Contre-Regards

par Michel SANTO

C’est vendeur!

 

 

La guerre des chiffres entre syndicats et Ministère de l’Intérieur aura eu le mérité d’envoyer sur le terrain quelques journalistes soucieux de vérifier par eux-mêmes la réalité des « masses » en jeu. Mediapart, l’AFP et France Bleu à Marseille, France Soir, etc ont donc organisé, chacun de son côté, le comptage des manifestants du 12 octobre. Ainsi à Paris, où les syndicats annonçaient à coup de trompe 330.000 et la police mezza voce 89.000, ils ont compté… 73.000 manifestants ! Et à Marseille : 230.000 selon les syndicats, 24.000 selon la police, la vérité se situant entre… 17.000 et 21.000 ! Conclusion : même Hortefeux se trompe en exagérant leur nombre. C’est donc par 6 ou 10 qu’il faut diviser et non par 2 comme je le faisais jusqu’à présent. Ce que les grands médias seraient bien inspirés de faire afin de relativiser l’importance de la « mobilisation de la rue ». Mais qui serait contraire à la course à l’audience fondée, elle, sur la mobilisation des peurs et des angoisses. En ce sens, on peut dire que syndicats et partis contestataires ont un « intérêt objectif » à en rajouter sur le nombre et la radicalisation des manifestants. C’est vendeur !

 

 

Soeur sourire est de retour.

 

 

 

Il n’y a pas si longtemps (Enfin ! trois ans déjà…), en pleine béatitude électorale, elle nous promettait une augmentation substantielle du SMIG. Pour nous avouer, après sa défaite, qu’elle ne l’aurait jamais fait. Elle récidive aujourd’hui en demandant un référendum sur les retraites. Qu’elle ne mettra évidemment pas dans son projet présidentiel si, par malheur ou bonheur, selon le point de vue où on se place, le « peuple de gauche » la choisissait comme candidate. Elle et son sourire. Ce sourire de bois que je n’aimerais pas rencontrer au coin d’un bois par une nuit sans lune. Un sourire qui n’hésite pas à descendre dans la rue pour y racoler des gamins de 14 et 15 ans qui prendront leur retraite dans 50 ans ! Un sourire sans  «  les maxillaires qui devraient aller avec, ni les yeux qui plissent, ni les joues ni rien, ce sourire à part et souverain, aussi sourd qu’aveugle… » (Philippe Muray). Un sourire qui boit du petit-lait. Autosuffisant, auto satisfait. Et qui, à moi, me fout une peur bleue. Un sourire sans joie. Comme celui «  qui se lève après la fin du deuil de tout. » (Philippe Muray toujours… Exercices spirituels IV 2004).

 

Sur l’inconstance de nos actions.

 

 

 

 

En ces lendemains d’agitation,relire Montaigne:

 

«… Démosthène aurait dit que le commencement de toute vertu, c’est la réflexion et la délibération, et sa fin et sa perfection, la constance. Si nous décidions de la voie à prendre par le raisonnement, nous prendrions la meilleure ; mais personne n’y pense : (Horace [35] I 2, v. 98 : Il veut, il ne veut plus ; puis il veut de nouveau la même chose ;

. Il hésite, et sa vie est une perpétuelle contradiction.)…

 

…Nos projets échouent parce qu’ils n’ont pas de direction ni de but. Aucun vent n’est favorable pour celui qui n’a pas de port de destination ! Je ne souscris pas au jugement qui fut rendu en faveur de Sophocle contre son fils qui l’accusait : ce n’est pas en voyant une de ses tragédies que l’on pouvait affirmer qu’il était compétent dans l’administration de sa maison… »

 

Livre 2 , Chapitre 1 : sur l’inconstance de nos actions, page 17 et …

Mon actualité.

Il y a des jours comme çà ! On retrouve un enregistrement de Michel Serres qu’on avait mis de côté dans la mémoire de son ordinateur. Et les écailles vous tombent des yeux ! Ses quelques paroles sur l’actualité, par exemple. L’actualité des médias.Celle des journaux, des radios et des télés, qui reprennent en boucle les mêmes « informations ». Sur un même registre. Celui de la panique ou du désespoir. Et qui n’ont d’autre but que de vendre. Du papier ou de l’audience. Ou les deux.Mais aussi et surtout celui de formater nos esprits. Esprits formatés qu’on retrouve au boulot, au café du coin,Facebook ou le métro. Avec les mêmes cases : «  politique, affaires, sports, faits divers » et les mêmes contenus. Seule variant l’intensité de la courbe « panique ». Une actualité-marchandise de grande consommation. Offerte en continue par des marchands de désespoir avides dopés aux profits financiers et/ou électoraux. Ce matin, pourtant, devant ma fenêtre, la pluie, dans ce cyprès, jouait avec la lumière. Et ce sourire mouillé, croisé au coin de la rue, brillait de joie .C’est de cela que j’aimerais parler aujourd’hui…

 

Question d’identité.

 

 

 

 

 

Pierre-Henry Thoreux, dans son blog « Les amoureux de la liberté », revient sur un texte d’Alain d’Alain Finkielkraut que j’ai publié il y a quelques jours: (Etre français par la littérature). Son point de vue est très pertinent. Et je ne pense pas que nous différions beaucoup. En attendant de m’expliquer plus avant, je livre ici son analyse…

 

« Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l’épineux problème de l’identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d’excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu’il est sous tendu par un texte d’Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d’interpeller.

 

Pour faire simple, l’idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : « Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. « 

 

A dire vrai, au terme d’une introspection, et malgré tout l’amour que je porte à l’Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.

 

Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l’histoire, le fondement exclusif de l’identité nationale.

Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

 

Je prends à l’inverse, l’exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d’avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu’est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?

 

Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d’unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d’une vraie personnalité. E pluribus unum…

 

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d’être fier de mon pays.

 

Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu’elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu’elle n’a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu’un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S’agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.

 

De ce point de vue j’ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu’il s’avoue déprimé en évoquant l’aveu d’une personne d’origine polonaise, qui revendique d’être français bien qu’elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette… Qu’y a-t-il de si choquant ?

 

J’aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l’apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J’adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j’ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j’éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J’admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d’autres formes d’expression artistique, la Peinture ou la Musique…

 

En définitive, le poids de l’histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d’être français. C’est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D’ailleurs réduite à celle d’un seul pays, la culture expose au chauvinisme.

 

Le coq gaulois est une forme d’expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l’idée de culture et d’intelligence.

 

En France je veux être Français, mais en Amérique j’aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol…

 

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s’empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que « la culture a la vertu de nous vieillir », mais est-il vraiment opportun de pouvoir « s’émanciper du présent » comme il le recommande, ou « de pouvoir habiter d’autres siècles » comme il en rêve ?

 

Ce n’est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu’on peut imaginer l’avenir. Encore une fois l’Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants vers le Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.

 

Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation « sans culture ni histoire ». Ils auraient pu à l’inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.

 

Car il est à craindre que les nations qui constituent ce conglomérat fatigué n’aient d’autre choix, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l’auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l’identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale… »