Contre-Regards

par Michel SANTO

Parfois un cyprès pousse en toi…

 
Me.29.6.2022
 
9h30, devant la petite porte de l’ancienne entrée du cimetière de l’Ouest, cet admirable cyprès qui toujours plus haut par delà tout oubli s’élance et s’étire jusqu’au ciel.
 
 
« Parfois un cyprès pousse en toi
Consentant
tu porteras fruits
Foudroyé
tu deviendras torche »
 
François Cheng 
     

Un dimanche pas comme les autres…

Di.26.6.2022 Quand je suis entré dans sa chambre, je l’ai trouvée assise sur son fauteuil lisant un de ces ouvrages à la reliure cartonnée d’une collection destinée aux enfants : « Le petit lion cow-boy ». C’est bien maman ! Oh tu sais c’est écrit en gros caractères et l’histoire est très simple. C’est égal, l’essentiel est que tu fasses travailler tes neurones. Mais je ne suis pas encore folle, tu sais. Mais enfin, Maman ! Les mots venaient sans gros efforts. Et l’ironie n’était pas absente. Elle va beaucoup mieux en effet depuis qu’elle a décidé de ne plus aller dans la salle commune. Le spectacle éprouvant d’hommes et de femmes dévastés au physique et au mental la déprimait. Quand seule à présent, au travers de sa baie, large et haute, donnant sur une grande cour intérieure, elle peut voir les aides soignantes s’installer sous une tonnelle et prendre quelques minutes de repos. Elle me fait remarquer aussi que de nouvelles fleurs ont été plantées dans deux grandes jardinières. Et puis elle a devant elle un grand pan de ciel. Il est bleu et un peu nuageux aujourd’hui. Je lui montre le mouvement des nuages et le vol des martinets. On s’amuse d’une libellule qui voudrait briser la vitre. Le temps passe ainsi, lourd de ces petits riens. Elle me dit que j’ai du travail et des petits et arrières petits enfants à m’occuper. Qu’il est temps de partir. Elle se lève et m’accompagne jusque sur le pas de la porte. Je la quitte sur une dernière caresse dans ses cheveux. Puis un long couloir et d’autres chambres, d’autres portes ouvertes ; des corps tordus, des cris, des gémissements… La sortie, enfin ! Quinze minutes plus tard, je me suis arrêté devant la gare de Lézignan. J’ai fait monter dans mon véhicule un jeune homme tout habillé de noir qui faisait du « stop. ». À mon côté désormais , je voyais distinctement son visage. Défait. Il pleurait. En silence et sans larmes. Il venait de quitter sa compagne et sa fille de trois ans. « C’était infernal… Une guerre permanente. Des cris… et la petite au milieu… On s’était séparé l’an dernier… Mais on pensait qu’on pouvait tenter de revivre ensemble… J’ai tout abandonné pour elles, ma maison, mon boulot, à Béziers » Je lui ai alors raconté des histoires comme la sienne, mais des histoires qui ne finissent pas toujours dans la violence et la peur ; et lui ai dit aussi qu’à 24 ans rien n’était jamais acquis, surtout pas le désespoir. Je l’ai déposé devant la gare de Narbonne. C’était son souhait. Romain, il s’appelait. Il était né dans le 93 et, avec sa « copine », avaient un jour pris la route pour le midi et le soleil. Je ne reverrai jamais ce jeune homme. Mais comment l’oublier ! Comment oublier ce visage, cette voix ; ces longues cicatrices à son poignet ; son lourd sac noir à son épaule ; son « Merci, Monsieur !… »

Les Français au divan !…

     

