Contre-Regards

par Michel SANTO

Image d’avenir!

 

 

 

Rassurons nous, les grèves et les blocages (des trains, des raffineries, des dépôts, des lycées etc…) ne pèseront guère  dans le choix des touristes désireux de venir visiter les merveilles du patrimoine français. C’est ce que nous disent les enquêtes récentes effectuées auprès des professionnels du secteur. Une image d’aujourd’hui qui peut-être nous projette dans l’avenir. Celui d’un pays-musée financé par l’épargne asiatique. Un Franceland sans usines ni bureaux, mais qui n’en continuerait pas moins de s’affirmer comme le « sel » de la terre entière…

Images de la France.

Lisant les deux derniers textes publiés par JLHussonnois  sur le Visage de la France et celui de sa jeunesse, qui n’existerait pas, des textes nimbés d’une nostalgie sur la nôtre qui ne fut pas non plus exempte des ridicules de l’actuelle, et relisant ceux rassemblés dans « Regards sur le monde actuel et autres essais » de Paul Valéry, je ne résiste pas au plaisir de citer cet extrait (pages 97 et 98, dans l’édition de 1945), écrit en 1927 (!!!), sous le titre : « Images de la France ».Pas un mot à retirer.Une sorte de perfection dans l’analyse et la forme… 

 

 

 

 

« Il n’est pas nation plus ouverte, ni sans doute de plus mystérieuse que la française ; point de nation plus aisée à observer et à croire connaître du premier coup. On s’avise par la suite qu’il n’en est point de plus difficile à prévoir dans ses mouvements, de plus capable de reprises et de retournements inattendus. Son histoire offre un tableau de situations extrêmes, une chaîne de cimes et d’abîmes plus nombreux et plus rapprochés dans le temps que toute autre histoire n’en montre. A la lueur même de tant d’orages, la réflexion peu à peu fait apparaître une idée qui exprime assez exactement ce que l’observation vient de suggérer : on dirait que ce pays soit voué par sa nature et par sa structure à réaliser dans l’espace et dans l’histoire combinés, une sorte de figure d’équilibre, douée d’une étrange stabilité, autour de laquelle les événements, les vicissitudes inévitables et inséparables de toute vie, les explosions intérieures, les séismes politiques extérieurs, les orages venus du dehors, le font osciller plus d’une fois par siècle depuis des siècles. La France s’élève, chancelle, tombe, se relève, se restreint, reprend sa grandeur, se déchire, se concentre, montrant tour à tout la fierté, la résignation, l’insouciance, l’ardeur, et se distinguant entre les nations par un caractère curieusement personnel.

 

Cette nation nerveuse et pleine de contrastes trouve dans ses contrastes des ressources tout imprévues. Le secret de sa prodigieuse résistance gît peut-être dans les grandes et multiples différences qu’elle combine en soi. Chez les Français, la légèreté apparente du caractère s’accompagne d’une endurance et d’une élasticité singulières. La facilité générale et l’aménité des rapports se joignent chez eux à un sentiment critique redoutable et toujours éveillé. Peut-être la France est-elle le seul pays où le ridicule ait joué un rôle historique ; il a miné, détruit quelques régimes, et il y suffit d’un mot, d’un trait heureux (et parfois trop heureux), pour ruiner dans l’esprit public, en quelques instants, des puissances et des situations considérables. On observe d’ailleurs chez les Français une certaine discipline naturelle qui le cède toujours à l’évidence de la nécessité d’une discipline. Il arrive qu’on trouve la nation brusquement unie quand on pouvait s’attendre à la trouver divisée. »

Le temps libre dont il s’agit n’est pas le loisir!

 

 

 

 

 

 

Cette conférence de PAUL VALÉRY dont on pourrait penser qu’elle a été prononcée hier. L’intelligence et le style réunis pour éclairer cet avenir qui est notre présent. Une prière au bord de l’abime où elle redoute de tomber…

 

 

PAUL VALÉRY (Conferencia, novembre 1935)

 

Extrait n°1

 

…« L’homme moderne s’enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants…Abus de diversité, abus de résonance; abus de facilités; abus de merveilles; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l’artifice desquels d’immenses effets sont mis sous le doigt d’un enfant. Toute notre vie actuelle est inséparable de ces abus. Notre système organique soumis de plus en plus à des expériences mécaniques, physiques et chimiques toujours nouvelles, se comportent à l’égard de ces puissances et de ces rythmes qu’on lui inflige, à peu près comme il le fait à l’égard d’une intoxication insidieuse. Il s’accommode à son poison, il l’exige bientôt. Il en trouve chaque jour la dose insuffisante. »….

 

Extrait n°2

 

…« J’ai signalé il y a quelque quarante ans, comme un phénomène critique dans l’histoire du monde, la disparition de la terre libre, c’est-à-dire l’occupation achevée des territoires par des nations organisées, la suppression des biens qui ne sont à personne. Mais, parallèlement à ce phénomène politique, on constate la disparition du temps libre. L’espace libre et le temps libre ne sont plus que des souvenirs.

