Ce matin, j’ai lu une heure ou deux, Schopenhauer. Ces « Aphorismes sur la sagesse » précisément ! Comme chez tous les grands sceptiques, l’ironie perce sous ses « considérations » morales. Et avec lui, on est gâté ! « Le monde ne devrait pas exister ». Boum ! Rien ne lui échappe. Il ponce, râpe à fleur de sentiments et de mots. Paradoxalement, ça me donne de l’énergie ; il m’aide à supporter les malaises, inquiétudes et hypocrisies sociales, qui font l’ordinaire de nos vies. Surtout en ce moment. Pour tout dire, je le trouve très réjouissant.
Depuis les premières alertes sur l’extrême dangerosité de cette pandémie, je respecte scrupuleusement les gestes de protection qui ne cessent depuis de m’être rappelés par toutes sortes d’autorités. Je me plie aussi, sans regimber, à l’interdiction qui m’est faite, sauf exceptions, très peu nombreuses d’ailleurs, de sortir de chez moi.
Ce matin encore, deux heures passées en compagnie de Benjamin Constant à lire son journal intime – intime car il n’était pas destiné à la publication. Et à chacune de ses notations, observations et réflexions, où éclate son septicisme railleur, le même éblouissement.
28 mars, il est 8h 19, précisément. Sur ma terrasse ! Une tasse de café aux lèvres, je laisse mon regard aller au dessus de toits encore sombres ; et se perdre dans un ciel toujours aussi triste. L’animent des goélands au vol lourd ; ils tournoient lentement, pareils à des vautours. Plus bas, dans la rue, déserte, un homme seul, âgé, couvert d’une épaisse parka rouge, tire un léger chariot vert. Au loin, en remontant façades et faîtages, la Clape et son front bas, ondulé ; jusqu’à ce que, à la dérive sur les murs et les toits de la ville, j’aperçoive, enfin, évidents et sensibles, les espiègles battement d’ailes d’une hirondelle ; solitaire et joyeuse…