Ve.24.6.2022

Dans mon département, l’Aude, ses habitants se sont réveillés un lundi matin avec trois députés RN. Et depuis, comme partout ailleurs dans ce pays, sonne un même concert de lamentations sur un seul thème, obsédant : « c’est la faute à Macron » ; un concert envahissant tout l’espace radiophonique et télévisuel, notamment, et comme dirigé par un « chef » omniprésent mais invisible, en quelque sorte fractal, qui en donnerait le rythme et le ton face à des spectateurs, de moins en moins intéressés cependant, cherchant à tout prix un exutoire à leurs désirs contradictoires. Aussi, comme toujours dans ce genre de circonstances, j‘en arrive à me demander si ce « chef » symbolique là, toujours en état de guerre permanente et voulant toujours « tuer le Père », n’était pas malheureusement la preuve d’un rapport des « français » et de leurs représentants, au réel politique, relevant moins, pour le comprendre, de « sciences » prétendument spécialisées, que de la psychanalyse.

   

Le jour du solstice d’été fut sans lumière…

   

Entre le grau des Ayguades et la plage des Chalets, la mer grondait, l’air était poisseux et les nuages bas, noirs, bouchaient l’horizon et couvraient la Clape. Tout était gris. L’écume seule traçait ses sillons argentés sur des vagues déchaînées. Le monde était sombre, en colère. Pour franchir le chenal de Mateilles, j’ai pris la passerelle joliment nommée « des mots doux ». Le ciel s’était soudainement éclairci. Je m’y suis arrêté quelques instants, avant de continuer ma route. Un simple mot suspend le temps. Il suscite un enchaînement infini de pensées. Doux ! Quand hier encore sur la plage le sable griffait les visages et des mots sur les ondes violentaient les esprits. Le jour le plus long de l’année ne tiendra donc pas sa promesse, pensais-je : il se couchera sans lumière. Mais quelle paix après de si vains efforts !

     

Deux, trois remarques sur les législatives 2022 dans l’Aude, et ailleurs…

 

Lu.20.6.2022

Dans mon département : l’Aude, sur les trois députés sortant LREM, seul celui de la deuxième circonscription (celle où je vote) Alain Perea, était en lice au second tour face à un candidat du RN parachuté dont personne n’avait jamais entendu parler ; dans les deux autres circonscriptions, les représentants de ce même parti, arrivés en tête sur l’ensemble du département au premier tour, étaient opposés à des candidates Nupes. Et dimanche soir, les audois ont finalement envoyé sans barguigner à l’Assemblée Nationale trois députés d’extrême-droite. Un carton plein. Avec des scores sans possibilités d’appel. Un résultat historique dans un département qui, il y a 93 ans envoyait Léon Blum à l’Assemblée. Et pour expliquer ce résultat, chaque camp fait évidemment le procès à l’autre de n’avoir pas fait « barrage » en mobilisant le désormais fantomatique « front républicain ». Alors disons les choses simplement et calmement. Comment les dirigeants de NUPES, des LR et du RN, qui ont mené une campagne d’une agressivité inouïe en faisant de ce second tour un référendum anti-Macron, pour, au mieux pour les premiers, obtenir une majorité et envoyer Mélenchon à Matignon, et au pire pour ce dernier, et au mieux pour les deux autres, imposer au Président une majorité relative, aient pu croire que ces appels hypocrites au-dit « front républicain » allaient être entendus ? Conséquemment, dans « ma » circonscription, les électeurs Nupes et LR les plus déterminés (en s’abstenant ou votant pour) ont donc choisi, de fait, le candidat RN tandis que dans les deux autres, les électeurs LREM et LR faisaient de même. Au tout début de cette campagne, j’écrivais que cet accord électoral NUPES, sa direction politique et idéologique insoumise, ses thèmes de campagnes et sa violence symbolique faisaient objectivement le jeu du RN. Ce matin, je constate, sur un plan plus général, qu’il n’a pas permis à ses composantes de gagner la majorité, d’envoyer Mélenchon à Matignon ni de marginaliser le RN – ce dernier obtenant même un nombre de sièges supérieur à La France Insoumise. Un bilan que son « leader à vie » n’hésite pas à considérer néanmoins comme « globalement positif ». Sans rire !

     

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