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Chronique du Comté de Narbonne.

 The sun sets on the coast at Gruissan, Narbonne, France

Jeudi 24 mai de l’an 2012,

Mon très cher parent,

Oui ! comme tu le notes dans ton dernier courrier, le Royaume vit désormais dans un état d’ivresse qui présage hélas des lendemains migraineux. Les gazettes, qui, hier, tiraient à plumes raccourcies sur le « défunt » roi, gazouillent aujourd’hui sur son joyeux successeur. Point de railleries quotidiennes sur sa personne et ses chaussures, non plus: normal il serait, s’enchantent en choeur nos aimables nouvellistes. Pourtant, sur la dernière  image reçue, les lunettes en moins, je le trouve moi anormalement berlusconien avec ses poils corbeaux plaqués sur la moitié de son crâne, sa petite taille et son embonpoint menaçant ; même regard malicieux aussi où clignotent de brèves et cyniques lueurs : celui d’un acteur qui n’est point dupe de son jeu et de son personnage. Mais je crains fort que son incorrigible désir de « surjouer » la normalité n’amène le bon peuple à en saisir l’imposture. Déjà sa grandiloquente profession de foi sur l’irréprochable vertu de ses ministres se révèle être une classique tromperie : le comte de Hautebourg, condamné pour injures publiques, restera donc en fonction, après qu’il ait été solennellement  dit, par le sieur d’ Hérot, que nos vertus républicaines n’avaient point été malmenées par l’arrogant titulaire du « redressement productif ». A suivre cette fort libérale jurisprudence, il sera donc permis d’envoyer, le moment venu, à son créateur et à ses amis, en toute impunité, quelques républicains « noms d’oiseau » que justifieraient les circonstances. Tu me dis aussi que la « guerre des chefs » est désormais ouverte dans le camp du « feu » roi ! Mais quoi de plus naturel, n’est ce pas ? Ce qui l’est moins, tout de même, c’est que Kopé et Killon s’étripent en pleine bataille pour conquérir le plus grand nombre de conseillers à la cour. A croire que le second anticipe une défaite de son armée, ce qui, tu en conviendras, n’est guère enthousiasmant pour des troupes encore sous le choc de la défaite de Tartoly.La langue est une bête sauvage qu’il est très difficile de remettre à la chaîne, quand une fois elle est échappée. Et gageons que les humiliations, les frustrations et les ambitions tues pendant ces cinq dernières années vont se libérer à grands flots de petites phrases assassines. Ici, mon oncle, dans le Comté, la guerre – la politique n’étant qu’une de ses formes poursuivie par d’autres moyens- est tout aussi, symboliquement, Dieu merci, violente. A l’image des « Barques », ce mail où tu aimais tant, les matins d’été, te reposer à l’ombre des platanes. Un vrai champ de bataille ! On y abat arbres et bancs ; des barrières en interdisent l’accès et des engins de toute sorte y font un bruit d’enfer. Une apocalypse à la veille de Pentecôte de laquelle devrait sortir une admirable  promenade, nous dit le comte de Labatout. Ce qui fait tousser « le parti oxygéné » du sieur Lemaillet , qui ne cesse de le harceler à coups de déférés préfectoraux. Ne préjugeons pas de l’avenir, mon oncle. Après tout, une rénovation était bien nécessaire ; quoique celle réalisée dans les jardins du palais des archevêques me fasse craindre le pire. Une horreur, mon oncle , une offense à la culture ! Un mur de gigantesques pièces en métal rouillé posées là comme un défi au sens commun et à l’histoire ; on se croirait dans l’arrière cour d’un maréchal ferrant tombé sur la tête d’une enclume. Ah, mon oncle, il n’y a point d’orgueil comparable à celui d’un cuistre de collège, parvenu avec le temps à la dignité d’un office comtal. Pendant ce temps, dame Fade et sieur Bodorniou dialoguent à coups de sondages et de recours, tout en portant la même flamme batave ; ton ami de la Natte, toujours de noir vêtu et catogané , traverse la rue du Pont, continuement à la même heure; le gazetier Dédé de Navarre rédige et corrige des poulets alternativement bodorniens et fadiens, tout en flattant son « ami » Labatout – qu’il voyait, sans rire, ministre ! ; le sieur Si de Leucate, demain, pique nique au Château de Montplaisir; quant à de la Brindille, dont tu t’inquiétais, il préside ses fumeurs de cigares en rêvant du marquisat de Cuxac… Il est 8 heures du soir, mon oncle, la ville est calme et le ciel toujours bleu. Les hirondelles s’égayent devant ma terrasse et au dessus des toits; j’aime et accueille avec joie leurs fantaisistes sarabandes; et les regarde sans à priori, en me libérant des habitudes qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est. Choisissons d’être heureux, mon oncle : notre santé en dépend.

Je t’embrasse !

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

Narbonne: pont des marchands.

Narbonne: pont des marchands.

