Contre-Regards

par Michel SANTO

Risquer le coup de corne.

File:NRF n°588 COUV Le siècle de la NRF110.jpgLa féria de Béziers s’achève. Le prétexte pour reproduire ici un extrait  du mano à mano entre Michel Leiris et Vincent Delecroix publié dans le superbe numéro 588 de la NRF ( pages 274-277 ).
Michel Leiris, en janvier 1939 :  » Sans fioritures inutiles-juste ce qu’il faut pour montrer qu’on est maître de son art et qu’on n’hésite pas à prendre quelques risques de surcroît-, sans gestes de bravache,sans manèges de théâtre,Rafaelillo torée seulement avec toute son application, toute sa passion et son courage, n’admettant d’autre signature à l’ensemble de son travail q’une éraflure à son costume pour avoir approché la bête de trop près ou sa main droite baignée de sang pour avoir enfoncé l’épée avec une franchise totale. »
Vincent Delecroix,en février 2009:  » Vous n’aimez pas la tauromachie? Transposez, mettez un écrivain, vous même, si vous écrivez, en place du petit Rafael, et relisez l’article. S’exposer est l’acte- qui n’a rien à voir avec l’exhibition, qui n’interdit pas et même réclame l’étincelante parure, qui impose aussi de choisir ses figures- commun à l’écriture et à la tauromachie; c’est le terme absent mais central de ces quelques lignes…Ma signature, qu’elle est-elle, que sera-t-elle? Si je ne risque pas le coup de corne,à quoi bon? « 
Qu’ajouter à cela…

Selon que vous serez préfet ou élu…

Sur le bandeau des  » Etats généraux de l’outre mer  » , cette devise  » Ensemble pour construire une République fraternelle « . Et l’un de ses responsables, celui de la Réunion, un Préfet, hors cadre, qui fit d’abord une carrière  militaire, de se comporter comme une vulgaire canaille dans sa relation avec une employée antillaise à l’aéroport d’Orly.Immédiatement suspendu par le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux au motif que de tels comportements étaient indignes des valeurs de notre République, j’espère cependant que notre ministre n’en restera pas là. Une sanction, néanmoins, qui me fait d’autant plus regretter qu’une diligence aussi ferme et rapide ne soit pas pratiquée par les partis quand un des leurs ( il ne l’est plus mais c’est tout comme! )  exhibe envers les harkis, les électeurs, ses propres amis politiques et tant d’autres, tout le mépris qu’il leur porte.Il paraît même que le personnage en question sera adoubé par ceux là mêmes qui l’ont exclu, afin de conserver le fauteuil présidentiel qu’il occupe au Conseil Régional du Languedoc-Roussillon. Une promotion, en quelque sorte! Qui, elle, sans vergogne foule aux pieds les valeurs de la République…

Ce qui n’est pas dit du tourisme en Languedoc-Roussillon.


Allez, soyons sérieux! sortons notre boîte à outils. Pour énumérer ce qu’on ne trouve pas dans le Midi Libre et qui, pourtant, est nécessaire si l’on veut vraiment comprendre quelque chose au  » tourisme « : son importance et sa place dans l’économie générale de la région:

1
)      Ce n’est pas une branche d’activité, mais un agrégat de branches d’activités: services ( commerce , hôtel, commerces, restaurants, construction…)

2)      Les entreprises de ses secteurs sont considérées comme relevant plus ou moins du tourisme selon deux critères : la localisation et leur activités. Par exemple un supermarché en centre ville d’Alès ne sera pas considéré comme relevant du tourisme alors que celui installé à Narbonne dans la  direction des plages ( et pas ailleurs ), oui… Un bureau de tabac et un restaurant de Gruissan aussi, alors que ceuxdu centre ville de Quillan, non…

3)      Le ratio: Revenus du tourisme sur Produit Intérieur Brut régional est un trompe l’œil . Il ne permet pas de mesurer la richesse apportée par le tourisme dans la richesse totale. Un exemple parmi cent, celui du touriste qui achète une bière 2 euros et qui, se faisant, finance le producteur de houblon, de levure; le fabricant de bouteille et de bouchons ( continuez la liste )… situés à l’extérieur de la Région . En réalité, il ne faudrait retenir que la marge de 1 euro du tenancier et non son revenu pour la rapporter au produit intérieur brut régional. Et à la condition  qu’il réside en LR et non en Andorre ( paradis fiscal de proximité )…

4)       L’effet d’optique produit par les chiffres et complaisamment diffusés par une presse paresseuse ou incompétente ( pas toute quand même ), les services communication des élus, et les Comités Régionaux du Tourisme ( dont les directeurs craignent de se faire virer…) résulte de l’énorme concentration dans le temps et dans l’espace des touristes : 1 200 000 personnes. Ce qui veut dire que durant les deux mois de la pleine saison, sur deux personnes résidants en Languedoc-Roussillon il y a un touriste.

5)      Depuis 15 ans, on entend le même discours incantatoire sur l’allongement de la saison, alors que les courbes de fréquentation sont quasiment identiques. Cet allongement, en effet, ne se décrète pas, surtout pour le tourisme de masse sur le littoral. Outre les caractéristiques climatiques, le comportement des touristes dépend de facteurs socio-culturels sur lesquels les opérateurs du secteur, régionaux ou pas, n’ont aucune prise : fractionnement des séjours, vacances scolaires etc… Par contre le tourisme urbain de proximité plus diffus lui échappe à ses contraintes…

6)      Les emplois créés sont saisonniers ou de courte durée. Les entreprises liées au tourisme raisonnant en emplois tendus les conséquences en sont: intérim … faible qualifications…  conditions de travail difficiles etc… 

 7)     Enfin, de l’autre côté de la balance, il y a les dépenses payées par l’impôt des résidents permanents, de la région et d’ailleurs, pour les réseaux et les infrastructures nécessaires au fonctionnement de ce secteur d’activités: eaux, assainissement, ordures ménagères; entretien des espaces naturels et des équipements publics etc…

Bon! pas trop dur? Ah! une dernière petite info.Impertinente. Les régions les mieux classés, quand on rapporte les emplois et les revenus liés au tourisme à leur richesse totale, sont… les moins développés. En France, c’est la Corse qui est en tête du tableau et notre région lui colle à la roue…

Les années folles de Narbonne.

