Hier soir, tard, entre veille et sommeil, lu cette note d’André Blanchard(Entre chien et loup: carnets):
« Quand on commet des erreurs d’interprétation à propos de tel ou tel de mes comportements, comme beaucoup j’en ressens du désagrément. Que traînent des idées fausses sur notre compte, même l’humilité a du mal à ne pas se froisser. Le hic, c’est que ces erreurs proviennent en grande partie de mon fait (la désinvolture, le peu de peine que je prends s’agissant de m’expliquer clairement, mon peu d’empressement pour rectifier quand j’en ai la possibilité, et ce au nom de cet «à quoi bon ?» chéri). On comprend que, confronté à ces opinions erronées, je pique alors des colères épiques, mais après coup, et après moi ! »
Ces phrases, j’aurais pu les écrire. À l’exception de la dernière cependant . À quoi bon ces colères épiques, en effet. Rien ne peut faire que nous ne soyons à jamais exemptés d’idées fausses : en bien ou en mal ; sur notre compte et celui des autres …
«Quand j’habitais Alger je patientais toujours dans l’hiver car je savais qu’en une nuit, une seule nuit pure et froide de février, les amandiers de la vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. Je m’émerveillais de voir ensuite cette neige fragile résister à toutes les pluies et au vent de la mer. Chaque année, pourtant, elle persistait juste ce qu’il fallait pour préparer le fruit.»
Dans ce texte de 1940 : l’Eté, Camus associe la fleur d’amandier à la force de caractère, qu’il définit ainsi : «Je ne parle pas de celle qui s’accompagne sur les estrades électorales de froncements de sourcils et de menaces. Mais de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève. C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit.»
Une force de caractère qu’il nous demande de ne pas oublier, de toujours mobiliser; une force propre à vaincre «l’esprit de lourdeur» et ses vertus gémissantes.
C’est au retour d’une petite randonnée dans le massif de la Clape, hier, par vent violent, pluie et grésil mêlés, que cette méditation de Camus m’est vaguement revenue à l’esprit.
Devant mon clavier, une branche d’amandier. Je l’ai ramassée au pied de son arbre …
«Aujourd’hui, dans un siècle voué au raisonnement et qui a inventé la pensée pour tous, les gens ne savent plus supporter le silence, et ils sont emportés par le fleuve des mots de convention, dont chaque individu, paradoxalement, mésuse à sa façon sous la forme opaque d’un bavardage universel qui n’exprime rien de réel et procède même d’une véritable schizophrénie collective. Il conviendra, bien entendu, de dégager le sens positif de cette schizophrénie, car elle en a forcément un, et de voir comment et pourquoi, par quel «progrès», on passe par exemple de l’hébétude de mon grand-père maternel à l’excitation verbeuse de l’homme d’aujourd’hui, stimulé et drogué par l’information.»
Et ceci:
«[…] il m’arrive de penser que la terre où je marche, plus sensible que nous mais voilée à nos yeux par notre poussière, s’est imprégnée dans ses profondeurs, des siècles durant, de ces images ignorées de nous, et qu’un jour peut-être des hommes au regard rénové ou munis d’instruments étranges sauront les lire et se pencheront, pensifs, sur elles. A quelques dizaines de mètres à peine de l’avenue à grand trafic, ces lieux sont tranquilles, presque déserts. Rien n’y bouge, on y respire un air immobile, le même, semble-t-il, depuis des siècles. Mais nos yeux ne savent pas reconnaître les signes enfouis.»
De ce titre, faisons notre pensée du jour. A l’adresse de mes voisins qui me reprochent d’être gai quand ils sont tristes. Ou l’inverse!Mes pages: Anatole France: Le jardin d’Epicure
La vérité est que la vie est délicieuse, horrible, charmante, affreuse, douce, amère, et qu’elle est tout. Il en est d’elle comme de l’arlequin du bon Florian: l’un la voit rouge, l’autre la voit bleue, et tous les deux la voient comme elle est, puisqu’elle est rouge et bleue et de toutes les couleurs. Voilà de quoi nous mettre tous d’accord et réconcilier les philosophes qui se déchirent entre eux. Mais nous sommes ainsi faits que nous voulons forcer les autres à sentir et à penser comme nous et que nous ne permettons pas à notre voisin d’être gai quand nous sommes tristes.
Mais que j’ai ri! En voilà un autre, de ces romans anglais faussement sérieux et plein d’humour, qui prend le lecteur à témoin de l’incohérence et de l’absurdité de la plupart de nos comportements…