La Franc Maçonnerie en question de Serge Moatti et Alice Cohen !

 

Dans le cadre de l’excellente émission « Le Monde en Face » animé par  Carole Gaessler,  France 5 nous a proposé,  mardi 29 avril à 20 heures 35 un documentaire de Serge Moati intitulé « Mes questions sur la franc-maçonnerie ». Un documentaire d’une heure, pour une fois bienveillant et distancié, loin des fantasmes habituellement vendus chaque année par des hebdomadaires en panne d’inspiration et de trésorerie ;  mais cependant assurés de forts tirages lors de la publication de ce genre de  » marroniers  »  . Cette  » coupe  »  dans une institution , il est vrai  » discrète  » , aura  sans doute permis , à ceux qui s’interrogent sincèrement sur son rôle et son utilité dans une société comme la nôtre , de se faire une opinion pour une fois débarrassée de préjugés aussi ridicules , parfois , que , souvent, pour ne pas dire toujours, infondés .

La personnalité de Serge Moatti, fils et petit fils de maçons , qui fut franc-maçon lui même dès l’âge de 18 ans jusqu’en 1982 , est sans doute pour beaucoup dans cette présentation très équilibrée , mais sans concession . Ni de forme, ni de fond ! Sans rien cacher de pratiques et de moeurs qui  » font débats  » dans une époque où la transparence en tout domaine est portée au rang des plus hautes vertus démocratiques, il a su, dans ses entretiens avec des personnalités aux parcours sociaux, intellectuels et politiques très différents, bien montrer la diversité et la richesse d’une maçonnerie française rassemblant aujourd’hui 160 000 «frères» et «soeurs» , contre 70 000 «initiés» en 1989.

 

De cette petite heure, je retiens, pour ma part, trois moments .

Ce face à face entre Serge Moatti et Daniel Keller tout d’abord, en fin d’émission. Deux physionomies, deux sensiblités, deux intelligences, deux manières même si je puis dire, de se tenir … devant la caméra, ! Et cette remarque en particulier de Moatti interromptant Keller , qui faisait observer, à juste titre, que la maçonnerie n’était pas un « ertsaz de religion « , qu’elle n’était pas non plus un  » ertsaz  » de parti politique. En un condensé saissisant , se donnait ainsi à voir et à entendre deux manières de vivre l’engagement maçonnique. : spiritualité et perfectionnement de soi pour l’un, débat sociétal et engagement dans la cité pour l’autre…

La discussion entre le même Moatti et l’ancien procureur Eric de Montglofier ensuite sur le si commenté  » secret maçonnique  » . Qui fit tomber un certains nombre de lieux communs, tout en mettant en évidence ce qu’une certaine pratique de la  » solidarité  » entre  » frères  » pouvait avoir de répréhensible, voire de contradictoire avec les codes en vigueur qui régissent et garantissent le bon fonctionnement de nos institutions.

L’exemple de la justice était de ce point de vue particulièrement éloquent. Là encore, c’est  la responsabilité de chacun devant sa conscience de citoyen, mais aussi de maçon, qui était interrogée. Nullement en opposition, il ressortait de cet échange , c’est aussi ma conviction, que les exigences de l’une comme de l’autre impliquait de savoir dire non dès lors que des principes comme celui de la solidarité entre  » frères  » étaient mobilisés pour d’autres motifs que ceux permettant de venir en aide à ceux qui seraient dans la difficulté ou la détresse financière, morale ou psychologique.

Enfin, dernier moment, ou plutôt derni!ères paroles retenues. Celles, nettes et érudites de Roland Dachez tout au long de cette l’émission qui, sans pathos, a , entre autres   » cassé  » le mythe selon lequel la maçonnerie serait aujourd’hui, par sa production intellectuelle et ses actions, au coeur de l’évolution politique et sociale de nos sociétés. Si elle le fut, sous la troisième république notamment, elle ne l’est plus et on ne voit pas comment ni pourquoi elle y reviendrait…

On pourra me reprocher d’avoir laisser de côté d’autres moments et d’autres questions soulevées par cet excellent documentaire, mais la place ici me manque pour de trop longs développements. Reste la possibilité pour tous de revoir , ici en ligne, la vidéo de cette émission . Ainsi chacun pourra élargir ma  » focale  » et se faire sa propre opinion …

La politesse serait elle un vilain défaut.


La politesse serait-elle devenue un très vilain défaut ? De celui que notre époque considère, à l’inverse du sens commun, comme la « marque » des esprits libres. De ces esprits que nous offrent en spectacle certains plateaux de télévision où l’insulte et la vulgarité sont élevées au rang de valeurs émancipatrices. C’est la réflexion que je me faisais hier, me promenant dans les rues de Narbonne, après m’être fait bousculer par trois ou quatre personnes sans autres distinctions apparentes que leur âge et leur vêture. Des espèces de zombies modernes aux regards vides et pleins de ce mépris souverain à l’égard de quiconque à le malheur de se trouver sur la trajectoire de leur pauvre chemin de vie. 

Lundi de Pâques ! Mystères des martinets …

Martinet-noir--Louis-Eloyve

Lundi de Pâques, 8 heures 30. Un rituel : mes premières tasses de café devant ma fenêtre à observer le ciel. Bas aujourd’hui. Nuageux, sombre. Cela fait deux ou trois jours que j’attendais les martinets . Ils sont enfin là !

Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le coeur. Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il touche au sol, il se déchire. Sa repartie est l’hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour? Sa pause est au creux le plus sombre. Nul n’est plus à l’étroit que lui. L’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit. Il n’est pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’est toute sa présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel est le coeur.

