Contre-Regards

par Michel SANTO

Pensées d’automne.

 

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Pensées d’automne : Celles-ci, prises au hasard, chez Henry de Montherlant.

° « Socrate, traversant un marché à Athènes : « Que de choses dont je n’ai pas envie ! » Aux griefs qui le firent condamner, on ajouterait aujourd’hui : antisocial, pour consommation insuffisante » (La Marée du soir carnets 1968-1971)

° « la tragédie est que la bêtise n’est jamais unilatérale. Tout deviendrait  trop facile » (La Marée du soir carnets 1968-1971)

° « L’effort constant d’une vie doit être d’élaguer : dans nos tâches, dans nos devoirs, dans nos relations, dans nos curiosités, dans nos connaissances même, pour nous concentrer, avec une force accrue, en un petit nombre d’objets qui nous sont propres et essentiels » (Le solstice de juin).

° « Qui veut trop trouver ne trouve rien » (La Marée du soir carnets 1968-1971)

° « Je ne me plains pas, je m’exprime. (Idem)

 

Comment ne pas philosopher?

 

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Pourquoi philosopher ?

Cette question, combien de fois l’ai-je entendue. Ou bien alors formulée autrement : à quoi bon lire Flaubert ou Stendhal aujourd’hui ? A ce président d’organisation patronale qui m’interrogeait ainsi au temps où mon métier exigeait ce type de collaboration, j’envoyais par la poste : « L’Art de la guerre » et « Lucien Leuwen ». Le premier, pour qu’il abandonne ses manuels de management ; le second, pour qu’il largue son Bourdieu pour comprendre enfin la société et les hommes. Plus sérieusement, et parce que depuis il est devenu mon ami, je lui disais que la philosophie naît d’abord d’une absence et du désir de la combler ; de la rendre présente en quelque sorte, de se l’approprier. On ne désire pas la sagesse parce que je sais ce qu’elle est, mais parce qu’elle est absente de moi. C’est ce désir que le philosophe ne cesse de creuser, lui disais-je. Il est l’effort de saisie de l’Un sur le multiple ; l’effort de saisie du sens. Un besoin à chaque fois renouvelé.

C’est donc dans la quête du sens qu’il faut chercher la parole philosophique. Une quête, un désir qui répond à un besoin fondamental, irrépressible, de l’être humain.

Cette manière là de concevoir la philosophie, il est vrai, tranche  avec la tradition rationaliste française, qui cherche à expliquer le réel, par la mise en évidence de « structures » et autres « causes », plutôt qu’à le comprendre, à lui donner du sens. Elle est en effet une entreprise intellectuelle prudente, sceptique qui ne s’appuie sur aucune Loi, aucune révélation mais sur cet universel et intemporel besoin humain de sens susceptible de toujours entraîner la déception. Ce que Jean-François Lyotard, après tout, dit mieux que moi, et que je laisse ici conclure – provisoirement :

« Vous ne pouvez transformer ce monde qu’en l’entendant, et la philosophie peut bien avoir l’air d’un ornement de bonne famille (parce qu’elle ne produit pas des avions supersoniques ou parce qu’elle travaille en chambre et n’intéresse personne) elle peut être cela, et elle l’est réellement : il reste qu’elle est ou peut-être aussi ce moment où le désir qui est dans la réalité vient à lui-même, où le manque dont nous souffrons, en tant qu’individu ou en tant que collectivité, où ce manque se nomme et en se nommant se transforme ».

Comment donc ne pas philosopher ?

 

 

La rose et le résidu.

 

 

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Je voulais trousser un petit madrigal en l’honneur de nos nouveaux gouvernants puisqu’aussi bien, depuis la tragique disparition de leur barde officiel et patenté dans la forêt vosgienne (tu sais, celui qui célébrait le passage des ténèbres à la lumière et qui a vécu là dessus pendant trente ans), ils paraissent dépourvus de thuriféraire officiel.

A priori la chose est difficile car il faut bien avouer que le sujet n’inspire pas particulièrement les envolées épiques et il faut une certaine imagination pour y voir une quelconque épopée…Mais, cependant, tel Clément Marot a la cour de François 1er (celui de Marignan et du drap d’or, pas celui de l’observatoire), je voudrais essayer, en l’honneur de François deux dit « le normal » (second de la lignée dont l’avènement date de cette lumière dont je parlais plus haut, le premier étant François 1er dit « le futé »… ) de lui donner un petit triolet, une suite enjouée et guillerette destiné a soutenir son moral et sa déjà légendaire combativité face aux jours difficiles qui s’annoncent.

