Contre-Regards

par Michel SANTO

L’oeuvre au noir: notes, suite et fin.

 

 

 

 

 

Cet après midi était bien noir. Ciel de Flandres et vent violent. Et fin de ma lecture de ce chef d’œuvre que je reprendrai sans doute aucun. En attendant, je continue le voyage avec « Les yeux ouverts », livre d’entretiens où Marguerite Yourcenar, par l’art du questionnement de Matthieu Galley, livre quelques clefs sur ses romans et récits…

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« Pour Zénon, le procès n’était plus guère que l’équivalent d’une de ces parties de cartes avec son gardien, que par distraction il perdait toujours. La vérité, si on l’eût dite, eût d’ailleurs dérangé tout le monde. Là où il disait vrai, ce vrai incluait du faux : il n’avait abjuré ni la religion chrétienne ni la foi catholique, mais il l’eût fait, s’il l’eût fallu, avec une tranquille bonne conscience, et fût peut-être devenu luthérien s’il était retourné, comme il l’avait espéré, en Allemagne. D’autre part, là où ses dénégations n’étaient littéralement qu’un mensonge, comme dans l’affaire des soins donnés à l’assassin de Vargas, la vérité pure eût non moins menti. Les services rendus aux rebelles ne prouvaient pas, comme le pensaient avec indignation le procureur, et avec admiration les patriotes, qu’il eût embrassé la cause de ces derniers : personne d’entre ces acharnés n’eût compris son froid dévouement de médecin… »

Et ces deux derniers paragraphes qui concluent le roman. Qui concluent ?

« Il respirait par grandes et bruyantes aspirations superficielles qui n’emplissaient plus sa poitrine, quelqu’un qui n’était plus tout à fait lui, mais semblait placé un peu en retrait sur sa gauche, considérait avec indifférence ces convulsions d’agonie. Ainsi respire un coureur épuisé qui atteint au but. La nuit était tombée, sans qu’il pût savoir si c’était en lui ou dans la chambre : tout était nuit. Un instant qui lui sembla éternel, un globe écarlate palpita en lui ou en dehors de lui, saigna sur la mer. Comme le soleil d’été dans les régions polaires, la sphère éclatante parut hésiter, prête à descendre d’un degré vers le nadir, puis, d’un sursaut imperceptible, remonta vers le zénith, se résorba enfin dans un jour aveuglant qui était en même temps la nuit.

Il ne voyait plus, mais les bruits extérieurs l’atteignaient encore. Des pas précipités résonnèrent le long du couloir : c’était le porte-clef qui venait de remarquer sur le sol une flaque noirâtre. Un moment plus tôt, une terreur eût saisi l’agonisant à l’idée d’être repris et forcé à vivre et à mourir quelques heures de plus. Mais toute angoisse avait cessé : il était libre; cet homme qui venait à lui ne pouvait être qu’un ami. Il fit ou crut faire un effort pour se lever, sans bien savoir s’il était secouru ou si au contraire il portait secours. Le grincement des clefs tournées et des verrous repoussés ne fut plus pour lui qu’un bruit suraigu de porte qui s’ouvre. Et c’est aussi loin qu’on peut aller dans la fin de Zénon. »

L’ Oeuvre au noir: notes, suite.

 

 

   

  J.Bosch: le Paradis et l’Enfer.

 

 

J’ai laissé l’ouvrage à la fin du chapitre  » La maladie du Prieur « . Que noter ici qui fasse sens dans le moment présent? Peut-être ce passage du dialogue de Zénon avec Le prieur du couvent des Cordeliers de Bruges

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Zénon — Votre Révérence aura sans doute éprouvé de grands revers.

Le prieur — Que non! j’ai été courtisan bien vu par le maître, négociateur plus heureux que mes faibles talents ne le méritaient, mari fortuné d’une pieuse et bonne femme. J’aurai été privilégié dans ce monde plein de maux. …Ne disiez-vous pas que les petites gens que vous soignez suivent avec sympathie les mouvements de la prétendue Réforme?

Zénon — Je n’ai rien dit ni remarqué de pareil. Votre Révérence n’ignore pas que ceux qui entretiennent des opinions compromettantes savent d’ordinaire garder le silence. Il est vrai que la frugalité évangélique a des attraits pour certains de ces pauvres. Mais la plupart sont bons catholiques, ne serait-ce que par habitude.

Le prieur — Par habitude…

Zénon — Pour moi, ce que je vois surtout dans tout ceci, c’est l’éternelle confusion des affaires humaines. L’espagnol persécute les soi-disant réformés, mais la majorité des patriotes sont bons catholiques. Ces réformés s’enorgueillissent de l’austérité de leurs mœurs, mais leur chef en Flandre, Monsieur de Bréderode, est un coquin débauché. La Gouvernante, qui tient à garder sa place, promet la suppression des tribunaux d’Inquisition, et annonce du même coup l’établissement d’autres chambres de justice qui enverront les hérétiques au bûcher. L’Eglise insiste charitablement pour que ceux qui se confesse in extremis ne soient soumis qu’à la mort simple, poussant de la sorte des malheureux au parjure et au mésusage des sacrements. Les évangélistes, de leur côté, égorgent quand ils le peuvent les misérables restes des anabaptistes. L’Etat ecclésiastique de Liège qui, par définition, est pour la Sainte Eglise, s’enrichit à fournir ouvertement des armes aux troupes royales, et subrepticement au Gueux. Dans ce tintouin de paroles, ce fracas d’armes, et parfois ce bon bruit d’écus, ce qu’on entend encore le moins, ce sont les cris de ceux qu’on rompt ou qu’on tenaille. Tel est le monde, monsieur le prieur…

 

 

 » L’Oeuvre au Noir « : notes.

