Chronique du Comté de Narbonne.

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Mercredi 13 juin de l’an 2012,

 

Fin du second acte, mon oncle ; et, comme prévu, la prime batavienne donne au parti de la rose la quasi certitude d’une majorité absolue, ou presque, à la Cour. Les français ont donc fait preuve d’un « esprit » rationnel en donnant à nos nouveaux gouvernants tous les moyens politiques qu’ils  souhaitaient dans l’espoir qu’ils les sortiront de la crise économique et financière, sans diminuer l’ensemble des dépenses publiques et sans augmentation de la fiscalité : le rêve ! Ainsi, à partir de dimanche prochain, plus aucune dérobade ne sera permise à François de Gouda  quand viendront inévitablement à  l’ordre du jour de son Conseil des décisions douloureuses  à des clientèles électorales qui n’en voulaient pas du temps du précédent Roi ; ce qu’elles ne manqueront pas de  lui vertement , et rougement, rappeler. Combien de fois, mon oncle, faudra-t-il répéter que la vie humaine est un combat contre la malice de l’homme même ; en politique plus qu’en toute chose où s’y emploient les stratagèmes de l’intention, voire même la vérité, dans la seule visée de tromper. Mais laissons aux bedeaux  et aux gardes suisses de toutes les chapelles leurs illusions, même s’il me faut accepter que l’humanité est ainsi faite qu’il y ait pour elle des illusions nécessaires ; que trop de raffinement amène la dissolution et la faiblesse, et que trop bien savoir la réalité des choses lui devienne nuisible. Tenons donc, comme tu me l’as si souvent enseigné, mon oncle, les deux termes de cette contradiction, tout en conservant cette implacable et brûlante lucidité dont ton ami poète dit qu’elle est la blessure la plus rapprochée du soleil. A ce propos, notre présent monarque me semble n’en point trop posséder dans le choix de ses dames. Sa première portait culotte et ne manquait pas de toupet ; l’actuelle, d’une féroce jalousie, en porte aussi et vient de lui administrer une offensante et publique fessée. Tout le Royaume en rit ! le roi, lui, en pleure… de rage ! Mais n’en peut mais… Je le crois en effet, d’un tempérament soumis envers les dames : il les aime dominatrices. Un trait de caractère sans doute consécutif à une enfance, me dit-on, où, avec sa mère, il subissait les foudres d’un homme autoritaire et violent. Te souviens tu aussi de ce qu’il récemment affirmait : « Il y a des trucs que Sarkoty a tués, notamment l’affichage permanent du conjoint. Les Français ne supportent plus cette confusion du privé et du public. » Un certain docteur viennois  dirait, dans ce langage à la mode prisé par nos boboisantes élites : «  il y a là quelque chose comme un retour du refoulé. » Aie, aie ! Vite, vite un divan, mon oncle…

Dans le comté, c’est la marquise de Fade qui a gagné la guerre des roses ; elle sera opposée au marquis de Leucate, le seigneur Si, du parti bleu. Le prince de Gruissan, dit le petit, et Daredare du Rocher, son sémillant maître de chapelle, mais aussi les sieurs Fraise et Labombe, de la Brindille et du Félé, qui rêvaient de l’y voir en de pieuses mains dès dimanche prochain, ont les traits ravagés. Je te le disais dans ma dernière missive, mon oncle : « la marquise surfera sur la vague batave, l’officielle ; tandis que Bodorniou, anciennement «  rosien », n’aura que l’officieuse suivie de celle, qu’il espère, toute droite dirigée, si je puis dire, vers le sieur Labatout, pour le noyer » Hélas, hélas ! la droite vague ne fut que vaguelette et voilà nos Bodorniens dans le sable à ramer . Pari perdu aussi pour Dédé de Navarre et son « Dépendant », qui tractait contre Fade et ses troupes. Il avale son encrier et ne sait plus, de sa barbe, à quel saint la vouer. C’est de la Natte qui doit bien se marrer, mon oncle ; et un coup d’estoc ne saurait tarder. Le temps presse, il se fait tard. De ce champ de bataille comtal, je t’en dirai davantage tantôt. Mais que la navigation de la vie civile  et politique est dangereuse ! Elle est pleine d’écueils où la réputation se brise, mon oncle ! Le plus sûr serait de s’en détourner, en prenant d’Ulysse des leçons de finesse. C’est ici qu’une défaite artificieuse est de grand service ; qu’une belle retraite fait honneur. Cela, j’eusse aimé en parler à Bodorniou et aux siens. Je t’embrasse, mon oncle. Que ce jour où tu me liras te soit le plus agréable. Ton neveu, qui pense à toi!

