ce qui pourrait donner d’épicés dialogues : « Mademoiselle, je suis éperdument monté amoureux de vous ». « Quoi ! Vous voulez me monter ? ». Et ton ami Christian Millau, qui n’écrit pas que de savoureuses chroniques gastronomiques, de proposer la modification d’urgence par l’Académie de l’expression  chômeur par «  en situation de rupture de la chaîne citoyenne du travail » ou clandestin renvoyé dans son pays par «  nomade interrompu dans son projet de société ». Tout un programme ! Ne changeons pas le monde, changeons les mots et l’histoire sera plus belle, n’est ce pas mon oncle ? Pour la petite, histoire, t’ai je dit que j’avais cheminé sur le sentier de Nietzsche, à Eze, dans le Comté de Nice, où j’ai séjourné quelques temps ? C’est là, sous le ciel alcyonien de Nice, qu’il trouva le troisième Zarathoustra, cette partie décisive de son oeuvre qui porte le titre : « Des vieilles et des nouvelles Tables ». Il dormait bien et riait beaucoup ; et vivait dans un parfait état de vigueur et de patience. C’est là qu’il écrivit aussi cette phrase, que je récitais sans cesse sur ce sentier autrefois emprunté par lui : « Frotte tes yeux, afin d’en chasser le sommeil, toute myopie et tout aveuglement. Écoute-moi aussi avec tes yeux: ma voix est un remède, même pour ceux qui sont nés aveugles »… Bonne nuit mon oncle !

 

 

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