 

On lit le crayon à la main « L’œuvre au noir » de Marguerite Yourcenar, dans la collection « Blanche », chez Gallimard-1968 (trouvé chez mon bouquiniste). Un chef d’œuvre ! Comment ai-je pu passer à côté de ce roman, qui figure désormais dans mon « petit panthéon personnel ».

Un plaisir de lecture mêlé d’émotion. Celle de découvrir (dans tous les sens du terme) un continent littéraire à peine survolé lors de lectures précédentes….?

Ceci souligné de rouge ou de bleu, à mon humeur :

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 Zénon : Par-delà ce village, d’autres villages, par-delà cette abbaye, d’autres abbayes, par-delà cette forteresse, d’autres forteresses. Et dans chacun de ces châteaux d’idées, de ces masures d’opinions superposés aux masures de bois et aux châteaux de pierre, la vie emmure les fous et ouvre un pertuis aux sages. Le Grand Chemin, p. 16

Zénon : Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? Le Grand Chemin, p. 16

Henri-Maximilien Ligre : On est bien que libre, et cacher ses opinions est encore plus gênant que de couvrir sa peau. La Conversation à Innsbruck, p. 104

Zénon : Ces plats raisonneurs portent aux nues leurs semblables et crient haro sur leurs contraires; mais que nos pensées soient véritablement d’espèce différente, elles leur échappent; ils ne les voient plus, tout comme un bête hargneuse cesse bientôt de voir sur le plancher de sa cage un objet insolite qu’elle ne peut ni déchirer ni manger. On pourrait de la sorte se rendre invisible. La Conversation à Innsbruck, p 105

Zénon : Entre le Oui et le Non, entre le Pour et le Contre, il y a ainsi d’immenses espaces souterrains où le plus menacé des hommes pourrait vivre en paix. La Conversation à Innsbruck, p.105

Henri-Maximilien Ligre : […] je ne traverserai pas les siècles relié en veau. Mais quand je vois combien peu de gens lisent L’Iliade d’Homère, je prends plus gaiement mon parti d’être peu lu. La Conversation à Innsbruck, p. 116

Zénon : Je sais que je ne sais pas ce que je ne sais pas ; j’envie ceux qui sauront d’avantage, mais je sais qu’ils auront tout comme moi à mesurer, peser, déduire et se méfier des déductions produites, faire dans le faux la part du vrai et tenir compte dans le vrai de l’éternelle admixtion du faux. La Conversation à Innsbruck, p.118

Zénon : Je me suis gardé de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d’exactitude.La Conversation à Innsbruck, p. 119

 

Ce souvenir n’est point pâli.

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Elie.Y est mon médecin. C’est un bon ami aussi. Il l’est devenu depuis mon retour à Narbonne, qui m’a vu naître et grandir. Pendant ma petite adolescence, il était le «docteur» de la famille. Notre différence d’âge est grande, mais à présent nous voilà complices, même s’il persiste à m’appeler «Mon petit!».

Ce matin, je passais par hasard devant son cabinet et, comme à mon habitude en pareille circonstance, y suis entré dans l’intention de le saluer. Sa porte était grande ouverte sur son bureau vide au premier plan duquel trônaient un tas de dossiers médicaux, de journaux et de revues spécialisées, de boîtes de médicaments et d’objets divers. De cette pile informe, s’en distinguait au sommet, par sa belle tranche rouge vif et l’élégance de sa reliure, un livre: «Les Fleurs du mal», dans l’édition Baudoin! Que je ne pus m’empêcher d’ouvrir à la page indiquée par une carte de visite au nom d’une dame J…, notaire de son état, pour y lire ce poème. Un tendre souvenir, une ultime confidence adressée par une ancienne amoureuse à mon cher Elie, sans doute. Un secret à peine dévoilé dont je ne connaîtrai jamais le sens profond mais qu’il me plaît d’interpréter ainsi:

De qui donc Pupponi est-il l’emblème?

 

 

Pour François Pupponi, député maire PS de Sarcelles, qui succédât, en son temps et en ce lieu, à DSK : « La plainte de Tristane Banon contre DSK ressemble fort à de l’acharnement politique« . Sic ! Venant de quelqu’un dont le « métier » est d’en faire, la charge vaut compliment. Qu’espérer conquérir et garder en sièges et revenus sans  obstination, en effet ? Et souvent mauvaise foi. En l’occurrence bien condescendante à l’égard d’une accusatrice dont il est suggéré qu’elle serait la fausse victime d’un crime en réalité perpétré par elle à l’encontre d’un malheureux innocent. Dieu me garde de prendre parti dans cette troublante et mystérieuse affaire ! Constatons tout de même l’esprit de suite de Martine Aubry qui vient d’élever  Pupponi au rang de Monsieur Sécurité (!!!) dans son « gouvernement fantôme ». Une promotion surprise qui ressemble fort à une réhabilitation symbolique de celui qui fut son mentor. Mais qui, en la circonstance et à son corps défendant, semble toujours rester prisonnier, par d’étranges liens et coïncidences allusives, avec le « commerce » policier…Pur hasard, sans doute!