Contre-Regards

par Michel SANTO

Chronique du comté de Narbonne.

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Mon très cher Oncle !

Avez vous remarqué, dans ma dernière missive, qu’au voussoiement de l’entame s’est substitué, dans ses derniers articles, le tutoiement plébéien qui faisait tant horreur à votre vénérable frère, mon très regretté père. Aussi, attendais je en retour votre lettre dans la plus grande inquiétude. Mais quelle ne fut pas ma surprise ne n’y trouver nulle allusion. Connaissant votre grande tolérance envers les mœurs de notre époque qui traquent avec un zèle insatiable signes et mots suspects d’une quelconque allégeance, j’en conclus que vous ne m’en tenez point rigueur et que vous êtes présentement converti à cette moderne façon d’envisager nos rapports « filiaux ». Sacrifions donc à ce désir de nivellement des hiérarchies sociales et familiales. Soyons les dignes contemporains de cette société du bon sentiment, si faussement naïve et si cruellement cynique. Oui ! Puisque tu me le demandes -ma plume tremble à ce tu impératif-, Monsieur Patrick de la Natte a fini d’aménager son office de porte-plume en chef de  Messire Jacques de Labatou. J’espérais le rencontrer entre Château et Rive Gauche, cette taverne où il avait ses habitudes du temps, où, gazetier en chef du Tirelire, il chroniquait à la « hache » contre le duc de Lamonyais et son fidèle intendant Lemaillet, pour lui transmettre tes malicieuses félicitations, mais les circonstances et de grandes occupations ne me l’ont point permis. Renseignements pris auprès d’un de ses anciens collègues qui ne supporte pas que sa petite queue de cheval catoganée baguenaude ostensiblement sous ses fenêtres, de La Natte serait dans une phase d’observation de son nouveau terrain de jeu. Une arène devrais je plutôt dire. Et qui promet d’être sanglante. Sais tu que le Prince, dit le petit, de Gruissan, qui pourtant est de la même famille florale que le Comte de Labatou, mais qui, surement, à de grandes ambitions, a décidé de s’emparer de sa charge à la Cour du roi. Une charge qui devait revenir à sa favorite, la pauvre marquise de Fadre, toute marrie depuis. Tant de dévouement et de sacrifices à servir son seigneur pour en arriver à cette désespérante situation ! Gageons cependant qu’elle ne se laissera pas manger une aussi gratifiante députation. Tu sais mieux que moi, pour fréquenter assidument cette engeance parlementaire, qu’à l’exception des quelques rares seigneurs susceptibles d’être choisis un jour pour siéger au Conseil du Roi, les autres ne font que parader lors des grandes joutes parlementaires. Ne me disais tu pas qu’à les voir, dans ces occasions, lancer leurs chapeaux à plume dans toutes les directions et frapper frénétiquement leurs pupitres de leurs épées, te revenaient à l’esprit certains jours de folies carnavalesque sur le mail de notre cité ? Bref, c’est la guerre dans le « camp de la Rose » ! D’un côté, des parlementaires qui furent employés aux écritures de leurs prédécesseurs et qui se transmettent la « martingale » de génération en génération ; de l’autre, un ancien et alerte joueur de ce jeu inventé par nos barbares voisins d’Outre Manche, qui, désormais, veut sa place au centre du Grand Comté de Narbonne. Deux styles aussi ! Pour les premiers, celui assez classique des parvenus de la Cour : habits sombres et lunettes de notaire apostolique sur des physiques ventripotents (la mollesse de corps et la fadeur vestimentaire souvent les définissent) ; pour le second, celui d’un homme à la ligne racée et à la mise dégagée, qui sied à ceux qui ont pour habitude de soigner leur silhouette en trottinant tous les matins. Déjà, sentant le vent tourner, des conseillers de Messire Jacques de Labatou et de la Marquise de Fadre,  ne trouvent que grâces et bonheurs dans les atours d’éloquence du Petit Prince de Gruissan. Ah ! mon oncle, que je te dise aussi qu’à la grande surprise de tous, mais non de la mienne – notre ami le duc de Lamonyais m’en avait entretenu sous le sceau du secret -, certains membres en dissidence du parti de la « Pomme » : les sieurs Fraise et Basanti, qui siègent avec lui sur les rangs de l’opposition au conseil de Narbonne, participaient à cet adoubement collectif placé sous les auspices de la très vénérée tour de Barberousse. Enfin ! de ce qu’il en reste ; pour tout dire : pas grand chose. Le premier est homme d’influence dans la mystérieuse tribu des fumeurs de havanes sur laquelle, me le disait encore tantôt l’un de ses membres, le sieur de la Brindille, les lourds nuages tabagiques qui habituellement président à leurs libations ne parviendront pas à étouffer les échos de l’homérique bataille annoncée. Voilà, mon cher oncle, de quoi satisfaire notre terrible et ex gazetier en chef de la Natte. Saura-t-il répondre aux tumultueux besoins de son nouveau maître Labatout? Pourra-t-il convaincre ses anciens porte-plumes de « Tirelire » de l’aider dans ce combat? Obtiendra-t-il du « Dépendant » une neutralité positive en échange de quelques gâteries ? Attendons qu’il soit entré dans la bataille. Car il sait tout des fortunes, celles des alcôves et les crimes commis l’éthique aux lèvres et les dagues aux poignets. Ni mage ni sorcier cependant, au cœur des luttes d’ambition et de pouvoir, il ne pourra plus se cacher sous les masques de l’indépendance et de la vérité du gazetier. Fabricant « d’images », son sort est désormais lié à celui de son maître et de sa favorite…Il est condamné à vaincre ! Mon cher parent, la nuit tombe et mes paupières aussi. On m’attend au pays des rêves et des grandes illusions. Je te quitte et ne manquerai pas de te narrer la semaine qui vient les dernières péripéties de cette petite vie narbonnaise que ses protagonistes veulent grande. Je t’embrasse affectueusement…

