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Le roi a besoin de voir vos dentelles…

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Mes pages. 

 

Celle ci, du Duc de Saint Simon:

 

« Le roi a besoin de voir vos dentelles, vos broderies, votre chapeau, vos plumes, votre rabat, votre perruque. Vous êtes le dessus d’un fauteuil. Votre absence lui dérobe un de ses meubles. Restez donc, et faites antichambre. Après quelques années d’exercice on s’y habitue; il ne s’agit que d’être en représentation permanente. On manie son chapeau, on secoue du doigt ses dentelles, on s’appuie contre une cheminée, on regarde par la fenêtre une pièce d’eau, on calcule ses attitudes et l’on se plie en deux pour les révérences; on se montre et on regarde; on force embrassades; on débite et l’on écoute cinq ou six cents compliments par jour. Ce sont des phrases que l’on subit et que l’on impose sans y donner attention, par usage, par cérémonie, imitées des Chinois, utiles pour tuer le temps, plus utiles pour déguiser cette chose dangereuse, la pensée. »

 

Mémoires du duc de Saint-Simon : Siècle de Louis XIV, la régence, Louis XV (French Edition) Surlignement : emplacement. 104-10. Ajouté le mercredi 7 décembre 2011, à 21 h, dans ma Kindle. 

Chronique du Comté de Narbonne.

 

Jeudi 31 mai de l’an 2012,

Hier matin, mon oncle, revenant des Halles une « baguette » à la main, je me suis retrouvé au centre d’un labyrinthe de barrières en métal et de murs grillagés qui occupent désormais toute la promenade des « Barques ». Perdu, je n’ai du mon salut qu’en suivant le porteur d’une imposante tronçonneuse qui, miraculeusement, s’en allait à fortes enjambées, exsudant toutes ses eaux, vers quelque taverne située en dehors de ce sinistre chantier. Quelle désolation que d’arpenter ce mail au milieu d’engins pétaradant entre des platanes emmaillotés de grossières et  ridicules planchettes en bois blanc ! Et quel chagrin devant ces tapis de sciure noirâtre marquant de leurs sinistres présences ce qui fut la première rangée de ton mail, mon oncle, impitoyablement éradiquée ! Hécatombe prestement justifiée le lendemain de ce féroce abattage dans la gazette de Dédé de Navarre où figuraient  d’imposantes images de troncs malades et désespérément creux. Pendant trois jours, mon oncle, nos «  feuilles » locales ont exposé ces impudiques visions de platanes « pourris », comme pour assurer le « service après vente » des décisions prises par le  bon sieur Labatout. Entends moi bien, n’étant pas arboriculteur, je ne porte point de jugement sur la vérité du diagnostic posé sur ces malheureux végétaux par les jardiniers du Comté ; quoique une dame du « parti oxygéné » prétende que l’étant tous, creux , il fallait conséquemment les élimer tous. Non ! c’est plutôt de cette complaisante « couverture » gazetière étalée par nos gens de plumes dont je m’inquiète ici. Ah ! que n’aurait écrit  ton ami de la Natte, du temps du duc de Lemonyais, sur la noire misère de cabaretiers aux terrasses désertées et les pleurs de petits vieux sans sièges à l’ombre où caler leurs vénérables fessiers ? On rêve ! D’autant que nos gazetiers, obnubilés par ce massacre arboricole ne se sont guère épanchés sur la privation d’eau subie durant trois jours par des milliers de personnes des marquisats de Moussan, Marcorignan et Nevian ; pas le moindre entrefilet ! Peut être convenait-il de n’en rien dire pour ne point  peiner les puisatiers administrés par le comte de Labatout au sein de la Régie du Grand Comté, forts nombreux au demeurant, et au statut protégé. Six mois plus tôt, mon oncle, quand ce métier était confié à une compagnie fermière et privée, nul doute que nouvellistes et politiciens se seraient déchaînés ; ses dirigeants discrédités, ses profits vilipendés, et le « service public » glorifié. Ainsi va l’information, flottante au gré des affinités et des accointances de toute sorte, comme une bouteille à la mer dont le goulot seul s’offre à la vue d’un promeneur distrait.