Paraphrasant un peu Aragon, j’avais d’abord pensé comme titre à « la rose et le résidu », tant il apparait que, pour reprendre en la modifiant un peu une célèbre formule, le PS d’aujourd’hui, c’est ce qui reste du socialisme quand on a tout oublié….

Et puis, le reste venait bien… « celui qui croyait aux promesses et celui qui n’y croyait pas »… etc., ça paraissait coller…

Mais finalement et j’en demande pardon aux mânes du bon Jean de la  Fontaine, je me suis replié sur un petit pastiche d’un de ses petits tableaux que tout le monde reconnaitra…Un peu, également, c’est vrai,  parce que, dès qu’il est question de fables, le nom du PS vient immédiatement à l’esprit tant il excelle dans ce domaine…La transition apparaissait donc très facile…

Voici donc le résultat de cette cogitation en espérant bien, je l’avoue, que cela me vaudra une croute de fromage dans l’une quelconque de ces petites cours de province ou les baronnets des lieux dispensent leurs bienfaits aux affidés avec tant de largesse.

Après tout, semble-t-il, être journaliste, poète ou créateur appointé et subventionné est désormais le rêve de tout artiste qui se veut libre ! Non…?

 

Le PS ayant sifflé cinq années,

Se trouva fort dépourvu

Quand son heure fut venue…

Plus un seul petit euro

Pour faire encore le Zorro…

Il alla crier famine

Chez Angela sa voisine,

La priant de lui prêter

Quelques euros pour subsister

Jusqu’aux élections prochaines…

« J’ai tout bouffé, foi d’animal

Intérêt et principal ! »

La teutonne n’est pas prêteuse,

C’est là son moindre défaut…

Que faisiez-vous aux temps beaux … ?

Dit-elle à cette emprunteuse…

Euh, je promettais…

Je braillais, éructais, m’étranglais de colère,

Je sauvais en discours l’humanité entière,

Oh, oui,, je promettais aux foules laborieuses

Des lendemains qui chantent, des fins de mois heureuses,

Je faisais rendre gorge à tous les possédants,

Je matais la finance avec tous ses mandants,

J’appelais au combat les damnés de la terre

Et je multipliais par trois les fonctionnaires…

Je haïssais l’argent, surtout celui des autres,

Je reprenais de Marx les actes des apôtres.

Empli de compassion, j’expliquais aux agents,

La façon dont il faut réprimander les gens,

Les Roms, les trafiquants et autres délinquants

Car ce n’est pas leur faute si le grand capital

Fait sur eux sa pelote et les oblige au mal…

Je cognais, je tapais…ça ma défoulait bien…

Oh, oui, je promettais…

                                         Et, là…Me voilà bien…

 

Ach…S’écria la teutonne,

Vous promettiez ?

Eh bien, tenez, maintenant…!

 

Le votant, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus…

(Je sais, ce n’est plus la même fable mais je trouve que cela fait une très jolie et très morale fin)

 

 

Y a d’la joie…

 

 

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La saison des festivals, fêtes, fiestas, férias est terminée. Enfin! « Si tu ne viens pas à la fête, la fête viendra à toi » disait Philippe Muray. Elle est venue,grosse et braillante. Vulgaire! Il est cinq heures ce matin et les employés municipaux ont la gueule de bois. Le regard vide, ils traînent leurs balais sur des chaussées jonchées de papiers gras, de gobelets et de canettes écrasées . Au coin d’une rue, un petit tas d’humains cuve son vin. Narbonne s’éveille! Le « festival Trénet » est terminé. Une offense au poète ce label. Nous fûmes loin, si loin, de l’élégance et de la légèreté du « fou chantant ». Quelques étincelles cependant, comme samedi, sur la terrasse de l’ancienne bibliothèque. Un poème de Reverdy, sur un mur du Conservatoire nous faisait  clin d’œil et saluait les artistes.Le reste? Des « bodegas » technos en feu, une programmation racoleuse, des « stars » inaudibles, un animateur stupide, un orchestre surdopé, et des agapes à 120 euros pour des élus et collaborateurs d’élus invités venus écouter Gréco « se déshabiller ». A 84 ans  ! On a frisé l’overdose. Par bonheur tout cela est fini. On va pouvoir saluer l’automne en trinquant face à la mer sans être gêné par des forêts de parasols et des odeurs d’ambre solaire. En attendant la rentrée ! Qui sera tout aussi  chaude , bruyante et  chargée , évidemment! Comme chaque année ! Y a d’la joie…Je vous le dit, partout partout, Y a d’la joie…

 

 

 

 

 

La grande récup.

