Contre-Regards

par Michel SANTO

Un jardin sans nom.

UnknownIl est des endroits ignorés de la foule où flotte un sentiment de paisible quiétude. On y trouve souvent des jeunes gens rêveurs tout à leur amour, parfois un homme seul aux cheveux gris, toujours le même, perdu dans ses songes; ce jour là, une jeune maman et  son enfant dans ses bras endormi. Des touristes aussi traversent ce jardin pour rejoindre le cloître auquel il se trouve adossé. Ils le font à petits pas respectueux du silence et de la beauté du lieu. Un immense cèdre, quelques platanes, trois carrés de pelouses bordés de buis et une fontaine le composent. J’y retrouvais, certains soirs d’été, son gardien. Un homme discret qui me racontait sa dernière pêche dans l’étang de Bages , les habitudes des rouges-queues et les méfaits d’un couple d’éperviers devenu sédentaire. En fond sonore, l’apaisant murmure des eaux de la fontaine ajoutait un air de nostalgie à notre innocent bavardage. « Le temps s’écoule comme l’eau qui coule. » peut-on lire autour de son bassin… Depuis, mon jardinier est parti. Où ? Je ne sais ! Mais désormais , en cet endroit ignoré de la foule, je dois avouer que je n’y respire plus tout à fait le même air…

Le cri de la chouette.

 

 

Ces lignes ont été écrites par un ancien secrétaire général de l’Elysée (qui ? un petit effort, voyons !) et publiées dans l’édition de poche d’un texte paru en 2003 (pages 131 et 132) :

 

« Des médias sont tentés de distiller l’information pour la faire bondir ou rebondir, pour nourrir toujours plus le spectacle, plus fort et plus grand…D’autant que l’urgence est l’une des clés de la perversion du système. Il s’agit de faire vite avant les autres… On assène, on s’étonne, on se scandalise, la presse participe aux jeux d’un pouvoir qui lui manifeste sa méfiance ou sa sympathie, quand ce n’est pas de la complaisance… Tout se trouve grossi, déformé et en même temps simplifié, personnalisé car il faut en permanence plaire et frapper les esprits… Il (le journaliste) éprouve le sentiment prométhéen de tout savoir, de tout comprendre et de pouvoir tout juger avant tout le monde… Pour la petite et la grande actualité, les médias n’hésitent pas à s’engager sur la voie de l’amalgame, des accusations et des offenses… »

 

Et un peu plus loin, page 136 :

 

« Les complicités au gré de calculs et des ambitions se nouent, saintes alliances ou troubles allégeances, officielles ou clandestines, du politique au journaliste, du juge au policier, en passant par l’homme d’affaires, par petits clans ou en réseaux. Peu à peu ces complicités dégénèrent de simples manipulations en complots ; elles entretiennent une culture de la délation où la fin justifie les moyens. »

 

Une paire de réflexions pour cet été pour n’être pas trop dupes de ce qui se joue sur notre scène médiatico-politique.



Un cheval au fond d’un puits.

 

 

 

Ce fait divers rapporté par le Midi Libre :  » Hier, en fin de matinée, les pompiers de Puisserguier et de Béziers sont intervenus à Puisserguier pour porter secours à un cheval qui avait disparu de son pré. L’animal venait d’être retrouvé par son propriétaire dans un puits profond de 8 m et entouré d’un muret. Les sapeurs pompiers ont alors mis en oeuvre des moyens considérables pour venir en aide à la bête qui attendait au fond de son trou.Un vétérinaire convoqué sur place a pu suivre les opérations de sauvetage. Une opération délicate qui s’est terminée quand l’animal a été sorti du puits dans lequel il avait passé plusieurs heures à l’aide d’un tractopelle.  » Une parabole sur notre temps

L’heure où la lumière bleuit.

 

 

 

Gruissan. La plage des chalets. Dans l’axe de l’allée 6, toujours à la même heure, le soir, tous les étés, le même homme. Il vient de je ne sais où, son regard fixé sur la ligne d’horizon, toujours sur la même trajectoire et, d’un même pas balancé, entre dans les eaux sans la moindre hésitation, plonge et fait quelques brasses. Quelques brasses seulement, puis tourne le dos à la mer et reprend la même trajectoire, toujours au même rythme, le regard fixé sur je ne sais quelle image, vers je ne sais où et ne sais qui.Toujours à la même heure.L’heure où le soleil décline et la lumière bleuit…



A propos des vaches.

 

 

 

 

Je terminerai sans doute ce soir l’ « A propos des vaches », de Benoît Duteurtre, paru en 2000 aux Belles Lettres. J’aime, en effet, lire à contretemps. Une façon, la mienne, d’échapper à une actualité littéraire qui, comme l’autre, nous noie quotidiennement dans le vulgaire et l’insipide à l’image de la grotesque et minuscule manifestation de soutien au cruel duo d’histrions Guillon-Porte. A la page 143, donc, je lis ceci :

« J’écoutais des disques et regardais dans les flammes qui crépitaient dans la nuit, tout en feuilletant les Histoires naturelles de Jules Renard : « Elle s’appelle simplement « la vache » et c’est le nom qui lui va le mieux.

D’ailleurs, qu’importe, pourvu qu’elle mange !

Quoiqu’elle vive seule, l’appétit l’empêche de s’ennuyer. Il est rare qu’elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d’où pendent un fil d’eau et un brin d’herbe. »

Pour me plonger illico dans la suite de ce portrait symbolique chez Renard lui-même, page 21, qui finit ainsi :

 « Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu’une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur.

Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu’elle s’approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu’à ce que j’aie mis le pied dans sa bouse. »

Je vous laisse découvrir le paon, page 13, et les dindes, page 8…