 René Char : Le Martinet ( Fureur et Mystères ).

Débat sur le « conservatisme politique » avec et autour d’Alain Fikielkraut !

finkielkraut

Ce matin, sur France Culture, chez Marc Voinchet, une impeccable chronique de Brice Couturier . Et un beau moment de radio avec comme invité Alain Finkielkraut qui , en fin d’émission, rendit un hommage inattendu au grand torero José Tomas qui fit , il est vrai, un solo d’anthologie, à Nîmes, en 2012 … Mais cela est une autre histoire ! Voici donc la chronique de B.Couturier :

 » Le conservatisme politique n’a jamais trouvé de terrain où s’implanter en France. Nous avons bien une droite mais, comme la gauche, elle est progressiste. Ainsi que l’a démontré François Huguenin, dans son essai sur le « conservatisme impossible », après la Révolution de 89, nous avons eu des libéraux et des contre-révolutionnaires, mais jamais l’équivalent d’un parti Tory, à l’anglaise. Plus tard, nous avons connu un courant réactionnaire, qui rêvait d’abolir la Révolution, un catholicisme social, une droite populiste d’inspiration bonapartiste ou boulangiste, des modérés, tout ce que vous voulez, mais rien, rien qui ressemble au parti de Benjamin Disraeli et de Winston Churchill, en Grande Bretagne.

Comme disait Albert Thibaudet, la vie politique, en France, depuis 1830, est animée d’un « mouvement sinistrogyre », un « sinistrisme immanent au jeu électoral », qui fait « il n’y existe pas plus de ‘conservateurs’ officiellement déclarés qu’il n’existe, dans l’épicerie, de petits pois gros ». Le mépris des conservateurs ne date pas d’hier. Dans son Dictionnaire des idées reçues Flaubert écrit : « Conservatisme. Tonner contre. »

Toutefois, dans son fameux essai sur Les idées politiques de la France, Thibaudet faisait une place à ce qu’il appelle « le traditionalisme ». Mais cette place, il la disait occupée uniquement par des gens de lettres, la situant entre le Génie du christianisme de Chateaubriand et la Recherche du Temps perdu de Proust. Je cite Thibaudet : « Les lettres, la presse, les académies, les salons, Paris en somme, vont à droite. »

La pensée conservatrice se porte fort bien en Angleterre, aux Etats-Unis, en Espagne, en Allemagne. Citons pour mémoire Russell Kirk, Irving Kristol, Chesterton, Leo Strauss, Michael Oakeshott, Ortega y Gasset, Roger Scruton. Je sais bien que ces noms sont presque inconnus en France, précisément parce que la pensée conservatrice ne nous intéresse pas, mais ce sont des penseurs d’envergure et de renommée internationale. Le seul qui nous soit un peu familier, c’est Edmund Burke, parce qu’il a écrit un livre impitoyable sur notre fameuse Révolution. Mais il n’est pas certain que ce soit un authentique conservateur. Pour certains spécialistes, comme Gertrude Himmelfarb, ce défenseur de la Révolution américaine était, en fait, un libéral.

Je voudrais évoquer, en passant, une tentative méritoire et isolée de faire naître une pensée conservatrice française. Celle de Nathanaël Dupré La Tour, qui a publié un petit essai fort bien tourné, intitulé « L’instinct de conservation ». « L’esprit conservateur », écrit-il, « s’attache à découvrir ou préserver dans les expériences passées ce qui peut rendre l’avenir vivable ». (p. 66)

Michael Oakeshott, de son côté, définissait le conservatisme comme une « disposition » et en aucun cas comme une doctrine. Et pour résumer d’un mot cette disposition, il dit « la conscience d’avoir à perdre quelque chose qu’on a appris à aimer. » « Etre conservateur », écrit encore Oakeshott, c’est donc préférer le familier à l’inconnu, ce qui a déjà été essayé à ce qui ne l’a pas été, le fait au mystère, le réel au possible, le limité au démesuré, le proche au lointain, le suffisant au surabondant, le convenable au parfait, le rire de l’instant présent à la béatitude utopique. » (Du conservatisme, p. 38)

Bref, le conservateur selon Oakeshott, se méfie par-dessus tout des prétentions apparemment rationnelles de remodeler la société selon un patron qui se voudrait universel et ne tiendrait pas compte des spécificités locales. Le conservatisme est une philosophie anti-idéologique. Comme vous l’avez écrit vous-même, Alain Finkielkraut, « A l’homme en général, le conservateur oppose des traditions particulières. A l’abstraction, l’autorité de l’expérience. » (L’ingratitude, p. 138)

Bref, le conservatisme procède d’une réaction de méfiance envers l’abstraction des Lumières. C’est une protestation au nom du réel qu’on a sous la main, contre les plans mirobolants des progressistes.

Vous appartenez, comme moi, à cette génération anti-totalitaire, qui s’est formée à la lecture des dissidents d’Europe centrale et qui en a retiré une horreur des prétentions prométhéennes propres aux régimes totalitaires. Mais, entre les utopies meurtrières du XX° siècle et la fidélité aux morts, à ce passé que notre hyper-modernité juge et condamne avec tant d’arrogance, n’y a-t-il pas place pour des améliorations réalistes et ponctuelles ? Entre le bougisme qui prétend nous entraîner toujours plus vite vers nulle part et la condamnation sans appel de notre modernité qui s’emballe, n’y a-t-il pas possibilité d’un moyen terme ? Après tout, si nous vivons mieux que nos parents, c’est parce qu’ils ont eux-mêmes pratiqué ce réformisme raisonnable qui a ma préférence… « 

 

 

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