 

 

 

 

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Puisque tu évoques Maimonide dans ton dernier billet, Michel, tu permettras a l’autodidacte fasciné par l’histoire de la pensée que je suis, de te livrer, ainsi qu’a tous ceux qui nous font l’amitié de nous lire, ces quelques réflexions.

Celles-ci, je m’empresse de le dire ne veulent surtout pas être prises comme un cours magistral (quelle sotte et folle prétention cela serait !), encore moins un étalage complaisant d’érudition (plus on sait de choses et mieux on mesure son ignorance…) mais seulement l’expression d’un besoin de partage, loin des cursus universitaires, de cette démarche faite de questions sans cesse reformulées sur l’histoire et le développement de la pensée humaine.

Combien il me serait agréable qu’un lecteur, quelque part, partageant ces questionnements me fasse connaitre son sentiment sur ces quelques lignes… ! Quand  on cherche a plusieurs on ne trouve pas davantage, certes, mais, au moins, on a moins froid !

Après tout nous ne sommes que le résultat de tout ce qui nous a précédé et nos questionnements ne sont que le prolongement des interrogations les plus anciennes…Notre esprit est comme une place vide traversée de part en part par tous les vents contraires et nous n’en finirons sans doute jamais de tourner en rond dans notre cage, pressentant un horizon inouï derrière les barreaux et prisonniers a vie de nos limitations intimes !.

Mais, après ce trop long préambule, je reviens à notre sujet…

Maimonide, tout comme Averroès et un peu après Avicenne furent, comme tu le soulignes, les commentateurs et les passeurs de la pensée d’Aristote, cela aux alentours du 11eme siècle de notre ère et cela alors que le haut moyen âge l’avait complètement oubliée.

Il a fallu la rayonnante civilisation arabo musulmane du sud de l’Espagne, notamment a Cordoue et a Tolède, modèle s’il en fut de tolérance et de culture, pour que soient enfin commentées puis traduites du Grec au latin ces chefs d’œuvre de la pensée dont le génie continue encore de nos jours a irriguer l’histoire de l’humanité

Jacques Attali évoque avec beaucoup de talent dans son roman intitulé «  La confrérie des éveillés» la possible rencontre à Cordoue de Maimonide et d’Averroès…Comme il est beau de le penser, même si l’histoire rend la chose hautement improbable…

 (T’imagines-tu, petit, tout petit dans un coin assistant au dialogue de ces deux esprits hors normes ?)

Voilà donc Aristote (Grec) sauvé de l’oubli par un Persan (Avicenne), un Juif (Maimonide) et un Arabe (Averroès)…

Et devinez qui va rafler la mise ? Un chrétien, bien sur, parmi les plus illustres…Tomazzo d’Aquino, plus connu, sous nos latitudes, sous le nom de Saint Thomas d’Aquin.

Il est assez étonnant de constater comment l’église, tout au long de sa longue histoire, a su assimiler les pensées concurrentes, après d’ailleurs les avoir auparavant combattues avec la dernière énergie…Peut être est ce la raison de sa remarquable longévité sans exemple parmi les institutions humaines ?

Mais la récupération est une stratégie couramment utilisée dans beaucoup de milieux tout au long de l’histoire…On te revêt d’un uniforme, d’un costume, voire d’un tablier ou d’un képi sans te demander ton avis le moins du monde,  on te décrète comparse ou compagnon de route même si tu n’as rien demandé et le tour est joué…

Cela pourrait être flatteur…ça n’est qu’outrecuidant !

Voilà donc Thomas d’Aquin revisitant et commentant Aristote avec, bien sur, ses lunettes de doctrinaire chrétien, définissant une vision du Grec complétive au créationnisme biblique…La cause première Aristotélicienne faisant émaner l’intellect qui donne naissance a l’âme, laquelle précède la nature…C’est ainsi  que le moteur immobile, la cause sans cause de toutes les causes sera assimilé au Dieu créateur des religions monothéistes.

