Chronique du Comté de Narbonne.
Vendredi 27 avril de l’an 2012
Oui, mon oncle, je l’ai enfin aperçu ton ami de la Natte – l’est-il encore ? C’était un matin triste, ils ne le sont pas toujours, de la semaine passée ; il était tôt, environ 8 heures, et je buvais distraitement, devant ma fenêtre, un café forcément noir, l’esprit brumeux et troublé, comme le ciel et les rues ce jour là l’étaient, quand sa silhouette s’inscrivit dans la pâle lueur d’un piteux lampadaire. Il marchait à longues enjambées, le dos vouté ; dans sa main gauche, une lourde sacoche courbait sa course, comme si sa volonté pliait sous le poids de son nouvel office ; des papiers froissés tournoyaient aussi, dans son sillage… Images fugaces d’un étrange destin qui, en ce triste matin d’avril, l’amenait au Château, vous qui le connûtes, mon oncle, son bloc-notes en bandoulière, pourfendant son précédent occupant et chassant ses mensonges.
Images qui me font penser, pourquoi? je ne le sais! à cette engeance gazetière qui voit le monde à sa façon sans qu’on puisse le lui dire ; arrogante, insolente de surcroît envers ceux qui le voient autrement, qui osent encore croire en des idées qu’elle récuse. Naguère, t’en souviens tu ? du royaume de France, en parler était indigne ; aujourd’hui, c’est immigration et sécurité qu’ils faudraient taire. Mots infâmes dans leurs bouches, j’en pourrais citer d’autres, d’où sortent en chapelet, à leur place : République, protection, diversité : évidemment bienheureuse ! Entends moi bien, mon oncle, de ces derniers mots, j’en fais moi même l’éloge ; mais, il faut en convenir, ainsi manipulés la réalité qu’ils recouvrent se vide de tout sens . Faut-il donc continuer de la sorte : nourrir de peurs et de fantasmes des millions de personnes ; les laisser en des mains aux feintes et perverses intentions ? Ce peuple là vit, c’est Laurent Bouvet qui l’écrit, un éminent professeur, il faut l’entendre, dans l’insécurité culturelle ; et nous prédit, à terme, une recomposition générale du paysage politique françois. Il faut le lire, mon oncle, tant sa pensée, sans tabous,nous enseigne.
Que dire, enfin, de ces sorciers de la bien-pensance qui, aujourd’hui, lui font de basses avances ? Dans ce Comté, comme dans le reste du Royaume, l’élection du futur roi, il est vrai, en dépend. Ainsi pouvait-on lire sous la plume de Bonoeil et Malmont, nos Dino et Shirley du Comté, et du parti de la rose, cette admirable et hypocrite prose : « il faut savoir entendre ce vote…on doit rendre notre message plus audible…il ne faut pas diaboliser la totalité de ces électeurs… ». Une posture qu’on récuse au parti opposé, qui affiche la même ! A propos d’ouïe, de vérité et de mensonge, mon oncle, me vient cette réflexion, je tairai son auteur : tu le lis si souvent ! : « La vie se passe presque toute à s’informer. Ce que nous voyons est le moins essentiel. Nous vivons sur la foi d’autrui. L’ouïe est la seconde porte de la vérité, et la première du mensonge… Sers-toi de ta réflexion à discerner les pièces fausses ou légères d’avec les bonnes. ».
En ces temps où le pire, dans nos innocentes oreilles, est encore à entendre, mon oncle, ces paroles de celui qui, jadis, instruisait les rois dans cet art de régner sur leurs peuples, ont gardé leur intelligente fraîcheur. De fraîcheur et de lumière, ce mois d’avril en manque, hélas !, cruellement : vent violent et lourds nuages noirs traversent en tout sens le Comté. Vivement le mois de mai, mon oncle, même s’il est dit, avec juste raison, qu’il n’est beau que chez les poètes; nos amis!
Je t’embrasse !