Que je te dise aussi que le dimanche de Pentecôte où l’Esprit Saint donna aux apôtres le don des langues, une nuée de « bodorniens » revêtus d’une capote couleur «  framboise écrasée », distribuaient la profession de foi du Prince, dit le petit, de Gruissan, sur le parvis des Halles. On aurait dit de ces prosélytes joyeux, toujours bondissant et chantant, de ces nouvelles églises charismatiques. Daredare du Rocher en dirigeait le chœur, survolté par le miracle d’avoir à orchestrer, lui qui préside le microscopique « parti radinal », un aussi grand nombre de fidèles momentanément convertis à l’évangile du père, pardon!, du Prince de Gruissan ; des fidèles de circonstance et une  alliance profane autour du sieur Bodorniou pour l’envoyer siéger auprès du roi batave, dont il entend bientôt tirer partie dans sa conquête du marquisat de Coursan : son présent titulaire, Vladimir Plavich, reniflant l’ambition comme un renard les poules, l’ayant expulsé de son fief. Car il a de l’ambition notre jeune prêcheur au physique délié et gracieux, apprêté à la boboisante mode de discrète et élégante façon : ses chaussures en témoignent. Mais de cela je ne t’en dirai pas plus : il se fait tard, des lectures m’attendent. Non pour fuir ou seulement me distraire, mais, comme le disait ton ami, pour ouvrir une porte sur un monde enchanté : la lecture est une féconde amitié, n’est ce pas ?

Bonne nuit, mon oncle ; ou plutôt, bien le bonjour ! quand tu liras ces quelques lignes; demain matin, si le carrosse postal n’est point empêché par quelque attroupement de revendicatifs cochers en colère.

Ton fidèle neveu.

Toujours et encore, mon cher Gustave!

 

Toujours et encore, mon cher Gustave!

 

Mes pages.

 

Sur ma Kindle: correspondance, 4e série. 1854-1861 (French Edition) (Gustave Flaubert). Extrait d’une lettre à sa nièce:

 

« Je prends un exemple : vous vous préoccupez beaucoup des injustices de ce monde, de socialisme et de politique.   Soit. Eh ! bien, lisez d’abord tous ceux qui ont eu les mêmes aspirations que vous. Fouillez les utopistes et les rêveurs secs. – Et puis, avant de vous permettre une opinion définitive, il vous faudra étudier une science assez nouvelle, dont on parle beaucoup et que l’on cultive peu, je veux dire l’économie politique. Vous serez tout étonnée de vous voir changer d’avis, de jour en jour, comme on change de chemise. N’importe, le scepticisme n’aura rien d’amer, car vous serez comme à la comédie de l’humanité et il vous semblera que l’histoire a passé sur le monde pour vous seule.   Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension de l’infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et ils disent à l’Océan : «Je vais compter les grains de tes rivages.» Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu’il faut faire sur la grève ?   Il faut s’agenouiller ou se promener. Promenez-vous.   Aucun grand génie n’a conclu et aucun grand livre ne conclut, parce que l’humanité elle-même est toujours en marche et qu’elle ne conclut pas.   Homère ne conclut pas, ni Shakespeare, ni Goethe, ni la Bible elle-même. Aussi ce mot fort à la mode, le Problème social, me révolte profondément. Le jour où il sera trouvé, ce sera le dernier de la planète. La vie est un éternel problème, et l’histoire aussi, et tout. Il s’ajoute sans cesse des chiffres à l’addition. D’une roue qui tourne, comment pouvez-vous compter les rayons ? « 

 

 

