Contre-Regards

par Michel SANTO

 » L’Oeuvre au Noir « : notes.

 

On lit le crayon à la main « L’œuvre au noir » de Marguerite Yourcenar, dans la collection « Blanche », chez Gallimard-1968 (trouvé chez mon bouquiniste). Un chef d’œuvre ! Comment ai-je pu passer à côté de ce roman, qui figure désormais dans mon « petit panthéon personnel ».

Un plaisir de lecture mêlé d’émotion. Celle de découvrir (dans tous les sens du terme) un continent littéraire à peine survolé lors de lectures précédentes….?

Ceci souligné de rouge ou de bleu, à mon humeur :

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 Zénon : Par-delà ce village, d’autres villages, par-delà cette abbaye, d’autres abbayes, par-delà cette forteresse, d’autres forteresses. Et dans chacun de ces châteaux d’idées, de ces masures d’opinions superposés aux masures de bois et aux châteaux de pierre, la vie emmure les fous et ouvre un pertuis aux sages. Le Grand Chemin, p. 16

Zénon : Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? Le Grand Chemin, p. 16

Henri-Maximilien Ligre : On est bien que libre, et cacher ses opinions est encore plus gênant que de couvrir sa peau. La Conversation à Innsbruck, p. 104

Zénon : Ces plats raisonneurs portent aux nues leurs semblables et crient haro sur leurs contraires; mais que nos pensées soient véritablement d’espèce différente, elles leur échappent; ils ne les voient plus, tout comme un bête hargneuse cesse bientôt de voir sur le plancher de sa cage un objet insolite qu’elle ne peut ni déchirer ni manger. On pourrait de la sorte se rendre invisible. La Conversation à Innsbruck, p 105

Zénon : Entre le Oui et le Non, entre le Pour et le Contre, il y a ainsi d’immenses espaces souterrains où le plus menacé des hommes pourrait vivre en paix. La Conversation à Innsbruck, p.105

Henri-Maximilien Ligre : […] je ne traverserai pas les siècles relié en veau. Mais quand je vois combien peu de gens lisent L’Iliade d’Homère, je prends plus gaiement mon parti d’être peu lu. La Conversation à Innsbruck, p. 116

Zénon : Je sais que je ne sais pas ce que je ne sais pas ; j’envie ceux qui sauront d’avantage, mais je sais qu’ils auront tout comme moi à mesurer, peser, déduire et se méfier des déductions produites, faire dans le faux la part du vrai et tenir compte dans le vrai de l’éternelle admixtion du faux. La Conversation à Innsbruck, p.118

Zénon : Je me suis gardé de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d’exactitude.La Conversation à Innsbruck, p. 119

 

Ce souvenir n’est point pâli.

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Elie.Y est mon médecin. C’est un bon ami aussi. Il l’est devenu depuis mon retour à Narbonne, qui m’a vu naître et grandir. Pendant ma petite adolescence, il était le «docteur» de la famille. Notre différence d’âge est grande, mais à présent nous voilà complices, même s’il persiste à m’appeler «Mon petit!».

Ce matin, je passais par hasard devant son cabinet et, comme à mon habitude en pareille circonstance, y suis entré dans l’intention de le saluer. Sa porte était grande ouverte sur son bureau vide au premier plan duquel trônaient un tas de dossiers médicaux, de journaux et de revues spécialisées, de boîtes de médicaments et d’objets divers. De cette pile informe, s’en distinguait au sommet, par sa belle tranche rouge vif et l’élégance de sa reliure, un livre: «Les Fleurs du mal», dans l’édition Baudoin! Que je ne pus m’empêcher d’ouvrir à la page indiquée par une carte de visite au nom d’une dame J…, notaire de son état, pour y lire ce poème. Un tendre souvenir, une ultime confidence adressée par une ancienne amoureuse à mon cher Elie, sans doute. Un secret à peine dévoilé dont je ne connaîtrai jamais le sens profond mais qu’il me plaît d’interpréter ainsi:

De qui donc Pupponi est-il l’emblème?

