Extrait tiré de l’article signé Milan Kundera « L’inimitié et l’amitié » :
« Dans notre temps on a appris à soumettre l’amitié à ce qu’on appelle les convictions. Et même avec la fierté d’une rectitude morale. Il faut en effet une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, nécessairement imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très-bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. Contrairement à la puérile fidélité à une conviction, la fidélité à un ami est une vertu, peut-être la seule, la dernière.
Je regarde la photo de René Char à côté de Heidegger. L’un célébré comme résistant contre l’occupation allemande. L’autre dénigré à cause des sympathies qu’il a eues, à un certain moment de sa vie, pour la nazisme naissant. La photo date des années d’après-guerre. On les voit de dos ; la casquette sur la tête, l’un grand, l’autre petit, ils marchent dans la nature. J’aime beaucoup cette photo. »
J’aime regarder les gens. Je suis attentif à leur façon de bouger et de se déplacer ; à leurs gestes et leurs démarches. À leurs visages surtout. Qui traduisent souvent leurs pensées, leurs émotions. Des visages qui deviennent, les années passant, le reflet de leurs vies. Bonnes ou mauvaises. J’en croise chaque jour des dizaines, dans la rue. Beaucoup sont penchés sur les écrans de leurs téléphones. Ceux-là ont le sourire banal ou béat. Parfois vulgaire ou insolent. D’autres sont perdus dans leurs pensées. Leur visage semble figé, triste ou mélancolique. Au contraire de ce visage souriant croisé ce matin. Celui d’une dame inconnue qui hier encore tenait par la main une personne plus âgée au visage tendu par la fatigue et les douleurs. Lors de nos quotidiennes rencontres, nous échangions un sourire de politesse. Aujourd’hui, son visage n’était pas tourné vers le mien. Il souriait dans le vide. Aux anges, dit-on. J’ai souri aussi. Sans raison. C’est Camus qui écrivait : « Au-delà d’un certain âge, tout homme est responsable de son visage. »
J’ai des centaines d’amis virtuels sur Facebook. Je ne peux évidemment pas lire tout ce qu’ils publient sur leurs pages. Le rejet du blablabla et de la répétition, mes goûts ont fini par en sélectionner quelques-uns. D’autres aussi lisent mes textes sans que je le sache, et certains, souvent les mêmes, réagissent à mes publications. Finalement, ce commerce quotidien que j’entretiens avec ces derniers et le cercle de ceux que je fréquente régulièrement leur donne à tous un semblant de réalité. Jusqu’à m’inquiéter de leur silence. Pour apprendre un jour le suicide virtuel ou la mort réelle de l’un deux. Je sais alors qu’il va me manquer. Comme peut nous manquer un ami de chair dans la « vraie vie ».
Le monde est plein de secrets. Nous croyons connaître ceux qui sont près de nous, mais le temps nous révèle que nous en savons toujours moins ; que la zone d’ombre sur leur vie enfle et s’étend toujours plus. Je la regarde assise à mes côtés dans cette salle désespérément silencieuse. Que sais-je d’elle et de son histoire ? De son enfance, de ses amours et de ses peurs. Quelques phrases seulement prononcées par d’autres. Et trop tard. Elle parlait peu et n’avait pas d’amis. Elle n’ouvrait sa porte qu’à ses enfants. Je sais à présent qu’elle avait peur du monde. Fille d’un violeur anonyme, elle était sans doute là quand des miliciens vinrent arrêter son père adoptif pour l’expédier à Buchenwald ? Je sais aussi qu’elle n’a jamais connu la tendresse. Celle qu’on peut attendre d’un être aimé. Et qu’elle n’a jamais pu, ou su, vraiment aimer. Je la regarde assise à mes côtés. Autour de nous, des regards vides. Toute la sourde douleur d’êtres en détresse. Et elle, si petite, si menu. Si fragile. Les jambes et les genoux serrés, elle noue et dénoue ses mains légèrement bleutées. C’est sa façon de crier, essaie-t-elle de me dire. Toute sa vie, elle aura ainsi retenu ses angoisses et ses colères. Son amour aussi. Je ne la quitte pas des yeux. Et le temps passe. Lourd. Il étend son ombre. Toujours plus dense. Je ne saurai jamais ce qu’elle cache. Quelques images et quelques mots resteront. Toujours les mêmes. Si peu pour une vie !
Lors d’une confrontation entre André Compte Sponville (A.C-S) et François Jullien sur les conceptions chinoise et occidentale du bonheur, ce dernier disait de Montaigne qu’il était « le plus chinois des penseurs occidentaux ». Pourquoi ? Parce qu’il est un penseur du devenir plutôt que de l’être, « de la vie plutôt que du salut, de la durée plutôt que de l’éternité, du présent plutôt que de l’avenir, de la transition (voire du « procès sans sujet ni fin ») plutôt que du progrès, du réel plutôt que du sens, du « jardin imparfait » plutôt que de l’utopie, enfin du « vivre à propos » plutôt que du bonheur ! », précise André Comte-Sponville à la page 159 de son « Dictionnaire amoureux de Montaigne. ». Comme les Chinois, on peut dire que Montaigne voit toujours un peu de yin dans le yang. Ainsi des plaisirs et des biens que nous avons, « il n’en est aucun exempt de quelque mélange de mal et d’incommodité ». De sorte que l’homme, en tout et par tout, « n’est que rapiècement et bigarrure. » Il dit encore qu’il nous faut négocier en permanence notre rapport aux autres et au monde ; que la seule raison n’y suffit pas, et que tout l’humain est sollicité : « pour l’usage de la vie et service du commerce public, il y peut avoir de l’excès en la pureté et perspicacité de nos esprits » et « Les opinions de la philosophie élevées et exquises se trouvent ineptes à l’exercice. » Ce disant, Montaigne nous met en garde contre ces promoteurs d’absolu et de pureté qui, en politique, voudraient réaliser et imposer à tous le meilleur des régimes. Hier, c’était au nom du communisme, du nazisme et du fascisme ; aujourd’hui, de celui de l’insoumission politique, de l’éco féminisme politique et du national populisme. Pour eux, qui veulent tout et tout de suite, leurs vérités sont un absolu et leurs contradicteurs une incarnation du mal, un ennemi qu’il faut abattre. Or une société ne se change pas par « décret » fut-il philosophique. Et « les lois mêmes de la justice ne peuvent subsister sans quelque mélange d’injustice », ajouterait Montaigne. Par les temps qui courent, sa pensée sans système est d’un grand secours. Elle éclaire « sur ce que nous sommes, sur la vie que nous menons, heureuse ou malheureuse, et sur ce que peut, ou non, la philosophie. » (A.C-S page 181) Sur ce que peut, ou non, la politique.
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