En Côte d’Armor, une jeune femme de 28 ans a été tuée à coups de couteau par sa compagne. On aurait donc pu s’attendre à la qualification médiatique habituelle pour un tel crime. Eh ben, non ! Point de féminicide (personne qui tue une femme), mais un banal homicide (personne qui tue un être humain) fut-il déclaré – du reste la qualification juridique classique. Faut-il donc en conclure que ce premier vocable ne doit être employé que dans les cas de meurtres de femmes par des hommes ; et ce au motif qu’ils seraient moralement et politiquement plus graves car la conséquence directe, sans autres motivations particulières ou circonstancielles, d’une domination masculine spécifique et systémique ? Moralement plus graves comme pour les infanticides et parricides avec la cause aggravante du patriarcat en plus ?
De mémoire de paroissien, jamais la basilique Saint Paul Serge, n’avait accueilli autant de monde. On se serrait sur les bancs, dans les travées, les chapelles et les coins les plus obscurs et reculés de l’église. Faute de places, de nombreuses personnes attendaient dehors la fin de la cérémonie. Une bénédiction conduite de très belle manière. Sobre et bien rythmée par les officiants, le rituel touchait le cœur comme l’esprit. Le mien en tout cas : je suis sensible à la beauté de certaines liturgies ! Adossé à l’un des piliers, près de l’entrée, j’écoutais l’hommage émouvant rendu à Solange. Le célébrant était doté d’une voix de chantre, chaude et profonde qui sonnait juste dans un silence parfait. Jusqu’à ce qu’une voix étouffée, très proche, hélas ! se fasse entendre. J’ai mis un certain temps avant d’en trouver la source. Les sons qui en sortaient, pareils à des lamentations murmurées, étaient ceux d’un vieil homme, petit, chétif, le nez collé à la jointure du grand portail et d’un mur latéral. La tête penchée sur son gros portable vert, le corps ramassé, crispé, il avait l’attitude d’un pêcheur à confesse. Rien au monde ne pouvait le distraire : il marmottait insolemment dans sa bulle numérique. Lorsqu’un employé municipal chargé du protocole s’est approché pour lui demander de se taire, j’ai pu apercevoir, devant moi, par-dessus les têtes qui m’entouraient, son visage. Ses yeux écarquillés et sa bouche ouverte exprimaient son incompréhension et glorieuse bêtise. La circonstance m’offrait ainsi,en ce moment de célébration et de receuillement, la figure contemporaine, brutale, de l’abruti connecté. Je ne suis pas prêt de l’oublier !
Moments de vie : une troublante et douloureuse rencontre.
Trois, quatre ans peut-être que je n’avais pas rencontré cette « figure locale », vicieuse et décrépie, qui marche à l’équerre et pense très bas. C’est malheureusement arrivé en ce début de semaine. Il montait le Cours de la République, je le descendais. Au moment de nous croiser, je me demandais quelle attitude adopter. Lui dire enfin la honte que j’éprouvais encore de lui avoir un jour serré la main. Ou bien continuer mon chemin sans chercher son regard, tant est lourde la charge de mépris que m’inspire ce genre de personnage. J’ai choisi finalement cette dernière option. Cela dit, pendant le bref laps temps où il fut à ma portée, j’ai pu constater qu’il n’avait pas beaucoup changé. Le « patron » est toujours le même, en effet. Court sur pattes, il avance à petits pas désordonnés, sur de petits souliers vernis à talonnettes. Un ridicule qu’au sommet de sa tête soulignent de rares cheveux teints couleur corbeaux, qu’accentuent des joues pleines, flasques et jaunes. Avec, au milieu de ce visage en forme de poire, une bouche constamment entrouverte sur une denture équivoque. Il n’est pas le seul dans son genre, me disais-je. On en trouve des copies dans tous les milieux sociaux et cénacles plus ou moins discrets de nos villes et campagnes. Ils aiment y barbouiller et se prétendent philosophes. Le reste des attributs de ce type d’homme, petit, fat, ridicule et grossier importe peu finalement. Mais voilà, je ne pouvais le lui dire hier et ne le lui dirait jamais. Se rendre compte trop tard des blessures d’amour-propre causées par la fréquentation, même éphémère, contraintes ou tolérées de certaines personnes, est une expérience douloureuse. Combien d’entre nous y avons succombé, hélas, victimes de vraies « petites lâchetés » et de fausses « bonnes manières » ? L’âge désormais, fort heureusement, m’en préserve. Contrairement à ce qui est souvent dit et pensé, le vivant, je ne me suis jamais senti aussi libre…
J’ai vu un parasol de marque Pernod faire du rock en roll sur la plage. Sa pointe menaçait d’embrocher des corps huilés et relâchés. Aucun ne fit le geste de l’attraper.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]