Fort vent de Nord-Ouest, ce matin. Et froid ! Il entraîne vers la mer d’épais nuages bas et gris que trouent quelques rares puits de lumière. Les toits et les murs de la ville n’ont rien qui éblouissent les yeux. Leurs traits sont ternes, leurs formes plus lourdes. Comme celle des passants que j’aperçois de ma fenêtre. Le noir et le gris découpent leurs silhouettes. Ils marchent plus vite, le dos courbé. On dirait qu’ils portent le deuil d’un été sec et brûlant. L’automne n’a pas ses couleurs douces habituelles. Les choucas sont revenus qui, tous les soirs, à la même heure, disputent aux pigeons les tours Aycelin et de Saint-Just. Ils volent autour en criant, excités. Plus hauts, deux ou trois rapaces seront lâchés et fonceront sur des nuées d’étourneaux. Ils ne suffiront pas à les éloigner. Un homme tentera de les faire fuir en allumant des fusées. Elles feront un bruit épouvantable. Il fera nuit. Leurs yeux grands ouverts, des enfants trembleront sous leurs draps. Un sourire, une caresse les apaisera. Peut-être ! Trois fois rien. Comme, hier, cet homme perdu dans cette salle de détresse commune, venu vers moi, assis près de ma mère. Il a pris ma main du bout de ses doigts ; l’a regardée puis s’en est allé, le corps cassé. Sans un regard ! « Tu as des choses à faire Michel, il est temps de partir… ». Sur la route du retour, un coup de fil d’un ami. Il me parle de l’exposition d’Edvard Munch au musée d’Orsay. Son titre ? « Un poème de vie, d’amour et de mort ». Il ne pouvait pas savoir d’où je venais… Je lui ai dit que j’irai la voir aussi…
Hier, à Bram, dans l’Aude, Carole Delga, la présidente PS du Conseil Régional de la Région Occitanie, a lancé son « mouvement » d’opposition à la ligne pro Nupes de la direction de son parti. Elle a exhorté les participants à « travailler » à un projet de société qui « change la vie ». Que ça ! Et pourquoi pas changer ou raccourcir la mort, tant qu’on y est ? Voilà bien le genre de slogan et d’idées générales « ni vraies, ni fausses, ni justes, ni injustes, mais creuses » (Paul Veyne), et un tantinet désuète et ridicule, en l’occurrence, que plus personne ne veut entendre. Renaud Dély, qui participait à ces Rencontres, avait pourtant rappelé qu’une des faiblesses de la gauche, déconnectée du réel et repliée sur des thématiques communautaristes et identitaires, consistait à se réfugier dans l’indignation et la surenchère démagogique : « La colère est légitime, mais elle n’est pas pour autant le moteur de la gauche ». Une intervention sans concessions à la doxa politicienne de gauche que les participants ont écouté, note joliment le journaliste de l’Indépendant présent : « d’une oreille très discrète. Une attention toute relative… qui était surtout le fait d’une atmosphère conviviale et de la perspective d’un bon repas après une matinée d’ateliers intenses. »
Hier après-midi encore, j’étais sur la plage un livre à la main. Il faisait beau. Pas un nuage pour adoucir la lumière, mais un léger vent marin pour rafraîchir le corps. Assez proche, une jeune femme allongée sur une serviette « prenait le soleil ». Une forme sans vie, sans histoire. Comme abandonnée. Pendant quelques instants, j’ai imaginé deux ou trois choses d’elle. Un fantôme d’être, mais animé. Plus humain. Une large couche de nuages gris barrait l’horizon. Le vent avait forci. J’ai posé mon livre sur le sable, et je me suis couvert d’une serviette ; et j’ai laissé mon esprit à la traîne ; à l’abandon. Demain et les jours suivants seront plus frais et pluvieux. Il faudra sortir des armoires des vêtements plus épais, plus lourds. Ce sera la fin de l’été. Des jours suivront. Je jouirai d’une mélancolie vague et douce.
Pierre Reverdy, né le 11 septembre 1889 (13 septembre 1889 selon l’état civil) à Narbonne et mort le 17 juin 1960 à Solesmes, fut un grand poète précurseur du mouvement surréaliste du XXe siècle, ami et admiré par les plus grands : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault, Tristan Tzara… Il était à l’honneur dans sa ville natale pour cette 39e édition – les 17 et 18 septembre – des Journées européennes du patrimoine, conçue et réalisée par les équipes de la Médiathèque du Grand Narbonne. Pour leur ouverture, en effet, dès le vendredi 16 septembre, étaient au programme une conférence-lecture de Jean-Baptiste Para, suivie du vernissage de l’exposition qui lui était consacrée : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Une exposition remarquable à la fois par la qualité du « fonds » constitué par la Médiathèque : plus de 60 ouvrages (éditions originales, œuvres illustrées par de grands artistes), et l’élégance didactique de sa présentation. Un peu avant sa visite, Jean-Baptiste Para, lui-même poète, critique d’art et rédacteur en chef de la revue littéraire Europe nous avait présenté les grandes lignes de la vie de cet immense poète et de son œuvre, ses relations avec ses amis, poètes et peintres majeurs du XXe siècle. Ce fut un moment de grâce ! Un bel exercice d’admiration empreint d’humilité dont l’érudition et l’intelligence parvenaient à nous rendre sensible un imaginaire et une poésie considérée par beaucoup comme difficile d’accès. La voix de Jean-Baptiste Para, ronde et douce, y contribuait grandement… C’était la première fois que Pierre Reverdy se faisait ainsi entendre. Plus tard, j’ai ouvert ma liseuse et relu les surlignements de son « Livre de mon bord » (1948) faits à l’occasion de mes lectures. En voici trois :
« Le style, c’est peut-être l’homme. Mais l’art d’écrire est plein de perfidie. On lit avec intérêt l’ouvrage d’un homme avec qui l’on ne pourrait parler cinq minutes sans avoir envie de le gifler, et tel autre, que l’on trouve crispant à lire, si on le connaissait, pourrait être un charmant ami. »
« Il y a les idées qui partent dans l’air, dans la réalité comme des balles de pelote. Les dures, les bonnes rebondissent — les molles, les mauvaises, les fausses retombent au pied du mur, lamentables. Mais c’est de celles-là que l’on est, précisément, assommé. »
« Un visage plein de sourires, comme une coupe de beaux fruits. »
C’était hier. Elle était avec un petit groupe autour d’un guide sur la place de l’hôtel de ville à écouter ses explications – elle semblait attentive ! Et quand son visage s’est tourné vers le mien, c’était comme une coupe de beaux fruits … « Chose troublante dans ce monde de haine — un regard inconnu d’où déborde la sympathie. » (Le livre de mon bord)
Roger Federer a déclaré qu’il prenait sa retraite. C’était un génie. Chacun de ses gestes, de ses déplacements sur un cours de tennis signait un trait d’intelligence et d’élégance. Il ne jouait pas, il créait. Son jeu inspiré était d’une beauté irradiante. Il aura ainsi élevé la pratique de ce sport au rang d’œuvre d’art. On devrait étudier et promouvoir son style dans toutes les écoles : les petites et les grandes.