La petite fille qui suit du regard le cerf-volant rouge filant au gré du vent dans un beau ciel bleu s’appelle Carol. Carol Paredes ! Elle avait cinq ans quand le photographe a saisi cette belle image sur une plage de Djerba, en décembre. Et c’est encore avec beaucoup d’émotion qu’elle raconte cette extraordinaire et innocente aventure qui allait engager toute sa vie d’adulte. Un véritable conte de fée pour cette petite fille née dans une famille modeste de Toulouse et repérée lors d’un casting par une agence de communication chargée de la promotion de la jeune station touristique de Port Leucate.
Samedi, rendez-vous à Montpellier avec Jean-Claude et Francine, « des amis de plus de quarante ans » , – de mes premières années professionnelles en région parisienne, précisément, et retrouvés depuis leur installation à Nîmes –, pour y déjeuner dans un restaurant où j’ai mes habitudes – récentes, cependant. Mais avant de les rejoindre, comme à chaque occasion qui m’amène, en fin de semaine, dans cette ville où j’ai vécu pendant près de 15 ans, je consacre un peu de mon temps à passer d’une table à l’autre de son Marché aux livres installé sur l’esplanade du Corum. D’autant que les premières feuilles d’un alignement de platanes, sous lesquels les derniers bouquinistes finissaient d’installer leurs présentoirs, se prêtaient, plus que d’autres jours plus sombres de l’hiver dernier, par la grâce d’un ciel parfaitement bleu, à la lecture attentive de quelques pages d’un livre repéré sur l’un d’entre eux. C’est ainsi que, dans un état de rêverie attentive, je lisais et relisais le final d’une nouvelle – Les Morts – de Joyce ; un final que Steiner raconte, dans l’ouvrage – Errata – que je tenais entre mes mains, avoir lu à haute voix puis commenté dans sa chambre à des camarades d’étude troublés par ses beautés rhétoriques, au point d’en silencieusement pleurer.
Quelques légers coups frappés contre la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. Il s’était mis à neiger. Il regarda dans un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres tomber obliquement contre les réverbères. L’heure était venue de se mettre en voyage pour l’Occident. Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale en toute l’Irlande. Elle tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière d’Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du Shannon. Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. Elle s’était amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. Son âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tout l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts.
Je lisais et relisais donc ce texte, quand un amical « bonjour Michel Santo ! », inattendu en ce lieu, m’en fit sortir pour lever mes yeux sur le visage toujours aussi familier d’un de mes anciens collaborateurs perdu de vue depuis plus de 20 ans. Jacques Dartigue, puisqu’il s’agit de lui, se tenait là, devant moi, tout sourire, lui-même étonné de cette improbable et pourtant prévisible circonstance. Épris de littérature, sa trajectoire, en effet, devait fatalement un jour croiser la mienne et nous permettre ainsi de renouer le fil de nos discussions sur des bonheurs de lecture et des auteurs aimés, dont je prétendais alors, ce que je persiste encore à penser, qu’ils enrichissent un usage du temps strictement professionnel, convaincu, depuis la lumineuse découverte du Lucien Lewen de Stendhal, que cette littérature apportait plus de connaissances sur la nature humaine et les rapports sociaux en général que tous les livres de sociologie, notamment, longtemps considérés par « ma génération » d’intellectuels comme absolument indispensables à « tout honnête homme ». Jacques étant toutefois d’un tempérament rêveur et tourmenté, je l’avais, pour éviter qu’il ne se laisse envahir par sa passion littéraire, affecté à des travaux, disons plus méthodiques, qui l’ennuyaient sans doute profondément, mais qui lui permettaient de satisfaire ses besoins domestiques (il faut bien vivre !) ; travaux ingrats, certes, mais qu’il compensait par une participation éditoriale aux Cahier des Brisants, une petite maison d’édition de Mont de Marsan,qui publiait, à cette époque, des auteurs rares, dont Charles Juliet, ami de Jacques, qui, jadis, à l’occasion d’une de nos conversations entre deux portes ou dans mon bureau, me fit l’éloge des tout premiers livres de son journal – ceux d’un écrivain terriblement angoissé par les conditions précaires de sa vie et sa recherche d’une langue poétique propre à son être singulier – et devenu depuis une personnalité reconnue de la scène littéraire française…
Le temps passait malheureusement trop vite et nous nous sommes à nouveau quittés pour rejoindre nos amis, chacun de notre côté, tout en nous promettant cependant de reprendre ce bref échange de souvenirs un jour prochain ; un samedi, à Montpellier, évidemment !
Plus tard, je dirai à Jean-Claude et Francine, comment, par le hasard d’un livre de George Steiner feuilleté devant la table d’un bouquiniste, une part de mon passé s’est vivement présentée à mon visage…
André Subirana est de ces amis que je croise tous les jours dans les rues de ma petite ville. Il aime ces flâneries urbaines où son oeil averti capte des images qui aux nôtres se dérobent. D’un vif et discret « clic », il les fixe parfois, toujours en noir et blanc, qu’à de trop rares occasions cependant il expose.
La découverte d’un important ensemble funéraire antique jouxtant le MuRéNa semble réveiller la passion des Narbonnais pour l’archéologie. L’archéologie rejoint vite la passion, crée du rêve et des illusions, mais pour ceux qui en ont fait un métier, elle est aussi et avant tout une science avec ses méthodes rigoureuses, ses heures ingrates et son aride littérature.
Parallèlement à l’archéologie qui ne se déclenche sans autorisation et ne s’exerce sans contrôle, il est possible de pratiquer une activité libre et contemplative des vestiges de l’histoire, une activité en plein essor mais qui a aussi son code d’exigence, je veux parler de l’exploration. Et notre bonne ville, si riche en tradition archéologique, compte parmi ses enfants un explorateur fameux et singulier en la personne de Patrice Strazzera.
Patrice explore depuis maintenant quelques décennies le fond des mers, attiré par les épaves qui le tapissent, et qui avec le temps sont devenus d’étranges fantômes peuplés de gorgones et de pescaille. Patrice et son équipe de passionnés ont une prédilection pour les épaves du siècle passé, et plus spécialement les machines de guerres, avions et bateaux touchés coulés.
De ces explorations, il ramène des photographies, dont certaines sont publiées dans Le Sommeil des Epaves (d’autres ont fait l’objet d’une donation au Ministère de la Culture). Photos en noir et blanc empreintes de gravité et de magie, qui révèlent l’âme des épaves dans leur épais climat sous-marin. Photos de machines mortes, devenues silencieuses mais indiscutablement vivantes dans leur nouveau milieu. Patrice est un plongeur-animiste.
Il ne pense pas être un artiste, mais attribue ses photos à la chance ou à l’ivresse des profondeurs. Allez faire un tour sur ses publications (son site est ici) et vous serez très vite convaincus du contraire.
Ainsi que le film écrit et réalisé en 2012 par Jérôme Espla :
Tous les soirs d’été (ou presque), c’est apéritif (pas toujours) au Café de la Paix. Toujours à la même place, à sa terrasse (en réalité un trottoir) le dos au mur, qui offre une « vue » à 180 degrés sur la rue, piétonne dès 19 heures et envahie de tables et chaises entre lesquelles naviguent de petites flottilles de touristes, nombreuses quand un « chanteur » de rue anime le lieu jusqu’à tard dans la nuit.