Assis à la terrasse du Rive Gauche, je lis l’édition spéciale des 11 et 12 août de la feuille   » Les cris d’antan  » publiée à l’occasion de ces deux jours placés, par l’équipe municipale, sous le signe des  » années folles « . Au verso, une série de faits divers aussi amusants que représentatifs de toute une époque. Ainsi apprenons nous que  » Depuis quelque temps, et les affaires subissant un temps d’arrêt , nos demi-vierges vont chercher sur les boulevards une clientèle de moins en moins fidèle et assidue… »  et que « les agents de services ont dressé procès-verbal au sieur Antoine T… sujet espagnol, rue Sambre et Meuse, qui lavait sa vaisselle à la fontaine et contre madame M… rue Barra, pour jets de matières fécales… » Encore plus drôle, au recto, mais plus contemporain, puisque signé par le Député-Maire, cette fois ci assisté de l’adjointe aux animations et un nommé Delattre de l’Académie, non pas Française mais   » de  Spectacle (sic) « , un texte, en forme d’édito, à placarder dans toutes les salles de classe. Dont je vous livre ici deux extraits:  » Pour animer un fil conducteur finement tressé, bon nombre d’ artistes fourmilleront dans le centre ville… » Imaginez donc une fourmilière d’artistes animant un fil conducteur! Et ceci encore, qui conclue « poétiquement » ce texte:  » Nous sommes heureux d’ouvrir avec vous cet écrin du souvenir… Et laisser filtrer l’encens du souvenir de cette mémoire d’antan. «  Filtrer de l’encens!! Après avoir ouvert un écrin?! On dira que je me répète, mais je ne peux me résigner à ce laisser aller.Le souci de la forme est aussi un souci de soi, du monde et des autres. Et je ne me lasserai jamais d’en dénoncer l’oubli…

Marcel Gauchet et les « gauches »…

 
   
Extrait du très intéressant entretien de Marcel Gauchet avec Elisabeth Lévy. Le Point, n°1924, 30 juillet 2009
Elisabeth Lévy: Reste que beaucoup de gens ne savent plus très bien ce que signifient les mots «gauche» et «droite», d’où un sentiment de désorientation très répandu, notamment à gauche.

Marcel Gauchet: Toutes les gauches européennes sont confrontées à un impératif de redéfinition doctrinale dans une configuration globalement défavorable aux partis de gauche. Nous vivons un déplacement radical des repères intellectuels. La droite est devenue à la fois le parti du mouvement et celui de la réalité politique. D’une part, elle n’est plus conservatrice dans le sens où elle n’est plus préposée à la défense de l’autel, du trône, du sabre et du goupillon. Elle est revenue de la réforme à tout-va. Et elle est prête à intégrer des éléments de protection sociale dans son logiciel. Résultat, la gauche a perdu le monopole du changement. D’autre part, et c’est une nouveauté fondamentale par rapport à l’époque où la droite était largement catholique en France ou chrétienne ailleurs, elle est devenue le parti matérialiste, le parti de l’économie. Résultat, la gauche, qui revendiquait autrefois son matérialisme face à l’idéalisme mensonger de la droite, a perdu son instrument favori de démystification et se voit accusée à son tour d’idéalisme naïf. Enfin, la mondialisation offre paradoxalement à la droite une rente de situation politique. Car, face aux désordres dont elle s’accompagne, face aux flux migratoires qu’elle engendre, la droite incarne le réalisme et la fermeté, tandis que la gauche s’est laissé enfermer dans le seul registre de la générosité et de l’angélisme. »

E.L: Au sommet de la pile de livres sur votre bureau se trouvent « L’insurrection qui vient », attribuée à Julien Coupat, et « L’hypothèse communiste », d’Alain Badiou. Vous préparez-vous pour la révolution ? Que pensez-vous du succès des « intellectuels radicaux » ?

M.G: Je vais faire de la peine à Badiou, mais je suis bien obligé de constater que son succès prouve la persistance de l’identité française. Il montre que ce pays continue à vivre sur les acquis de son histoire. Qu’est-ce que Badiou ? Le communisme sans Lénine et Marx. Son propos réactive la promesse de l’égalité radicale qui a constitué la pointe extrême de la Révolution française et qui est restée depuis lors dans les gènes politiques du pays. Le cas de la bande à Coupat est encore plus amusant. Le mélange d’ultraradicalité subversive et de mépris aristocratique cultivé par le « comité invisible » relève d’un dandysme très français. Où, ailleurs qu’ici, réclame-t-on l’émancipation du genre humain tout en lui crachant dessus ? C’est l’un de ses charmes, la France est ce pays où les reliques d’un Guy Debord, grand maître du genre, peuvent être consacrées « trésor national ». J’en tire un conseil à la jeunesse : pour réussir, soyez toujours plus radical que le voisin, c’est un créneau d’avenir.


L’intégralité de cet entretien en cliquant sur le lien suivant: Marcel Gauchet