 

Le temps libre dont il s’agit n’est pas le loisir, tel qu’on l’entend d’ordinaire. Le loisir apparent existe encore, et même ce loisir apparent se défend et s’organise au moyen de mesures légales et de perfectionnements mécaniques contre la conquête des heures par l’activité. Les journées de travail sont mesurées et ses heures comptées par la loi. Mais je dis que le loisir intérieur, qui est tout autre chose que le loisir chronométrique, se perd. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l’être, cette absence sans prix, pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraîchissent et se réconfortent, pendant laquelle l’être, en quelque sorte se lave du passé et du futur, de la conscience présente, des obligations suspendues, des attentes embusquées…Point de souci, point de lendemain, point de pression intérieure; mais une sorte de repos dans l’absence, une vacance bienfaisante, qui rend l’esprit à sa liberté propre. Il ne s’occupe alors que de soi-même. Il est délié de ses devoirs envers la connaissance pratique et déchargé du soin des choses prochaines; il peut produire des formations pures comme des cristaux.

 

Mais voici que la rigueur, la tension et la précipitation de notre existence moderne troublent et dilapident ce précieux repos. Voyez en vous et autour de vous! Les progrès de l’insomnie sont remarquables et suivent exactement tous les autres progrès. Que de personnes dans le monde ne dorment plus que d’un sommeil de synthèse, et se fournissent de néant dans la savante industrie de la chimie organique! Peut-être de nouveaux assemblages de molécules plus ou moins barbituriques nous donneront-ils la méditation que l’existence nous interdit de plus en plus d’obtenir naturellement. La pharmacopée, quelque jour, nous offrira de la profondeur. Mais, en attendant, la fatigue et la confusion mentales sont parfois telles que l’on se prend à regretter naïvement les Tahiti, les paradis de simplicité et de paresse, les vies à forme lente et inexacte que nous n’avons jamais connues. Les primitifs ignorent la nécessité d’un temps finement divisé. »

Question d’identité, suite.

 

 

 

J’avais promis à mon ami blogueur P-H Thoreux de poursuivre notre discussion sur l’identité française ( voir billet en lien ). Voici ma lecture de l’article de Finkielkraut à l’origine de cet échange :

En conclusion de son texte : « Etre français par la littérature. », Alain Finkielkraut (A.F) nous dit : « Je ne veux pas me détourner des urgences du présent, mais je ne vois pas comment une politique digne de ce nom, c’est-à-dire une politique qui soit souci du monde, pourrait faire l’économie de la culture et s’affranchir du passé. » 

Loin donc de tout repli frileux et nostalgique sur une France et des français du passé mythifiés dans leur amour et leur fierté qui ne seraient plus, A.F nous invite au contraire à penser un présent où la culture et l’histoire de ce pays font l’objet d’un déni systématique  d’existence, quand elles ne sont pas étroitement bornées au seul horizon historique de 1789.

Trop lourdes, trop difficiles et demandant trop de temps, la culture et sa langue, comme l’histoire, sont devenues, en effet, des obstacles, dans l’esprit de nos élites modernes, à l’intégration (ne parlons pas d’assimilation, terme devenu infâme) de populations venues d’autres horizons culturels comme de celles résidant en France depuis quelques générations, d’ailleurs…

Etre français, se résument donc, pour ces esprits, à la possession d’un « titre » garantissant l’accès à des droits juridiques, politiques et sociaux. Et sans aucune autre « contrepartie » que la participation aux dépenses communes par l’impôt (exonérée ou pas). Une conception essentiellement juridico-politique qui, à la limite, place tout individu habitant notre planète, et pour peu qu’il adhère, ne serait ce que formellement, à nos valeurs constitutionnelles, en situation de se revendiquer « français ».

Une « francité » qui, de fait, promeut un « être » a-historique et a-culturel, délesté de toute référence à cette dimension spirituelle (conceptuellement difficile à cerner, j’en conviens) dans laquelle se trouve fondue une histoire et sa projection dans l’avenir, une langue et sa capacité d’énonciation, une culture et sa faculté d’adaptation. Et qui, comme le note Koz, dans un de ses billets, « ramène l’identité nationale à quelques grands principes, certes louables, mais si généraux et communément partagés qu’ils sont évidemment impuissants à caractériser une quelconque identité française  ». Avec, conséquemment, comme seul statut d’appartenance celui de client, de consommateur et de créancier d’un Etat-Providence désincarné.

Un Etat-Providence désincarné ne disposant cependant plus, en outre, des ressources économique, financières et militaires qui lui permettraient de peser dans les débats internationaux et de mobiliser ses ressortissants  autour de  ses seuls attributs de la puissance .

Dans ce contexte, comme les autres nations européennes, la France et les français n’ont d’autres choix, s’ils veulent survivre dans le monde à venir, que de transcender leur vieille identité pour la fondre dans ce qui fait l’identité européenne. Et, au-delà, « d’être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale. »

 Les derniers débats sur « la charte européenne des droits fondamentaux » ne me rendant pas, hélas, très optimiste…