Samedi 15 mai de l’an 2012,

Trois jours ! trois jours enfin à pouvoir me déplacer à ma guise dans notre maison de famille après que j’en eus passé six immobilisé dans une anonyme chambre de l’Hôtel Dieu de Narbonne. La fortune manque de prévenance, mon oncle ! d’élégance aussi. Mais la chance et les dieux m’ont permis de retrouver ta bienveillante et chaleureuse amitié épistolaire. L’histoire, la grande, indifférente aux hommes n’en a pas moins continué son implacable cours, cependant que l’écume de la petite s’empilait sur mon écritoire. Ainsi donc, mon oncle, si j’en crois la lecture des lettres, nouvelles et gazettes que j’y trouvai ce jeudi saint, l’Esprit serait descendu pour racheter le Royaume des fautes commises en son nom par l’infâme Nicolas de Tartoly. Aux dires de la plupart de nos caressantes plumes, François de Gouda en serait l’incarnation  et  son sacre en aurait régénéré les mœurs et les sentiments. Une Pentecôte profane en quelque sorte ; ce que nos faiseurs d’opinion et de clichés appellent l’état de grâce. Pour l’heure, ne préjugeons rien de ce qu’il adviendra une fois dissoute cette torpeur hantée de vagues songeries, mon oncle, comme nous ne jugerons point sur de vagues intentions dont on sait, bonnes ou mauvaises, peu importe, qu’elles pavent l’enfer tragico-comique de l’histoire. Attendons sagement, comme il se doit, le dire et le faire de son gouvernement dans lequel siège au demeurant un jeune ministre en charge de la police, entre autres, pour qui j’ai le plus grand respect. Et puis restent, sur ce vrai chemin de croix électoral, les élections à l’ Assemblée Royale ! Elles sont bien lancées dans notre Comté, mon oncle, et la guerre des roses a repris avec force et vigueur. Ainsi, jeudi matin, dans les gazettes locales, nos « gentils » nouvellistes n’en ont que pour la marquise de Fade, hollandaise officielle, Bodordiou, ci-devant Prince, dit le petit, de Gruissan, hollandais officieux et le sieur Pandrieu, gardien jaloux du temple batave. Ces deux derniers reprenant un combat sans quartier ni pardon perdu par le détenteur du microscopique marquisat de Mouthoumet lors des dernières élections au royaume de Septimanie ; élections particulièrement fertiles en trahisons, rebondissements, coups de théâtre et intrigues, comme tu le sais. Sur la scène de ce petit théâtre comtal, du côté gauche, figure donc la pâle  madame Fade, au physique et au tempérament peu marin, qui parie sur une grosse et belle vague rose ; au milieu, mais venant de la gauche lui aussi, qui ne l’est en ces terres ? , le sieur Bodorniou, qui, en honoraire et brillant joueur de balle anglaise, pratique la feinte de passe et le cadrage débordement au centre…et sur la droite, un centre et une partie de la droite du Comté, rassemblés notamment dans le « parti oxygéné » du sieur Lemaillet, qui semblent, si j’en crois l’ostentatoire zèle de certains de ses membres, comme l’ancien président du club des cigares, le sieur Fraise, préférer la défaite de la marquise et du comte de Labatout à la victoire de leur représentant dument estampillé, occupant, lui, la droite de ce plateau, le jeune duc Si de Leucate. Plus coquet que bien des femmes de ce Comté, le désir de ce long, lisse et mince prétendant à la Cour au visage décoloré est de plaire et séduire valets et maîtres d’un Comté, rebelles, par nature, si je puis dire, à toute forme d’élégance qui leur rappellerait ce qu’ils abominent entre tout : « le style parrrisien », on roule les r, ici, mon oncle, surtout s’il est un peu trop affecté. Vois tu, dans ce royaume de Septimanie, on préfère encore, pour gérer les affaires publiques, à défaut de rougeauds buveurs de vin apprêtés comme des sacs, de blêmes apparatchiks ou d’anciens instituteurs vêtus à la mode mutualiste. Mais je m’égare ! Et la suite des évènements, imprévisible, pourrait infirmer cet ironique constat. Quoiqu’il en soit de la scène et des acteurs, mon oncle, l’intrigue et le mensonge sont évidemment mis aux enchères. Il s’agit de capter l’électeur aveugle, et pour cela de séduire, de mentir, de flatter. Dans ce vaste champ de l’intrigue, il faut savoir en effet cultiver la vanité des sots ; et, en politique, où tout le monde manipule tout le monde, plus qu’ailleurs; ce qui la rend dangereuse et passionnante : un homme ayant vécu dans l’intrigue un certain temps ne peut plus en effet s’en passer. Ce tantôt, ton ami La Bruyère me faisait fort justement remarquer que toute autre vie, pour ce genre d’individu, lui serait languissante. Il est vrai qu’il faut avoir de l’esprit pour être homme de cabale ; mais l’on peut cependant en avoir à un certain point que l’on est au-dessus de l’intrigue, et que l’on ne saurait s’y assujettir. N’est ce pas mon oncle ?

Je te souhaite grande fortune ! A demain de te lire.

Chronique du Comté de Narbonne.