 

 

Pour François Pupponi, député maire PS de Sarcelles, qui succédât, en son temps et en ce lieu, à DSK : « La plainte de Tristane Banon contre DSK ressemble fort à de l’acharnement politique« . Sic ! Venant de quelqu’un dont le « métier » est d’en faire, la charge vaut compliment. Qu’espérer conquérir et garder en sièges et revenus sans  obstination, en effet ? Et souvent mauvaise foi. En l’occurrence bien condescendante à l’égard d’une accusatrice dont il est suggéré qu’elle serait la fausse victime d’un crime en réalité perpétré par elle à l’encontre d’un malheureux innocent. Dieu me garde de prendre parti dans cette troublante et mystérieuse affaire ! Constatons tout de même l’esprit de suite de Martine Aubry qui vient d’élever  Pupponi au rang de Monsieur Sécurité (!!!) dans son « gouvernement fantôme ». Une promotion surprise qui ressemble fort à une réhabilitation symbolique de celui qui fut son mentor. Mais qui, en la circonstance et à son corps défendant, semble toujours rester prisonnier, par d’étranges liens et coïncidences allusives, avec le « commerce » policier…Pur hasard, sans doute!

Un privilège de caste: le cumul des mandats.

     

Sénateurs et députés cumulant des mandats vont pouvoir continuer à distribuer une partie de leurs revenus parlementaires aux élus de leur choix. La majorité sénatoriale a supprimé, lundi 11 juillet, un amendement passé quelques jours plus tôt à l’Assemblée par le député René Dosière, qui obligeait les élus qui dépassaient le plafond légal d’indemnités perçues au titre de leurs différents mandats à reverser le surplus à leur collectivité. Et ce après que le Sénat a décidé d’attribuer une prime de 3 531,61 euros aux sénateurs, somme correspondant, selon un document de la questure, « à un rattrapage exceptionnel sur un complément d’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) versé en une seule fois fin juin ».

L’explication de Gérard Larcher, président UMP du Sénat :« . « La démocratie, ça a aussi un prix ! Il faut que des parlementaires soient indemnisés ». Ben voyons ! A ce niveau d’aveuglement on se demande si, au-delà d’un certain seuil de cumuls et d’indemnités on accorde encore du prix à la décence la plus élémentaire. Qu’on en finisse donc avec cette exception politique française du cumul des mandats ! Qui, pour l’heure, hélas !, ne figure dans aucune des propositions présidentielles des très nombreux candidats potentiels. Le signe manifeste d’une caste qui ne craint plus quelque «  nuit du 4 août ». Jusqu’à quand ?

 

 

 

Une poésie d’ombres entrevues ( Reverdy ).

Unknown

Pierre Reverdy si peu connu et si mal aimé des narbonnais, au rang desquels il figure pourtant comme une de ces « voix » les plus singulières qui se puisse encore faire entendre. Avec l’ami Gil Jouanard, du temps où il dirigeait le Centre Régional des Lettres de Montpellier, nous avons fini par le faire reconnaitre, chez lui, auprès du Maire et de l’adjoint à la culture de l’époque. Un lycée porte désormais son nom et un de ces poèmes éclaire la façade d’un immeuble public voisin du mien. Et ce beau texte de Gil Pressnitzer:

«Pierre Reverdy, l’ermite de Solesmes, est un poète passé de mode, lui qui fut longtemps considéré comme le plus grand. On préfère maintenant des liqueurs plus fortes comme les éclats de silex de René Char, ou les jongleries verbales de Gherasim Luca ou Jacques Roubaud. Mais il est tant de poèmes de Reverdy pour lesquels je donnerai les œuvres complètes de ceux-là.

Notre narbonnais aux sourcils noirs, à la mèche combattante et à l’accent épais et râpeux comme le vin lourd de la Clape, est décrété trop monotone. Certes bien sûr il a écrit des centaines de poèmes, mais en fait toujours les mêmes vous dit-on, comme ce pauvre Vivaldi avec ses concertis. C’est ne rien vouloir comprendre aux mouvements imperceptibles de l’infini.

Oui, on ne peut mettre en chansons ses poèmes qui sont une musique en équilibre sur les toits du silence. Oui, il fut tellement adulé par ses amis peintres ou surréalistes que la vague ne pouvait que retomber. Oui sa lecture demande la complicité des nuits haletantes où tout est suspendu.

Oui, il est sombre.

L’éther qui nous entoure aussi le savez-vous ? Et toutes les fenêtres vous regardent.

Un homme est tombé

Quelqu’un est sorti et n’est pas rentré

Au cinquième la lampe est toujours allumée.

Mais qui encore écrit comme cela de nos jours, qui va aussi loin dans la réalité du silence, de l’attente ?

Une suite de mots infiniment simples, d’objets familiers, de sensations connues, et leur mise en ligne dans le poème conduit aux grands mystères. En se mélangeant ces morceaux de briques élémentaires font un château hanté. Sa poésie semble se refermer hautaine sur de l’ombre entrevue, elle nous ignore nous de l’autre côté de la feuille blanche, elle nous résiste, nous sourit comme un sphinx. À vous de voir et de savoir nous dit-elle, chat noir parmi les chats noirs.