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

 The sun sets on the coast at Gruissan, Narbonne, France

Jeudi 24 mai de l’an 2012,

Mon très cher parent,

Oui ! comme tu le notes dans ton dernier courrier, le Royaume vit désormais dans un état d’ivresse qui présage hélas des lendemains migraineux. Les gazettes, qui, hier, tiraient à plumes raccourcies sur le « défunt » roi, gazouillent aujourd’hui sur son joyeux successeur. Point de railleries quotidiennes sur sa personne et ses chaussures, non plus: normal il serait, s’enchantent en choeur nos aimables nouvellistes. Pourtant, sur la dernière  image reçue, les lunettes en moins, je le trouve moi anormalement berlusconien avec ses poils corbeaux plaqués sur la moitié de son crâne, sa petite taille et son embonpoint menaçant ; même regard malicieux aussi où clignotent de brèves et cyniques lueurs : celui d’un acteur qui n’est point dupe de son jeu et de son personnage. Mais je crains fort que son incorrigible désir de « surjouer » la normalité n’amène le bon peuple à en saisir l’imposture. Déjà sa grandiloquente profession de foi sur l’irréprochable vertu de ses ministres se révèle être une classique tromperie : le comte de Hautebourg, condamné pour injures publiques, restera donc en fonction, après qu’il ait été solennellement  dit, par le sieur d’ Hérot, que nos vertus républicaines n’avaient point été malmenées par l’arrogant titulaire du « redressement productif ». A suivre cette fort libérale jurisprudence, il sera donc permis d’envoyer, le moment venu, à son créateur et à ses amis, en toute impunité, quelques républicains « noms d’oiseau » que justifieraient les circonstances. Tu me dis aussi que la « guerre des chefs » est désormais ouverte dans le camp du « feu » roi ! Mais quoi de plus naturel, n’est ce pas ? Ce qui l’est moins, tout de même, c’est que Kopé et Killon s’étripent en pleine bataille pour conquérir le plus grand nombre de conseillers à la cour. A croire que le second anticipe une défaite de son armée, ce qui, tu en conviendras, n’est guère enthousiasmant pour des troupes encore sous le choc de la défaite de Tartoly.La langue est une bête sauvage qu’il est très difficile de remettre à la chaîne, quand une fois elle est échappée. Et gageons que les humiliations, les frustrations et les ambitions tues pendant ces cinq dernières années vont se libérer à grands flots de petites phrases assassines. Ici, mon oncle, dans le Comté, la guerre – la politique n’étant qu’une de ses formes poursuivie par d’autres moyens- est tout aussi, symboliquement, Dieu merci, violente. A l’image des « Barques », ce mail où tu aimais tant, les matins d’été, te reposer à l’ombre des platanes. Un vrai champ de bataille ! On y abat arbres et bancs ; des barrières en interdisent l’accès et des engins de toute sorte y font un bruit d’enfer. Une apocalypse à la veille de Pentecôte de laquelle devrait sortir une admirable  promenade, nous dit le comte de Labatout. Ce qui fait tousser « le parti oxygéné » du sieur Lemaillet , qui ne cesse de le harceler à coups de déférés préfectoraux. Ne préjugeons pas de l’avenir, mon oncle. Après tout, une rénovation était bien nécessaire ; quoique celle réalisée dans les jardins du palais des archevêques me fasse craindre le pire. Une horreur, mon oncle , une offense à la culture ! Un mur de gigantesques pièces en métal rouillé posées là comme un défi au sens commun et à l’histoire ; on se croirait dans l’arrière cour d’un maréchal ferrant tombé sur la tête d’une enclume. Ah, mon oncle, il n’y a point d’orgueil comparable à celui d’un cuistre de collège, parvenu avec le temps à la dignité d’un office comtal. Pendant ce temps, dame Fade et sieur Bodorniou dialoguent à coups de sondages et de recours, tout en portant la même flamme batave ; ton ami de la Natte, toujours de noir vêtu et catogané , traverse la rue du Pont, continuement à la même heure; le gazetier Dédé de Navarre rédige et corrige des poulets alternativement bodorniens et fadiens, tout en flattant son « ami » Labatout – qu’il voyait, sans rire, ministre ! ; le sieur Si de Leucate, demain, pique nique au Château de Montplaisir; quant à de la Brindille, dont tu t’inquiétais, il préside ses fumeurs de cigares en rêvant du marquisat de Cuxac… Il est 8 heures du soir, mon oncle, la ville est calme et le ciel toujours bleu. Les hirondelles s’égayent devant ma terrasse et au dessus des toits; j’aime et accueille avec joie leurs fantaisistes sarabandes; et les regarde sans à priori, en me libérant des habitudes qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est. Choisissons d’être heureux, mon oncle : notre santé en dépend.

Je t’embrasse !

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

Narbonne: pont des marchands.

Narbonne: pont des marchands.