             

Chronique du Comté de Narbonne.

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      C’était dimanche, et il faisait beau, mon oncle ! Sur le parvis des halles, côté monuments aux morts où on abattit hier de fiers platanes, des Bodorniens parés de leurs capotes « frambroise écrasée » et des Siniens vêtus de même, mais de « bleu roi » épicé. Un vrai manège de portes-réclames tourbillonnant, aux mêmes sourires avenants et parlant la même langue de bois : la loi d’une espèce qui ne sort jamais de l’ambigüité qu’à son détriment moral…et électoral. Il y avait donc des jeunes gens effilés côté bleu et des retraités enrobés chez les framboisiers ! Bodorniou et du Rocher étaient eux sportivement chaussés : le premier de classiques baskets cerises, le second de boboisantes « converse » délavées ; quant à Sy , de Leucate, je ne t’en dirai rien, représenté qu’il était par le sieur Sauze, que personne ne connaît. Trop tard levée, la  discrète marquise de Fade et ses timides amis en blouses blanches occupaient la sortie, qui est aussi une entrée : côté Hôtel Dieu ; Bodorniou et Daredare du Rocher, son sémillant maître de chapelle, rêvant de l’y voir en de pieuses mains dès dimanche prochain  ! Pas sur, mon oncle : la marquise surfera sur la vague batave, l’officielle ; tandis que Bodorniou, anciennement «  rosien », n’aura que l’officieuse suivie de celle, qu’il espère, toute droite dirigée, si je puis dire, vers le sieur Labatout, pour le noyer. Un comte qui, dans ces circonstances, joue l’anguille. Impossible à saisir, il s’impatiente mollement d’enfin savoir qui des deux sera le premier pour trucider le marquis de Leucate – au tour prochain-  pour alors s’en proclamer prestement l’indéfectible ami . On ne le voit guère non plus chez Bébelle, le tavernier à la mode que fréquentent gens de cours et de jeux, bobardiers et notaires, amateurs de cigares et siffleurs de rosé. Car ces halles, mon oncle, sont le cœur de Narbonne, tu le sais. Une foule bruyante y engorge toujours ses ruelles d’étals où se mêlent badauds, nigauds, promeneurs et ménagères pressées. S’y retrouvent aussi, tous les dimanches, coteries, clans et petites troupes d’amis qui y viennent, comme on va  à la messe, pour y disputer souvent des affaires de la cité ; pour y médire parfois, par bonté, des dames et des messieurs du lieu, du comté et d’ailleurs ; pour s’amuser toujours du vent et de la vie, qui passent. On le voit peu dans ces halles, te disais je du seigneur de la ville et du comté, mais on le sait cependant désireux d’en présider les festivités. L’insupporte en effet que charcutiers, bouchers, maraîchers et poissonniers, tous les corps de métiers, ne veuillent point s’en laisser compter ; le prix de cette liberté se payant d’une contribution comtale généreusement diminuée de moitié ! Mais qui présentement nous épargne heureusement le chœur des « chiffons rouges » à l’heure de l’apéritif ou des concerts de tambours en pleine hébétude digestive. Imagine un peu, mon oncle, ce que serait cette basilique profane et revêche animée par un « fonctionnaire » du Comté ! La résistance cependant s’organise, et je sais que l’appel de nos tenaces commerçants sera puissamment entendu. On ne mendie pas sa liberté aux autres, n’est ce pas mon oncle ? Quand elle est prise, il importe de la savoir garder. En ces temps d’emprise idéologique sur nos cerveaux, il est bon d’avoir toujours à l’esprit ce que disait un de tes camarades rescapé de la bienheureuse  et globalisante pensée, à savoir que le langage politique était destiné à rendre vraisemblables les mensonges et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent. Bonne journée, mon oncle ! Et que demain nous ouvre les cœurs. Hier, la nuit tombée, la lune était rousse au dessus de la Clape…

Chronique du Comté de Narbonne.