Quelques huit siècles plus tôt, Saint Augustin avait déjà, lui, réalisé la fusion de Platon et du néo platonisme dans le corpus théologique chrétien…L’Un Plotinien, ce concept inouï d’absolu, au-delà de toute définition et de toute appréhension ce sera, bien sur, le Dieu Créateur de la genèse….

Saint Augustin sera le théoricien splendide du comprendre pour croire et de la grande réconciliation entre la foi et la raison tandis que Thomas d’Aquin, dans la lignée de la démarche aristotélicienne s’essaiera à concilier science et croyance donnant ainsi naissance a ce qu’on a appelé le mouvement scolastique.

Et voici comment la pensée grecque et tout ce qui faisait sa gloire et sa grandeur se retrouva phagocytée par le christianisme et comment ses deux représentants les plus illustres, Platon et Aristote furent transformés en simples précurseurs de la révélation christique.

La grande nuit du moyen âge, cette grande éclipse apparente de la pensée qui ne prit fin qu’avec l’avènement des lumières commence sans doute a cet instant…

Plusieurs siècles vont, dès lors, se succéder ou l’intolérance, le fanatisme, l’obscurantisme vont se donner libre cours…Une pensée, une vision unique ayant éliminé toute autre idée concurrente allait détruire la liberté de penser, assénant ses certitudes définitives a des populations abêties et terrorisées.

Nous le savons et nous l’avons toujours constaté depuis jusqu’à nos jours…La pensée unique, c’est l’absence de pensée… « La vérité luit de sa propre lumière et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des buchers », nous rappelait Voltaire.

Encore peut-on faire observer combien la pensée des lumières, même si elle attaquait de front l’institution religieuse et sa puissance temporelle restera conditionnée par les valeurs et visions du christianisme, laïcisant ainsi (et c’était déjà un grand progrès) les concepts judéo chrétiens sans vraiment les remettre en cause. (Il faudrait a cette fin, rappeler le ‘’création’’ par Robespierre du concept fumeux de « l’être suprême », avec pour finir, le succès que l’on connait).

Il faudra attendre Nietzsche et sa philosophie au marteau pour que soit enfin attaqué ce formatage bi millénaire de l’esprit…Qu’avec « L’amor Fati » nous retrouvions enfin « l’innocence du devenir »  par delà les notions de bien et de mal qui paraissaient acquises pour l’éternité !

L’homme enfin libre, se retrouve de plein pied avec les dieux (d’ailleurs il n’y a plus de Dieu que lui-même) …  « Deviens ce que tu es, tout ce qui ne te tue pas te rendras plus fort »…Le surhomme libéré de sa servitude assume enfin sa finitude, hisse toi au dessus de toi-même et regarde toi en surplomb de ton être…

Philosophie du courage et de la volonté, cette fameuse volonté de puissance à laquelle les nazis, inspirés en cela par l’horrible mégère qu’était la sœur du philosophe disparu, donnèrent un visage aussi erroné que monstrueux…

Il ne s’agit, bien sur, que de l’immémoriale injonction à lutter contre les forces du renoncement et de la faiblesse, injonction mise en avant par toute la pensée grecque et inscrite sur le fronton du temple de Delphes…

« Connais toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux »

C’est-à-dire, explore sans complaisance tous les chemins de ton être, eternel Sisyphe roule sans fin ton caillou en haut de la montagne et peu importent les échecs, c’est par tes tentatives sans fin réitérées que tu trouveras ta dignité d’homme aux antipodes du dolorisme chrétien et de cette idéologie pleurnicharde qui détruit les forces de vie en prétendant les sauver !…Tu n’as rien a expier en ce monde, tu es né libre a la face de l’univers !

Il faut penser à la magnifique formule de Camus qui résume tout…

« Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »

En hommage, pour finir, a la splendeur de l’esprit Grec, ces quelques vers de Simonide (5eme siècle avant JC) magnifiquement réécrits et traduits par la grande Marguerite Yourcenar.

« Demain, n’y compte pas, ce frêle bonheur d’homme,  

   N’espère pas qu’il dure en ce monde agité,

   Car tout passe, tout fuit, tout nous échappe comme

   Un vol de libellules au fond d’un soir d’été… »

J’aurais voulu aussi, relevant ton allusion, parler de la caverne mais ça serait vraiment trop long ça sera pour la prochaine fois…A nos âges nos efforts intellectuels se doivent de rester parcimonieux…Hein ?