Samedi 15 mai de l’an 2012,

Trois jours ! trois jours enfin à pouvoir me déplacer à ma guise dans notre maison de famille après que j’en eus passé six immobilisé dans une anonyme chambre de l’Hôtel Dieu de Narbonne. La fortune manque de prévenance, mon oncle ! d’élégance aussi. Mais la chance et les dieux m’ont permis de retrouver ta bienveillante et chaleureuse amitié épistolaire. L’histoire, la grande, indifférente aux hommes n’en a pas moins continué son implacable cours, cependant que l’écume de la petite s’empilait sur mon écritoire. Ainsi donc, mon oncle, si j’en crois la lecture des lettres, nouvelles et gazettes que j’y trouvai ce jeudi saint, l’Esprit serait descendu pour racheter le Royaume des fautes commises en son nom par l’infâme Nicolas de Tartoly. Aux dires de la plupart de nos caressantes plumes, François de Gouda en serait l’incarnation  et  son sacre en aurait régénéré les mœurs et les sentiments. Une Pentecôte profane en quelque sorte ; ce que nos faiseurs d’opinion et de clichés appellent l’état de grâce. Pour l’heure, ne préjugeons rien de ce qu’il adviendra une fois dissoute cette torpeur hantée de vagues songeries, mon oncle, comme nous ne jugerons point sur de vagues intentions dont on sait, bonnes ou mauvaises, peu importe, qu’elles pavent l’enfer tragico-comique de l’histoire. Attendons sagement, comme il se doit, le dire et le faire de son gouvernement dans lequel siège au demeurant un jeune ministre en charge de la police, entre autres, pour qui j’ai le plus grand respect. Et puis restent, sur ce vrai chemin de croix électoral, les élections à l’ Assemblée Royale ! Elles sont bien lancées dans notre Comté, mon oncle, et la guerre des roses a repris avec force et vigueur. Ainsi, jeudi matin, dans les gazettes locales, nos « gentils » nouvellistes n’en ont que pour la marquise de Fade, hollandaise officielle, Bodordiou, ci-devant Prince, dit le petit, de Gruissan, hollandais officieux et le sieur Pandrieu, gardien jaloux du temple batave. Ces deux derniers reprenant un combat sans quartier ni pardon perdu par le détenteur du microscopique marquisat de Mouthoumet lors des dernières élections au royaume de Septimanie ; élections particulièrement fertiles en trahisons, rebondissements, coups de théâtre et intrigues, comme tu le sais. Sur la scène de ce petit théâtre comtal, du côté gauche, figure donc la pâle  madame Fade, au physique et au tempérament peu marin, qui parie sur une grosse et belle vague rose ; au milieu, mais venant de la gauche lui aussi, qui ne l’est en ces terres ? , le sieur Bodorniou, qui, en honoraire et brillant joueur de balle anglaise, pratique la feinte de passe et le cadrage débordement au centre…et sur la droite, un centre et une partie de la droite du Comté, rassemblés notamment dans le « parti oxygéné » du sieur Lemaillet, qui semblent, si j’en crois l’ostentatoire zèle de certains de ses membres, comme l’ancien président du club des cigares, le sieur Fraise, préférer la défaite de la marquise et du comte de Labatout à la victoire de leur représentant dument estampillé, occupant, lui, la droite de ce plateau, le jeune duc Si de Leucate. Plus coquet que bien des femmes de ce Comté, le désir de ce long, lisse et mince prétendant à la Cour au visage décoloré est de plaire et séduire valets et maîtres d’un Comté, rebelles, par nature, si je puis dire, à toute forme d’élégance qui leur rappellerait ce qu’ils abominent entre tout : « le style parrrisien », on roule les r, ici, mon oncle, surtout s’il est un peu trop affecté. Vois tu, dans ce royaume de Septimanie, on préfère encore, pour gérer les affaires publiques, à défaut de rougeauds buveurs de vin apprêtés comme des sacs, de blêmes apparatchiks ou d’anciens instituteurs vêtus à la mode mutualiste. Mais je m’égare ! Et la suite des évènements, imprévisible, pourrait infirmer cet ironique constat. Quoiqu’il en soit de la scène et des acteurs, mon oncle, l’intrigue et le mensonge sont évidemment mis aux enchères. Il s’agit de capter l’électeur aveugle, et pour cela de séduire, de mentir, de flatter. Dans ce vaste champ de l’intrigue, il faut savoir en effet cultiver la vanité des sots ; et, en politique, où tout le monde manipule tout le monde, plus qu’ailleurs; ce qui la rend dangereuse et passionnante : un homme ayant vécu dans l’intrigue un certain temps ne peut plus en effet s’en passer. Ce tantôt, ton ami La Bruyère me faisait fort justement remarquer que toute autre vie, pour ce genre d’individu, lui serait languissante. Il est vrai qu’il faut avoir de l’esprit pour être homme de cabale ; mais l’on peut cependant en avoir à un certain point que l’on est au-dessus de l’intrigue, et que l’on ne saurait s’y assujettir. N’est ce pas mon oncle ?

Je te souhaite grande fortune ! A demain de te lire.