 

 

Schizophrénie française.

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Les Français sont très inquiets quant aux capacités de la France à affronter la crise économique, 79% pensant que leur pays est « en pleine crise », contre 52% des Américains, 38% des Allemands, 38% des Russes et 35% des Chinois, selon un sondage Ifop pour La Croix.

L’idéogramme qui, en japonais, exprime une situation de crise est fait de deux signes. Le premier signifie danger, le second opportunité. Le grand stratège chinois Sun Tsé, lui, a théorisé que les batailles se gagnaient d’abord dans les « têtes ».

A lire ce sondage, les français, contrairement aux américains, aux chinois et aux allemands, notamment, auraient donc déjà perdu la « guerre » économique. Ce qui paraît manifeste à lire et écouter nos médias, plongés dans la sinistrose et le misérabilisme ; et qui nous présentent comme seul avenir…celui de la Grèce !

Indécrottables gaulois ! dont l’arrogance à se vouloir le nombril du monde est directement proportionnelle à leur incapacité à se remettre en question. Et à se retrousser les manches…

 

Chronique du comté de Narbonne.

Mon très cher parent!

Quand vous lirez cette lettre, Monsieur Patrick de la Nappe, que vous connûtes  lorsqu’il chroniquait sur les embouteillages créés par l’édit du seigneur de l’époque, notre estimé duc de Lamonyais, qui crut bon d’interdire alors la circulation de carrosses dans le centre de notre cité, Monsieur Patrick de la Natte donc, disais je, sera lui, quand vous me lirez, tout content de revêtir, ce tantôt, sa vêture espérée de porte-plume en chef de  Messire Jacques de Labatou, comte de Narbonne et seigneur de ces terres prises au susdit Lamonyais en l’an 2008 de notre ère; des terres dont je vous ai si souvent vanté les couleurs et les pâles vertus. La vigne et le rythme singulier de sa culture, imprègnent ici, en effet, les esprits et les mœurs de tous ceux qui y vivent . Un étrange mélange de nonchalance attristée et de frondeuse contestation les poussent ainsi, je vous l’ai maintes fois écrit, par une implacable logique où l’intérêt se pare des idéaux de la «  communauté », à se soumettre aux seigneurs  les plus adroits et les plus généreux dans la distribution de prébendes, faveurs et privilèges. Mais je m’égare! Pour en revenir à notre Monsieur de la Nappe, ni les cloches de Saint Just, ni les trompettes de la cour n’ont encore sonné pour saluer l’arrivée du nouveau chevalier à la propagande seigneuriale qui, jadis, fut celui, farouche, d’une information plébéienne exprimée en toute liberté. Seuls, pour l’heure, ses amis gazetiers ont aligné quelques  fades et précautionneux traits. Il est vrai qu’ils n’ont pas oublié ses féroces assauts, menés, du haut de sa monture de premier Scribe en Chef d’une des deux gazettes locales, quand il sabrait, du glaive de sa vérité, le mal et le mensonge qu’incarnaient, alors, à ses yeux, le duc de Lamonyais et son intendant, le