Une voix sans timbre qui nous hèle et le vent se renverse, et sa poésie couverte de sueur, de peur, bat en plein en nous.

Un de ses plus beaux poèmes dit ceci :

ESPACE

L’ÉTOILE échappée

L’astre est dans la lampe

La main

tient la nuit

par un fil

Le ciel

s’est couché

contre les épines

Des gouttes de sang claquent sur les épines

Et le vent du soir

sort d’une poitrine.

… « L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.

Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ». Et il refuse d’être un simple médium passif du monde. Lui l’ascétique, le converti au catholicisme en 1926, et très vite désillusionné, refuse le jeu. Il met toujours son existence balance dans ses mots. Ces poèmes « ne sont qu’entre les lignes ». Il faut les deviner, passer par leur ambiguïté, leurs flaques de silence et de verre,

…Reverdy nous dit que l’on n’est pas poète par occasion, mais pour tout l’être tendu, vers la fixation en traits concrets, la résolution en gouttes limpides d’un état diffus et d’un trouble intérieur.

Toujours m’a frappé l’écart entre sa voix roulante de Narbonnais et le volatil de ses mots. Sa glèbe et sa tramontane se sublimaient dans l’écriture.

Toute en impression fugitive, sa poésie restée la patte en l’air, figée par ce qu’elle seule a vu, et que nous ne voyons pas encore. Ce descendant d’une lignée de tailleurs de pierre savait ce que voulait dire le geste juste, le geste sobre, le geste d’éternité. Son père lui avait appris le vent dans la montagne, la lecture et l’écriture. Il connaissait le poids du pain, le poids des choses, la difficulté de l’amour…

…C’est dans un texte comme celui qui suit que l’on peut saisir la poésie de Reverdy.

Une inquiétude qui sourd, un climat de suspension ave le terrible tapis devant la porte. Quelque chose est passé ou va passer, et le simple frémissement du vent est peut-être notre heure dernière. Des mots élémentaires, des phrases courtes, simples à pleurer. Des ombres furtives de mots. La poésie de Reverdy ne dit pas, elle chuchote. L’angoisse est aux aguets. Le temps s’immobilise. L’invisible marche de long en large. Ses pas craquent jusqu’à nous.

Reverdy est le chaman du mystère immédiat, du réel devenu lyrique.

La lampe

Le vent noir qui tordait les rideaux ne pouvait

soulever le papier ni éteindre la lampe.

Dans un courant de peur, il semblait que quelqu’un pût entrer.

Entre la porte ouverte et le

volet qui bat – personne !

Et pourtant sur la table

ébranlée une clarté remue dans cette chambre

…Pudique il parlait peu de sa vie, aussi il sera simplement mentionné qu’il est né 13 septembre 1889 à Narbonne, qu’il aura été imprégné des odeurs de la Montagne noire et de la mer, qu’il aura connu Paris et ses artistes dés octobre 1910.

Là il débarque dans les brumes de la ville et des locomotives. Il aura froid, il aura faim…

…Le 17 juin 1960 il meurt à 71 ans, et à Solesmes, dans « cet affreux petit village où il fait toujours froid ». Dans la solitude et l’exigence. Il voulait vivre et mourir dans la même tempête, ce fut une tempête de silence et de questions. Il écrira peu en ce lieu, toujours tendu vers Paris.

Il dit « prier le ciel que nul ne le regarde pour aller mourir au creux de la nuit ».

Faire le gros dos jusqu’à ce que le poème soit passé sera notre ressource. Nous n’en sortirons pas indemne, nous le savons.

Reverdy nous a dit le nom de l’ombre.

« Je suis un témoignage fendu de la tête aux pieds, une indication précise mais fugitive de ce qu’a voulu dire la création en remontant de nos jours jusqu’au commencement des termes » (Étoile filante)

Reverdy ne violente pas le lecteur, il ne construit pas des étangs dans ses poèmes où se contempler.

René Char dit de lui que « c’est un poète sans fouet ni miroir ».

Reverdy n’est que suggestions qui montent de la brume des jours, qu’allusions, que frôlement d’ailes. Il parle sans bruit, il murmure du fond du puits de sa solitude. Il se veut effacé, modeste, éteint :

De ma vie, je n’aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.

Lucide avant tout, lucide jusqu’au foudroiement :

Le vent se tait, la voix se tait. Sans bruit, la neige de ses mots tombe sur nous.

Quelqu’un vient. Et c’est quelqu’un qu’on n’aura vu qu’une seule fois dans sa vie.

C’est Reverdy.

Lui « l’aveugle dont les yeux sont au bout des doigts ».