Moments de vie.
Le 3 avril 2017, j’ai écrit dans mon blog un billet en mémoire de Gérard Calvet, un ami peintre qui venait de mourir. Depuis, j’entretiens une correspondance avec une de ses filles, Lise. Une correspondance à laquelle vient de s’adjoindre, à ma grande surprise, Nicholas Peters, un citoyen américain vivant en Caroline du Nord, à Asheville, précisément. Dans son premier message reçu la semaine dernière en commentaire de ce billet du 3 avril 2017, Nicholas me fait savoir qu’il avait vécu avec ses parents à Paris, de 1959-1966, et que son père avait alors acheté plusieurs tableaux de Gerard Calvet. Au cours des années, il avait hérité de trois d’entre eux, et de très beaux, précise-t-il. Il ajoute encore dans un français tout à fait convenable que « c’est seulement en trouvant votre blog que j’ai apris que Calvet est decede. Ses tableaux sont dans des places d’honneur dans ma maison dans un couloir, un salon, et une chambre a coucher. » La « Toile » est souvent critiquée, me disais-je en le lisant, mais on y fait parfois de surprenantes et très belles « rencontres ». Lise, en tout cas, sait désormais que trois tableaux de son père sont accrochés en bonne place chez Nicholas, à Asheville, et qu’ils lui « donnent beaucoup de bonheur ». Entre temps, elle lui a écrit et nous avons reçu tous deux, jointes à la réponse de Nicholas, trois photos de ses « Calvet » américains…
Une page d’André Gide prise, au hasard, dans son journal…
Sa.3.11.2022
Une page au hasard*.
« 16 janvier 1943. Je me penche jusqu’à six fois par jour sur la radio, avec cette enfantine illusion que l’excès de mon attention va pouvoir faire avancer les événements. C’est ainsi que Valery, les première fois qu’il voyageait un chemin de fer, poussait de toutes ses forces la paroi d’avant du wagon, pensant par cet effort, me racontait-il concourir à celui de la locomotive et accélérer la marche du train. »
André Gide. Journal. Une anthologie. Folio. Page 421
*C’est une habitude matinale ! Après un premier café, je prends au hasard un livre dans ma bibliothèque ou sur mon bureau, ou ailleurs, et lis une page prise, elle aussi, au hasard…
Mémoires d’hippocampes…
Lecture. Mémoires…
J’ai plongé, ces deux derniers jours, dans les profondeurs de nos cerveaux en compagnie de Lionel Naccache*. Une exploration passionnante. C’est ainsi que j’ai trouvé dans celles de nos lobes temporaux deux hippocampes – deux petites régions dont la forme épousent fidèlement celle du petit cheval de mer. Deux hippocampes donc où s’activent les neurones indispensables à la création de souvenirs conscients et nous orientent dans l’espace. Le plus extraordinaire est que cette mémoire des lieux sous-tend celle des scènes que nous avons vécues. Mieux, la nuit, quand nous sommes plongés dans les profondeurs du sommeil, nos GPS se rallument et se mettent à jouer en accéléré les trajectoires de la journée passée. Et des centaines de fois. Un « replay » nocturne qui nous permet de consolider les souvenirs des épisodes que nous avons vécus dans la journée. Au passage, Lionel Naccache nous rappelle que Cicéron déjà avait remarqué qu’une excellente façon d’apprendre par cœur une longue tirade consistait à imaginer une promenade dans un lieu familier (une maison, par exemple) et à déposer chaque fragment du texte en question à une étape de cette navigation mentale (de la cave au grenier…) Une méthode toujours en usage parait-il : « la méthode des palais de mémoire ». Il convient de noter aussi que cette découverte du rôle de nos « deux petits chevaux de mer », par John O’Keef et le couple Moser, a été récompensée par le prix Nobel 2014 et, chose étonnante (n’est-ce pas), Patrick Modiano, écrivain de la mémoire, s’il en est, a reçu celui de littérature la même année.
