Articles marqués avec ‘histoire’

Deux ouvrages pour découvrir Narbonne l’été, notamment…

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Deux ouvrages écrits par des narbonnais soucieux du patrimoine, de sa valorisation et de sa découverte par le plus grand nombre: résidents permanents ou de passage, sont désormais disponibles dans les librairies du centre ville de Narbonne. D’un genre très différent, ils ont le mérite de sortir du cadre  restreint des livres érudits destinés à un cercle très étroit d’initiés et du tout-venant des brochures – et cartes – touristiques distribuées dans les principaux lieux visités de la cité.

Claude Lévi-Strauss: identité, diversité, barbarie , humanité…

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Avant que le livre de Claude Lévi-Strauss ne soit mis à l’index pour avoir oser ce titre aujourd’hui scandaleusement incorrect: « Race et histoire », ces extraits:

L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc…, autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbares ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. […]

Et si nous parlions d’Europe ! Avec Jacques Le Goff …

Le dimanche, en général, je prends un moment pour passer en revue les blogs amis où je suis à peu près certain d'y trouver de quoi nourrir ma curiosité ou ma réflexion. . Aujourd'hui, je me suis arrêté sur celui de Pierre Assouline : la République des livres et sur cet article publié  le premier Mai :  Jacques Le Goff, l'européen. Il m'a paru de circonstance alors que d'Europe l'on parle si peu à quelques semaines d'un vote censé porter nos représentants à son Parlement.

 

Et si nous parlions d'Europe ! Avec Jacques Le Goff ...

le 1 mai 2014

S’il est un intellectuel que l’attribution du prix Nobel de la paix 2012 à l’Union européenne a enchanté, c’est bien Jacques Le Goff ; encore eût-il été comblé si sa satisfaction avait été plus largement partagée. Convaincu que l’héritage médiéval était le plus important de tous les héritages à l’œuvre dans la construction de l’idée européenne, il fut sans aucun doute l’un des plus fidèles et des plus ardents militants d’une Europe des profondeurs. Un essai L’Europe est-elle née au Moyen-Âge ?, paru en 2003 dans la collection « Faire l’Europe » qu’il dirigeait au Seuil,et son corollaire pédagogique L’Europe expliquée aux jeunes, en témoignent qui n’ont rien perdu de leur force.

L’éblouissant fresquiste de l’anthropologie historique était animé par une vision, laquelle lui faisait dire que le continent n’était pas vieux mais ancien car il était celui d’une continuité historique vécue : « S’il n’y a pas continuité, on échoue. S’il n’y a pas changement, on meurt à petit feu ». Tel était son diagnostic. Jacques Le Goff avait découvert que le terme « Européens » était apparu pour la première fois dans un texte mentionnant la bataille de Poitiers (732) ; c’est dans des textes de Pie II et de Georges de Podiebrady, roi de Bohème, qu’il débusqua la naissance de la conscience européenne au XVème siècle ; mais pour que se forme un sens communautaire des Européens au Moyen-Âge, il fallut bien qu’une Europe de fait se constituât pas à pas quand bien même dût-elle n’être pas nommée avant.

Dans tous les débats sur l’Europe, Jacques Le Goff n’a eu de cesse de faire entendre une autre voix. Celle qui faisait résonner l’Histoire, louait ses différents apports qu’ils fussent grec (la démocratie et l’esprit critique), romain (le droit), chrétien (séparation entre Dieu et César), et accordait davantage d’importance aux Européens qu’à l’Europe, l’émergence du premier terme révélant l’identité d’un groupe d’individus et non plus un espace. Au besoin, il le martelait : l’Europe a toujours été unité et diversité, espace commun et coexistence de royaumes, ce qui était sa manière de rappeler que l’Europe ne se fait pas contre les nations.

Son Europe ? Il avait soutenu le projet de « Constitution Giscard », convaincu qu’elle ne pouvait fonctionner qu’à deux vitesses ; quant à la reconnaissance du rôle du christianisme dans l’histoire de l’Europe, qui provoqua des controverses, elle lui paraissait indiscutable –  comment aurait-il pu en être autrement ?; et c’est en historien/géographe qu’il s’était prononcé contre l’entrée dans l’UE de la Turquie vue pour l’essentiel comme une puissance asiatique. Les frontières, il les avait établies à l’Oural et au Bosphore. Mais dans ses Europes intérieures, on distinguait aussi une Europe des corps et une Europe de la diversité des fonds de graisse, une Europe de l’huile et une Europe du beurre, une Europe de la bière et une Europe du vin…

Fier de ce que « son » continent ait échappé à la théocratie, hostile à tout ce qui aurait été une mise entre parenthèses de la laïcité, vigilant face à la montée de l’irrationnel, il voulait raison garder face à la nature. Lors de la fameuse conférence Marc-Bloch qu’il prononça à l’occasion de son départ à la retraite, il rendit hommage “au cher Moyen-Âge” et à “la désirable Europe”, et en deux mots l’essentiel était déjà dit. Eût-il voulu désacraliser tant l’Europe que les nations qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Jacques Le Goff a fait prendre aux Européens la mesure de leur dette vis à vis du Moyen-Âge. On s’avisera un jour que ce grand savant n’offrit pas seulement à ses contemporains un autre Moyen-Âge, mais une autre Europe. C’est dire notre dette à son égard. Ses amis le savent bien : au vrai, rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de louer l’européen en lui. "

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