Ce matin, 10 heures 30, je m’installe devant le comptoir de Gilles Belzon, sur un de ces inconfortables tabourets hauts, pour y boire mon dernier café serré de la matinée. À ma gauche, deux hommes aux visages marqués par d’incontestables excès de table commentent passionnément le tournoi de Roland Garros. Des bribes de leur conversation, je comprends que rien ne leur est étranger de l’histoire sportive des compétiteurs encore en course, jusqu’à leur âge et le nombre de coups droit ou de revers gagnant à leur actif. Un dénommé Simon est évoqué sans que je sache s’il s’agit d’un patronyme ou d’un prénom ; puis, brusquement, comme un pastis posé sur le zinc d’un bistrot par un serveur blasé, le rugby est convoqué dans cet échange encyclopédique par celui qui, depuis mon arrivée, noie son interlocuteur sous un flot d’informations à faire pâlir d’envie un journaliste professionnel (Je dis ça, façon de parler, ma culture tennistique étant d’une pauvreté indigne d’un homme moderne censément passer ses après midi devant sa télé à tourner sa tête au diapason de celles de spectateurs assistant à ce rituel mondain et sportif dans le temple gaulois de la petite balle jaune).
Jeudi 19 heures, rendez-vous avec Benoit-Maéva Perez, le jeune et entreprenant animateur de Narbonne-Solidaire, sur le parking de l’ancienne salle des ventes où je le retrouve en compagnie de sa joyeuse (oui !) équipe de bénévoles servant le repas du soir à cette « société » de SDF et de clochards – j’en croise certains dans les rues de Narbonne, mais la plupart me sont inconnus – qui vit – façon de parler – en marge et dans l’indifférence plus ou moins avouée de la nôtre, quand elle n’est pas à ses yeux rendue invisible.
Je ne connais pas ce monsieur El Assidi (dont la notoriété ne tient qu’à son statut de légataire universel de Charles Trenet), mais son rabachage perpétuel et plaintif devant la tombe du « fou chantant » – et de représentants de la presse –, à l’occasion de son jour anniversaire – le 18 mai – me fait grandement douter de la noblesse de ses sentiments « filiaux » envers ce grand poète de la chanson française.
La quatrième de couverture de ce petit livre de Joël Baqué : « la mer c’est rien du tout » (99 pages) édité chez P.O.L (excellente maison d’édition) est composée d’une seule phrase rythmée par trois verbes à l’infinitif – vivre, devenir, découvrir – : « Vivre une enfance languedocienne, devenir le plus jeune gendarme de France puis maître-nageur sauveteur des CRS, découvrir la littérature et le plaisir d’écrire ». Une présentation qui d’emblée signale un ton et une forme de récit autobiographique libéré des contraintes et des usages habituels.
Je m’oblige à regarder les JT et les publicités qui les suivent pour ne pas me couper définitivement de cet « esprit public » modelé quotidiennement par leurs créateurs. Certains m’en feront évidemment le reproche et me conseilleront d’aller voir un de leurs amis psychothérapeutes pour m’en éloigner le plus vite possible. L’inconvénient, si tant est qu’eux mêmes n’en soient pas les « victimes », en serait toutefois de ne rien comprendre aux désirs et comportements massivement stéréotypés qui animent notre vie sociale.