Lundi 14 mai de l’an 2012

Me voici de retour après un trop long séjour, à mon goût, à l’Hôtel Dieu de Narbonne où l’on me pria précipitamment de me rendre  afin de soigner une vilaine douleur à la jambe droite. Je n’eus pas le temps de terminer la lettre que je te destinais et te l’adresse en l’état ; à toi de le faire mon oncle ! Un peu fatigué, je m’empresse de tracer ces quelques lignes en espérant qu’ elles te parviendront dès demain. Je t’embrasse !

 

Mercredi 9 mai de l’an 2102

Cher oncle,

Quel calme, ce matin ! la cité semble avoir perdu cette énergie dévorante, égoïste, tumultueuse qui , hier encore, groupait en deux camps violemment opposés les partisans de François de Gouda et ceux du roi sortant. Le peuple a tranché, comme à son habitude, mon oncle, en coupant la tête de Nicolas ! Mais l’humanité ayant fait de grands progrès, les guillotines sont désormais en papiers et les factieux définitivement embourgeoisés ; ce qui, au demeurant, nous en conviendront tous deux, est fort heureux ! Ainsi, voit on, à échéance régulière, cette immémoriale loi du bouc émissaire, purger les passions ; et, de ce fait, la société des hommes retrouver un simulacre d’ordre. Jusqu’à la prochaine crise, mon oncle, qui en cette période troublée ne saurait tarder. Parions donc que François de Gouda, de sa grâce, ne pourra  longtemps jouir ; et que de changements avoir tant promis, le peuple ne constate que nenni ; et ne lui fasse subir un sort identique à celui qu’il combattit. A bien y réfléchir, l’immense avantage de la démocratie et de ses rituels électoraux, mon oncle, est d’avoir substitué un simulacre de guerre civile à la guerre sociale. Rien d’étonnant, de surcroît, dans un pays qui est entré dans les Lumières en décapitant son dernier roi ; souvenir funèbre qui ne cesse de hanter la conscience de nos petits bourgeois qui, le jour, se rêvent en Gavroche habillés par Prada et, le soir, en Trader militant d’Emmaüs. Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point ; ils se déguisent en mille formes sous le masque des moeurs dominantes : leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche d’un esprit libre…

       

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

 

 

 

 

 

Samedi 5 Mai de l’an 2012

Mon oncle !

Hier, la lecture d’une de nos deux gazettes locales m’a particulièrement réjouit. Réjouit et navré devrais je plutôt dire. Enfin, je ne sais ! Navré, par la pauvreté du style du nouvelliste envoyé en cette périlleuse mission de devoir rendre compte de la visite  du nouveau roi de Septimanie, le sire Triste Bouquetin, venu en terres narbonnaises et en conséquente délégation y poser la première pierre d’un nouveau studium dédié aux affaires immobilières ; comme je le fus tout autant par son indigeste et apologétique  poulet, que ne renierai point un quelconque et besogneux préposé aux écritures d’une officine comtale. Mais lecture réjouissante, aussi, par sa désespérante et persistante démonstration des réciproques attirances entre gens de gazettes et gens de pouvoir, dans l’allégeance ou la détestation, sans exclure cependant, par une de ces étranges alchimies indifférentes à la logique, l’une et l’autre à la fois. A cet égard, le destin de ton ami de la Natte, me semble tout à fait emblématique de cette perverse fraternité. Pardonne moi ces paradoxes, mon oncle, mais il faut bien en faire, n’est ce pas, quand on réfléchit ? A propos de ton ami, je dois en confidence te dire que, depuis son adoubement au Château, sa plume gazetière nous manque. Il avait du talent, le bougre ! quoique l’on puisse, de son usage penser en ces temps où le duc de Lemoyniais régnait. Faut-il donc convenir, depuis, à lire les fades et fastidieuses gazettes, que mensonges et contre vérités n’existeraient point en ce vénérable Comté ; que le sire Labatout et son parti de la rose, par la grâce d’une improbable divinité,  en seraient éternellement protégés ? Ce que je te rapporte souvent, dans le secret de ma correspondance, suffit pourtant à en démontrer la puérile inanité. Ainsi donc, mon oncle, concluons, à titre provisoire, que, de talents, nos gazettes n’en disposent ; et que, de complicité comtales, les soupçons en témoignent. Jacques de Molénat, un nouvelliste indépendant de mes amis, dans une publication parisienne fort connue, l’établit lui même sans conteste en relevant que nos gazettes comtales, des réclames des marquisats et comtés, ont un besoin vital, et disposent, de ce fait, pour leur influence, d’un efficace et complaisant levier.

A ce propos, te souviens-tu, mon oncle, de ce que ton ami Honoré fait dire, dans sa grandiose comédie humaine, à un de ses pittoresques personnages? : « – Blondet a raison, dit Claude Vignon. Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. »

Ah ! mon oncle, terminant cette lettre ce dimanche soir, une dépêche vient de m’être apportée annonçant l’élection de François de Gouda au trône de France. La Lumière vient donc de triompher des Ténèbres, pour parler à la manière du petit marquis de Gag Bang. Que la joie demeure en ces crédules esprits, mon oncle ; jusqu’à ce que dame Fortune, à défaut de Cassandre, s’en vienne les réveiller.

Bonne nuit, mon oncle ! 

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