La tête ou les jambes.

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Dans la guerre des chiffres opposant les Syndicats et le Ministère de l’Intérieur, une information donnée par un policier-manifestant ce dernier samedi vient enfin d’éclairer ma lanterne jusqu’ici impuissante  à discerner par quel tour de passe- passe statistique un porteur de pancarte d’Hortefeux en valait deux pour Chérèque. L’explication, fort simple au demeurant, ne manque pas de logique : sur un mètre carré de surface bitumée, le premier compte une seule tête quand le second compte les deux pieds ! Je ne plaisante pas, tout cela est très sérieux. Enfin ! deux pieds, je veux dire deux têtes… Alors, quand dans une manif comme celle de samedi, « les poussettes n’ont jamais été aussi nombreuses » (selon l’envoyé spécial du Monde), on peut comprendre que ce différentiel de ratio statistique, jamais clairement défini (ni surtout pondéré : par le poids, le degré d’handicap ou le matériel transporté par tête de manifestant) soit de plus affecté par le statut social incertain de bébés affublés de casquettes estampillées CGT. La statistique n’est décidemment pas une science exacte…

Le règne de la bêtise.

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Dans « La bêtise s’améliore », Belinda Cannone fait dialoguer trois personnages autour de l’amour, la politique, l’économie, l’art, la morale, le désir, le bonheur…, trois personnages qui s’étonnent de ceux, nombreux, dont nous respectons l’intelligence et qui s’en servent…bêtement. Comment comprendre en effet que des esprits sophistiqués et en apparence libre en viennent à patauger dans les idées toutes faites ? A cette question, l’un de nos protagonistes (page 128 et 129…), Gulliver apporte la réponse suivante : « …Tu te souviens que j’avais désigné le réflexe, la pensée-mode et la paresse comme trois sources de la bêtise intelligente. Il faut y inclure un quatrième mécanisme : le bon sentiment. Appelle-le compassion, empathie  ou révoltisme, selon les cas. » Autrement, et plus succinctement dit : le penser-court, les bons sentiments avant le raisonnement. Ou le militantisme compassionnel  nourri « par le cordon ombilical de la misère des autres, par ces souffrances collectives où elles abolissent du même coup leur individualité. », comme le dit si bien Philippe Muray. Un constat sociétal que partage, un jeune homme de 89 ans, Lucien Jerphagnon, qui nous livre aujourd’hui un savoureux florilège des réflexions sur la sottise, de Lucrèce à Cioran, tout en essayant de définir ce qu’il appelle la « sottise atmosphérique ». Celle qui traîne dans l’air du temps et à laquelle on n’échappe guère. Par exemple, au XIXe siècle, l’excès de rationalisme qu’incarne un M. Homais. Et aujourd’hui celle  alimentée par des opinions proférées avec solennité dans certaines émissions de télévision ou dans des « réseaux sociaux », comme Facebook, par exemple. Le remède à cette moraline ? La prudence et la modestie : celle des sages, Socrate et Jean Gabin : « Je sais que je ne sais pas. » Et l’humour aussi…

La mauvaise foi.

 

« Mind the gap ! » Combien manque-t-il dans les caisses des 27 pays de l’Union européenne pour assurer une pension décente à des salariés qui vont prendre leur retraite entre 2011 et 2051 ? 1.900 milliards d’euros ! 243 pour la France, soit 17 % du PIB de l’année 2010. 380 milliards d’euros (l’équivalent de 26 % du PIB 2010) pour les britanniques, et 470 pour les Allemands (24 % du PIB 201. Le Français a donc tout intérêt à épargner 8 000 euros par an pour compléter sa retraite future. Le Britannique 12.300 euros et l’Allemand 11 600 euros par an… Question : que faire ? Noyée dans un océan de déficits, la France n’a pas d’autre choix que de rechercher, sur un sujet qui engage l’unité de son corps social, le consensus de tous ses représentants.Mais, comme toujours, et conformément à son génie historique, à l’inverse de nos voisins européens, c’est dans l’hystérisation du collectif national que ses élites ont décidé de plonger dans le cynisme espoir d’en tirer quelques dividendes électoraux, en 2012. Et avec toute la mauvaise foi propre à ces acteurs du théâtre politique toujours habiles à susciter la peur et la compassion pour assurer leurs recettes. Surjouant leur rôle de marchands d’illusions, faisant semblant d’être ce qu’ils sont, incarnant leur personnage jusqu’à en devenir esclave et ne plus pouvoir en sortir. A la manière d’un garçon de café prisonnier de sa posture…

Edward Hopper et l’éloge du rien.

Les toiles d’Hopper m’ont toujours fasciné. Et les commentaires érudits sur son œuvre toujours déçus. Exclusion, mélancolie, aliénation reviennent sans cesse. Surtout sous la plume de critiques français, qui ne voient , chez Hopper, que le peintre d’une société américaine par essence plate, froide et opprimante. Comme si le silence, la tension, l’exclusion, voire la mélancolie qui enveloppent ses personnages étaient le propre d’un pays, d’une époque. Comme si George de la Tour, Goya, Munch… , en d’autres temps et d’autres espaces, n’avaient pas, eux aussi, tentés de cerner ce qui réside au plus profond de nos consciences : la solitude et l’attente. Ainsi de cette toile où le lieu de la scène, un bar vivement éclairé et sans murs, semble plonger, tel l’étrave d’un paquebot, dans l’océan de la nuit. Trois personnages y bavardent. Indifférents au quatrième, de dos, dont l’ombre ne laisse à la lumière que le bas d’un visage penché sur un verre que l’on devine à peine. Le mouvement de ses épaules marque la fatigue de l’attente. Le monde entier semble reposer sur lui. Mais que regarde-t-il ? Ce jour qui s’éteint, emporté ?  La pensée et le monde, vides en cette heure ? La solitude est en nous comme une lame, nous dit Christian Bobin, dans son « éloge du rien », profondément enfoncée dans les chairs. On ne peut nous l’enlever sans nous tuer aussitôt. L’amour ne la révoque pas, il la parfait. Et qui nous dit de cet homme, qu’en cet instant où plus rien n’est à attendre sinon l’inattendue, dans sa nuit, au loin, qu’il n’est pas au plus près de la saisir. Comme une prière le vent, comme une âme son être. Le génie d’Edward Hopper est dans cette faculté qu’il a de transformer la banalité des formes et des situations en représentations d’un univers métaphysique d’une profondeur inouïe. Le glacé de ses toiles en lumineuses rêveries. Le rien de la vie en tout de l’être… Inutile de dire qu’on l’aime… 

 

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