 

Jeudi 31 mai de l’an 2012,

Hier matin, mon oncle, revenant des Halles une « baguette » à la main, je me suis retrouvé au centre d’un labyrinthe de barrières en métal et de murs grillagés qui occupent désormais toute la promenade des « Barques ». Perdu, je n’ai du mon salut qu’en suivant le porteur d’une imposante tronçonneuse qui, miraculeusement, s’en allait à fortes enjambées, exsudant toutes ses eaux, vers quelque taverne située en dehors de ce sinistre chantier. Quelle désolation que d’arpenter ce mail au milieu d’engins pétaradant entre des platanes emmaillotés de grossières et  ridicules planchettes en bois blanc ! Et quel chagrin devant ces tapis de sciure noirâtre marquant de leurs sinistres présences ce qui fut la première rangée de ton mail, mon oncle, impitoyablement éradiquée ! Hécatombe prestement justifiée le lendemain de ce féroce abattage dans la gazette de Dédé de Navarre où figuraient  d’imposantes images de troncs malades et désespérément creux. Pendant trois jours, mon oncle, nos «  feuilles » locales ont exposé ces impudiques visions de platanes « pourris », comme pour assurer le « service après vente » des décisions prises par le  bon sieur Labatout. Entends moi bien, n’étant pas arboriculteur, je ne porte point de jugement sur la vérité du diagnostic posé sur ces malheureux végétaux par les jardiniers du Comté ; quoique une dame du « parti oxygéné » prétende que l’étant tous, creux , il fallait conséquemment les élimer tous. Non ! c’est plutôt de cette complaisante « couverture » gazetière étalée par nos gens de plumes dont je m’inquiète ici. Ah ! que n’aurait écrit  ton ami de la Natte, du temps du duc de Lemonyais, sur la noire misère de cabaretiers aux terrasses désertées et les pleurs de petits vieux sans sièges à l’ombre où caler leurs vénérables fessiers ? On rêve ! D’autant que nos gazetiers, obnubilés par ce massacre arboricole ne se sont guère épanchés sur la privation d’eau subie durant trois jours par des milliers de personnes des marquisats de Moussan, Marcorignan et Nevian ; pas le moindre entrefilet ! Peut être convenait-il de n’en rien dire pour ne point  peiner les puisatiers administrés par le comte de Labatout au sein de la Régie du Grand Comté, forts nombreux au demeurant, et au statut protégé. Six mois plus tôt, mon oncle, quand ce métier était confié à une compagnie fermière et privée, nul doute que nouvellistes et politiciens se seraient déchaînés ; ses dirigeants discrédités, ses profits vilipendés, et le « service public » glorifié. Ainsi va l’information, flottante au gré des affinités et des accointances de toute sorte, comme une bouteille à la mer dont le goulot seul s’offre à la vue d’un promeneur distrait.

Que je te dise aussi que le dimanche de Pentecôte où l’Esprit Saint donna aux apôtres le don des langues, une nuée de « bodorniens » revêtus d’une capote couleur «  framboise écrasée », distribuaient la profession de foi du Prince, dit le petit, de Gruissan, sur le parvis des Halles. On aurait dit de ces prosélytes joyeux, toujours bondissant et chantant, de ces nouvelles églises charismatiques. Daredare du Rocher en dirigeait le chœur, survolté par le miracle d’avoir à orchestrer, lui qui préside le microscopique « parti radinal », un aussi grand nombre de fidèles momentanément convertis à l’évangile du père, pardon!, du Prince de Gruissan ; des fidèles de circonstance et une  alliance profane autour du sieur Bodorniou pour l’envoyer siéger auprès du roi batave, dont il entend bientôt tirer partie dans sa conquête du marquisat de Coursan : son présent titulaire, Vladimir Plavich, reniflant l’ambition comme un renard les poules, l’ayant expulsé de son fief. Car il a de l’ambition notre jeune prêcheur au physique délié et gracieux, apprêté à la boboisante mode de discrète et élégante façon : ses chaussures en témoignent. Mais de cela je ne t’en dirai pas plus : il se fait tard, des lectures m’attendent. Non pour fuir ou seulement me distraire, mais, comme le disait ton ami, pour ouvrir une porte sur un monde enchanté : la lecture est une féconde amitié, n’est ce pas ?

Bonne nuit, mon oncle ; ou plutôt, bien le bonjour ! quand tu liras ces quelques lignes; demain matin, si le carrosse postal n’est point empêché par quelque attroupement de revendicatifs cochers en colère.

Ton fidèle neveu.

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