sieur Lemaillet. La prudence, mère de la fortune, naturellement s’imposait à nos échotiers ! Mais, déjà, tu ne me croiras pas, dans les tavernes, les guinguettes et devant les étals du marché, on ne murmure le nom de Patrick de la Nappe qu’avec crainte et fascination. Est ce à cause du souvenir de sa haute silhouette, de son visage acéré, de sa petite queue de cheval dégageant le haut de son crâne dégarni, ou de ce style si particulier qui donnait à ses écrits une autorité implacable ? Sans doute un peu de tout cela ! Je ne suis pas sur, ce disant, que  les prétendants au « trône » du comte, forts nombreux et dispersés comme un nuage de sansonnets, en soient les plus affectés. Nenni ! j’entends plutôt, en effet, des bruits de cour, certes aujourd’hui mesurés,  mais qui demain, sans aucun doute, feront trembler les murs, les plafonds et les tourelles du « Château ». Monsieur de … me l’assure, intendants, surintendants, valets et «  petits ducs » affuteraient distraitement dagues et fleurets.  A ce propos, j’ai appris ce matin, qu’un dénommé Le Noir, au visage lourd et onctueux, avait désormais les yeux et les oreilles du comte de  Narbonne. Alain de Paréo, l’ancien économe du palais, ayant été répudié par son maître, tenterait, me dit-on, d’oublier sa déconvenue dans les nuages tabagiques d’une étrange tribu de fumeurs de Havane !  Tribu dans laquelle s’ébroue et se console aussi De la Brindille, éphémère gouverneur du Roi, frappé de déchéance et plein de ressentiment envers sa majesté Nicolas Sarcoti. Toute cette petite compagnie ripaillant dans la joie narcissique d’appartenir à une confrérie bénie par les dieux du pouvoir, et, pour certains, de l’argent. Comme tu peux le constater, mon cher Oncle, la vie de la cour, dans cette petite ville qui se veut grande, est très agitée. Il ne passe pas une journée sans que n’entrent ou sortent, dans les conversations de table, courtisans et flatteurs déchus ou honorés. Mais il se fait tard, et je connais ton impatience à me lire. Je connais aussi ton goût pour les courtes missives. C’est donc avec le plus grand respect que je dois à ton âge, que je te laisse méditer ces petits jeux de la « haute société » narbonnaise. Je ne manquerai pas non plus, d’adresser à Patrick de la Natte tes vœux de bonheur dans ses nouvelles fonctions. Tu m’avais dit qu’il devrait, un jour, les exercer en récompense de son zèle passé à saborder les travaux de l’ancien seigneur des lieux, le duc de Lamonyais. Ton flair, et ta connaissance des hommes, encore une fois, n’ont pas été pris en défaut ! A bien y réfléchir, il devrait s’y épanouir. Seule la distance, en effet, sépare son ancien office de celui qu’il va demain occuper.Je t’embrasse affectueusement et ne manquerai pas de te narrer très bientôt les prochaines tribulations de la petite – mais elle se veut grande ! – société narbonnaise. Couvre toi bien ! Le vent est toujours froid, malgré un fort redoux.

Ton fidèle neveu.