Moments de vie : N’oubliez pas !

J’aime ce nom. Rue du Bois Roland. Il sonne juste.

Je la prends souvent. Pour marcher. Pour respirer.

Des maisons basses. Des murs pâles. Des jardins serrés contre la rue.

Devant l’une, les belles de nuit débordent. Fleurs, graines.

Petites perles noires tombées sur le trottoir.

J’en ramasse. J’en sèmerai autour de ma cabane.

« Pardon Monsieur ! »

Voix claire. Une femme âgée dans un fauteuil roulant. Un homme la pousse.

Le bras droit immobile. Les yeux, vivants.

Elle me sourit. On s’excuse ensemble.

Plus loin, une maison bleue.

Le portail, les persiennes, les fleurs. Tout bleu.

Je touche les branches. Fines. Fraîches.

« Pardon Monsieur ! »

Encore elle. Même sourire.

— Je cherchais des graines.

— Il n’en fait pas, dit-elle. Mais je peux vous faire des boutures.

Un pot. Oui.

Elle ouvre son portail.

— N’oubliez pas.

Je promets. Le vent se lève.

Les fleurs bougent. Le bleu tremble un peu.

Et je me dis qu’il suffit d’un geste offert

pour que la vie reparte.

Le chien couché.

Hier.

Géraldine m’attendait. On aurait dit une adolescente. Menue. Jolie. Ses yeux brillaient comme si elle partait en vacances. Elle est chirurgienne.

Elle m’attendait pour m’arracher une dent de sagesse. « Énorme ! » m’a-t-elle dit, ravie, en la désignant. Comme si c’était un caillou trouvé sur la plage.

Puis vint la chaise. La position allongée. Le projecteur. La lumière aveuglante. Le métal froid des instruments.

Le bruit sec des os qui craquent. Comme un marteau-piqueur dans la bouche.
Une heure à transpirer, les poings serrés.

Chez moi, deux heures plus tard. Dans le noir. La douleur montait malgré les cachets. Elle était dans la chair, dans le temps qui ne passe pas.

Le front pesait lourd. J’ai fermé les yeux. Pour rien.

Le soir, la douleur s’est arrêtée. Immobile. Comme un chien couché. Les médicaments faisaient effet. La tête cognait encore, un tambour sourd.

La nuit passa sans sommeil. Les heures lentes, interminables. Le corps voulait sombrer. Les yeux restaient ouverts.

À l’aube, tout s’est arrêté. La douleur s’était enfuie. Restait la fatigue. Lourde. Comme un sac de pierres.

J’ai bu un café. Il était tiède. Mauvais. Mais c’était un café. La journée commençait.

Illustration : Francis Bacon.

Griggio dresse ses totems comme on réveille une mémoire endormie.

C’était dans les années 2000. À Moux, dans les Corbières. Là que j’ai rencontré Serge Griggio. Dans son atelier : l’ancienne épicerie du village. Aux murs, une série de toiles : « Dyptique Griggio Pirotte ». Pirotte ! Pirotte admiré. Ici, lu, commenté. En plein cœur des Corbières. Ma surprise fut grande.

Articles récents