Enfin, il ne faudrait oublier que la mémoire ne se limite pas aux seuls épisodes de notre vie. Nous sommes en effet dotés d’une douzaine de systèmes de mémoire, chacun reposant sur un système cérébral différent. Enfin ! le plus important, peut-être, pour terminer. Il ne faut jamais oublier aussi que, quand on se souvient, on se souvient toujours au présent. On ne se souvient jamais de la même façon suivant le présent dans lequel on est. Il n’y a pas de souvenir objectif !
*Lionel Naccache et Karine Naccache : « Parlez-vous cerveau ? » Odile Jacob 2018
Moments de vie : Un homme seul à sa fenêtre…
Lu.28.11.2022
Moments de vie.
C’est la pluie qui m’a réveillé. Je me suis levé. La pendule murale de la cuisine affichait cinq heures. J’ai mis en marche la cafetière et attendu que ma dose « passe », debout devant une fenêtre. Toujours la même. La pluie tombait d’une manière régulière. Ni trop forte, ni trop faible. Une perfection de pluie. Personne dans les rues. Il était encore trop tôt pour leur nettoyage. Des flaques de lumière jaunasses brillaient sur les trottoirs et des arbres encore verts, agités par « un petit vent du Nord », quelques feuilles tombaient, elles aussi. Une fenêtre s’est allumée dans l’immeuble voisin. Derrière je savais un homme seul. Il attend chaque matin son infirmière. J’imaginais ses gestes, ses déplacements. Peut-être était-il assis dans son fauteuil, plongé dans de vagues et brumeuses pensées. Le jour, nous échangeons quelques mots sans importance. Il est âgé et fatigué. Il marche d’un pas lourd et s’arrête souvent à la terrasse d’un café voisin. Je l’ai quitté pour aller dans le salon prendre un livre dans ma bibliothèque. C’est une habitude. Je lis deux ou trois pages, prises au hasard, tout en buvant ma première tasse de café. « La femme et l’enfant attendaient dans la gare en cul-de-sac de la petite ville. Après l’entrée du train en gare, le père, un vieil homme avec des lunettes, fit des signes derrière une fenêtre. Il y a bien des années, il avait été un écrivain qui avait eu du succès, maintenant il envoyait aux journaux des doubles de petites esquisses et de petites histoires. En descendant il n’arriva pas à ouvrir la porte du wagon et la femme l’ouvrit de l’extérieur et l’aida à descendre sur le quai. Ils se considérèrent l’un l’autre et finalement furent contents. » Je me suis arrêté un long moment sur ce passage où il est étonnamment question de fenêtre, d’un vieil homme avec des lunettes, d’écriture. J’y ajoute des images d’une arrivée en gare au petit matin ; il fait nuit ; il pleut. Une pluie régulière. Ni trop forte ni trop faible… Lisant et le relisant ce texte, j’ai vite retrouvé le climat sombre de ce roman et le style de son auteur * ; et aussi son art de donner aux petits faits et gestes de la vie quotidienne une dimension tragique, universelle. Le temps de prendre une deuxième tasse de café, j’ai fini par ranger mon livre – ranger est excessif ! Comme d’habitude. La pluie, elle, indifférente, toujours tombait devant ma fenêtre…
*Peter Handke : « la femme gauchère ». Folio : page 76
Illustration : « La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
Un dimanche au cinéma ! Histoires de mères : « Saint Omer », d’Alice Diop .
Dimanche au cinéma.
Dimanche après midi, dans la salle art et essai du Théâtre + Cinéma Scène nationale Grand Narbonne, j’ai assisté, en « avant-première », à la projection de « Saint Omer », le premier film de fiction d’Alice Diop. Un film présenté aussi en première mondiale à la Mostra de Venise en septembre et qui en est « sorti » couronné de trois prix, dont le prestigieux Lion d’Argent, Grand prix du jury présidé par l’actrice américaine Julianne Moore. La presse internationale, qui le couvre de louanges avant même sa présentation dans les salles françaises, le 23 novembre, est au diapason de cette reconnaissance.