Contre-Regards

par Michel SANTO

La mauvaise foi.

 

« Mind the gap ! » Combien manque-t-il dans les caisses des 27 pays de l’Union européenne pour assurer une pension décente à des salariés qui vont prendre leur retraite entre 2011 et 2051 ? 1.900 milliards d’euros ! 243 pour la France, soit 17 % du PIB de l’année 2010. 380 milliards d’euros (l’équivalent de 26 % du PIB 2010) pour les britanniques, et 470 pour les Allemands (24 % du PIB 201. Le Français a donc tout intérêt à épargner 8 000 euros par an pour compléter sa retraite future. Le Britannique 12.300 euros et l’Allemand 11 600 euros par an… Question : que faire ? Noyée dans un océan de déficits, la France n’a pas d’autre choix que de rechercher, sur un sujet qui engage l’unité de son corps social, le consensus de tous ses représentants.Mais, comme toujours, et conformément à son génie historique, à l’inverse de nos voisins européens, c’est dans l’hystérisation du collectif national que ses élites ont décidé de plonger dans le cynisme espoir d’en tirer quelques dividendes électoraux, en 2012. Et avec toute la mauvaise foi propre à ces acteurs du théâtre politique toujours habiles à susciter la peur et la compassion pour assurer leurs recettes. Surjouant leur rôle de marchands d’illusions, faisant semblant d’être ce qu’ils sont, incarnant leur personnage jusqu’à en devenir esclave et ne plus pouvoir en sortir. A la manière d’un garçon de café prisonnier de sa posture…

Edward Hopper et l’éloge du rien.

Les toiles d’Hopper m’ont toujours fasciné. Et les commentaires érudits sur son œuvre toujours déçus. Exclusion, mélancolie, aliénation reviennent sans cesse. Surtout sous la plume de critiques français, qui ne voient , chez Hopper, que le peintre d’une société américaine par essence plate, froide et opprimante. Comme si le silence, la tension, l’exclusion, voire la mélancolie qui enveloppent ses personnages étaient le propre d’un pays, d’une époque. Comme si George de la Tour, Goya, Munch… , en d’autres temps et d’autres espaces, n’avaient pas, eux aussi, tentés de cerner ce qui réside au plus profond de nos consciences : la solitude et l’attente. Ainsi de cette toile où le lieu de la scène, un bar vivement éclairé et sans murs, semble plonger, tel l’étrave d’un paquebot, dans l’océan de la nuit. Trois personnages y bavardent. Indifférents au quatrième, de dos, dont l’ombre ne laisse à la lumière que le bas d’un visage penché sur un verre que l’on devine à peine. Le mouvement de ses épaules marque la fatigue de l’attente. Le monde entier semble reposer sur lui. Mais que regarde-t-il ? Ce jour qui s’éteint, emporté ?  La pensée et le monde, vides en cette heure ? La solitude est en nous comme une lame, nous dit Christian Bobin, dans son « éloge du rien », profondément enfoncée dans les chairs. On ne peut nous l’enlever sans nous tuer aussitôt. L’amour ne la révoque pas, il la parfait. Et qui nous dit de cet homme, qu’en cet instant où plus rien n’est à attendre sinon l’inattendue, dans sa nuit, au loin, qu’il n’est pas au plus près de la saisir. Comme une prière le vent, comme une âme son être. Le génie d’Edward Hopper est dans cette faculté qu’il a de transformer la banalité des formes et des situations en représentations d’un univers métaphysique d’une profondeur inouïe. Le glacé de ses toiles en lumineuses rêveries. Le rien de la vie en tout de l’être… Inutile de dire qu’on l’aime… 

 

Sans honte et sans fierté.

 

 

 

 

Comme Koz, j’ai du mal avec la honte. « Notamment avec la honte d’être français, trop rapidement brandie. Et trop souvent avancée par des gens qui ne se déclarent en revanche jamais « fiers d’être français ».Ou qui le faisant se posent en juges universels d’une République idéalement française adressant quotidiennement des « bulles » acides à la planète entière. Et qui s’étonnent, que d’Algérie, d’Iran, de Lybie, des Amériques et du Luxembourg, en ces temps hystériques, leur soient renvoyés l’image écornée de leurs prétentieuses insolences. Ce qui ne manque pas d’audace de la part de certains d’entre ceux qui pratiquent la torture et d’hypocrisie de tous ceux qui « cassent » du Rom en silence. Dans le silence de capitales européenne bien contentes de se refaire une santé morale sur le dos de la France. Une France qui, pour son bien et le nôtre, devrait s’abaisser à un peu moins d’arrogance pour s’élever à un peu plus de dignité. Sans honte et sans fierté.Enfin !

Les journalistes: une page de Balzac.

Lectures

 

 

 

Dans cette monographie de la presse parisienne, Balzac distingue plusieurs variétés de journalistes-hommes d’Etat. Celle qui suit est « l’Attaché ». Qui, bien entendu, est une oeuvre de pure imagination et ne saurait être confondue avec quelque personnalité qui prétendrait s’y reconnaître.J’ajoute, faut-il le préciser?, qu’il s’agit là d’un  » archétype  » social dont la vêture politique est indifférente à celle utilisée par Balzac dans cette miniature. Le propre du  » génie « , en littérature comme en d’autres domaines, étant de nous  » informer  » sur le caractère universel de certaines de nos pratiques sociales. Entre autres comportements propres à notre espèce…

 

 

…« Dans certains journaux à convictions (voyez plus bas), des gens désintéressés qui vivent, moralement parlant, par un système auquel ils ont voué leur vie, des gens à lunettes vertes,jaunes, bleues ou rouges, et qui meurent avec leurs besicles sur le nez, sont attachés au journal. On dit d’eux : « Il est attaché à tel journal. » Ces gens n’y sont souvent rien, ils en sont quelquefois les conseils, ils en sont souvent l’homme d’action. Aussi sont-ils toujours connus par l’énergie de leurs principes. Dans les journauxde l’Opposition ou radicaux,

ils inventent des coups de Jarnac à porter au pouvoir ; ils sont les chevilles ouvrières des coalitions, ils découvrent les actes arbitraires, ils se portent dans les départements aux élections menacées, ils troublent le sommeil des ministres en les taquinant. On leur doit les questions palpitantes, et les actualités : la réforme électorale, le vote de la garde nationale, des pétitions à la Chambre, etc. Ces gens de coeur sont les tirailleurs, les chasseurs de Vincennes de la presse; ils prennent des positions politiques dans leur parti, jusqu’à ce que, lassés de faire le pied de grue dans leurs positions, ils s’aperçoivent qu’ils sont les dupes d’une idée, des hommes ou des choses, et qu’il n’y a rien d’ingrat comme une idée, une chose et un parti; car un parti, c’est une idée appuyée par les choses. Il y a parmi eux des entêtés qui passent pour des hommes d’un beau caractère, des hommes solides, des hommes sur lesquels on peut compter. Quand, plus tard, on va chercher ces Attachés, on les trouve attachés à leur femme et à leurs enfants, jetés dans un commerce quelconque et tout-à-fait désabusés sur l’avenir du pays. Le parti républicain surveille ses Attachés, il les entretient dans leurs illusions. Un jour, un républicain rencontre son ami sur le boulevard, un ami que son attachement aux doctrines populaires maintenait dans une maigreur d’étique.

— Tu t’es vendu! lui dit-il en le regardant.

— Moi?

— Oui, je te trouve engraissé ! »…

 

Pages 27 et 28 de l’excellente version numérique proposée par les éditions du Boucher

TROISIÈME VARIÉTÉ