Contre-Regards

par Michel SANTO

Chronique du Comté de Narbonne.

  narbonne4

Samedi 14 avril de l’an 2012.

Merci, mon oncle, pour ton habituelle lettre arrivée par diligence ce 9 avril matin. Comme chaque année, trois points au centre de la page ; et ces mots : « Bonne chance ! ». Comme chaque année aussi, à la même date, j’attends le retour des hirondelles. Elles sont arrivées le 11, virevoltant dans une lumière de fin d’après midi.Dans quelques jours, suivront les martinets noirs en compactes et bruyantes escadrilles.En attendant, mon oncle, de lourds et tonnants coups d’escopettes animent la vie du Comté. Il ne t’a pas échappé que nous sommes en pleine bataille pour la succession de sa majesté Nicolas, dans un royaume en faillite que le peuple feint d’ignorer. Demain sera donc une épreuve, que ne connaîtront pas nos élites, à l’abri de leurs titres, dans leurs châteaux, entourés de leurs cours…Une constante de l’histoire, n’est ce pas, mon oncle ? Enfin ! laissons les innocents à leurs niaiseries intéressées.C’est donc madame Richita Gati, l’ancienne Garde des Sceaux de notre Roi Nicolas, qui est venue porter la bonne parole dans le Comté. Tout, chez elle, semble couvrir son passé : son arrogance et ses goûts de luxe ostentatoirement affichés, notamment. De sang oriental, elle en a le port de tête, la noire et brillante chevelure, les yeux sombres et profonds où brille, étrangement, une vive et froide lumière, signe d’une inflexible ambition. Petite, serrée dans des habits simples mais coûteux, de hauts et pittoresques souliers à talons rouges, mobiles emblèmes d’un tempérament de feu, la portent. Ce qu’elle fit : feu !, tout sourire, et denture affichée, sur le favori du Comte de Labatout, le prétendant au trône François de Gouda ; en n’oubliant pas de rappeler que le Comté, à l’époque où le duc de Lemonyais en administrait les affaires, avait bénéficié de ses douceurs et lui était redevable d’un moderne et fort beau tribunal. Eberlué, et les plumes en bataille, comme un Grand-Duc réveillé en plein jour, le comte de Labatout, avec le mol aplomb qui le caractérise, lui a répondu illico dans les gazettes locales : que nenni, que nenni ! C’est à la dame Zabet de Guichou, du parti de la rose, et à lui seul, tenait-il à préciser, comme à son habitude : modestement, que les Narbonnais devait ce magnifique palais de justice. Non mais !Je ne vais pas entrer dans les détails de cette polémique, aussi stupide qu’inutile, mon oncle, mais si je te rapporte cette anecdote, c’est qu’elle me paraît symptomatique du fonctionnement cérébral du Comte. Pour notre homme, en effet, tout le patrimoine du  Comté accumulé au fil des siècles , bâti ou pas depuis le début de l’histoire humaine, est à mettre à son actif ; les éventuels impairs, fautes ou sottises résultant de sa propre gestion des affaires publiques, au débit de ces opposants.Une conception bien singulière de l’histoire, n’est ce pas ? Pour un peu, si le ridicule ne tuait pas, le nombre de nos prestigieuses propriétés historiques le justifierait à revêtir chaque matin les habits d’un consul ou ceux d’un archevêque. Un de ses conseillers, de mes connaissances, dont je tairai le nom, y voit là, pour des raisons qui échappent encore à mon entendement, l’influence néfaste de Patrick de la Natte. Il faut donc nous attendre, mon oncle, dans le futur et à l’occasion d’un brusque accès de fièvre nostalgique, à l’inauguration des égouts romains, qui passent sous la rue Droite, et à la  consécration de la cathédrale Saint Just, qui jouxte le palais comtal. En ces temps là, il est vrai mon oncle, Narbonne était grande! Comme tu le vois, en pensant à ceci qui me vient sous la plume: « La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief », ton ami La Bruyère n’est guère lu dans nos châteaux. Point d’ombres ici, mon oncle! Mais d’aveuglantes lumières…Six heures viennent de sonner au clocher de Saint Paul : l’heure où les hirondelles prennent le vent et le ciel ; la porte-fenêtre de ma terrasse est ouverte : deux, trois viennent d’en traverser le champ ; une autre histoire commence; à ne savoir qu’en dire. Il est temps que je te quitte, mon oncle, pour te retrouver tantôt. Je t’embrasse !

 

 

Infinie bêtise !

barthes

Vent violent, ciel clair et température basse. Il fait froid ! Les visages sont fermés et « fripés ». Un temps à courir chez sa boulangère, pour filer ensuite dans une brasserie. Au chaud ! Y lire son journal, observer son voisin et se laisser envelopper par un fond de paroles brouillées propre au lieu, qu’une odeur de café crème leste d’une délicate pointe de suavité. Chaude et bienheureuse bêtise… Plus tard, France Culture : «  le journal de la philosophie ». François Noudelmann reçoit Claude Coste pour son ouvrage « Bêtise de Barthes » paru chez Klincksieck, 2011. Son hypothèse : la bêtise et le stéréotype sont liés. Comme chez Flaubert ( son dictionnaire des idées  reçues ). Et personne n’y échappe. Barthes comme nous tous. Le Moi, suprême bêtise, est une illusion, et seule la littérature, l’écriture : la fragmentée, peut nous permettre d’en sortir. Peut-être ! Exemple de bêtise : celle du politique. Du militant, plus précisément, qui ne pense jamais par lui-même. Par nature, si je puis dire…

Chronique du Comté de Narbonne.

     
Narbonne: Hôtel de Ville.

Narbonne: Hôtel de Ville.

Mardi 10 avril de l’an 2012.

Mon très cher parent,

Il faisait un grand beau temps ce lundi de Pâques, mon oncle ; je remontais la rue Droite, qui ne l’est pas, quand je fus abordé par un quidam habituellement croisé lors de mes promenades urbaines ; de ceux avec qui l’on évoque facétieusement la force et le sens des vents, forts nombreux et puissants en ces terres d’Aude, comme tu le sais. Très agité, ce particulier, pourtant bien élevé et de bonne famille, à l’humeur vagabonde et aux gestes mous, brandissait furieusement comme on époussette ses souliers à grands coups de mouchoirs, une « feuille » au titre outrancièrement accusatoire, et entièrement consacrée, si je puis dire en cette fin de semaine pascale, à Patrick de la Natte, notre ex gazetier en chef du « Tirelire » comtal et présentement scripteur en chef du Comte de Labatout ; une « feuille » en forme de brûlot, qu’il me tendit sur le champ avec force commentaires auxquels je n’entendis goutte. Une véritable crucifixion, mon oncle ! une descente aux enfers sans passage compatissant par un éventuel purgatoire pour celui qui, naguère, se présentait sous les traits d’un preux chevalier de la liberté de la presse et qui, aujourd’hui, agit en mercenaire de la propagande politicienne. Si les masques finissent toujours par tomber, le sieur Loulou de la Godasse, lui qui tient plume, de la première à la dernière ligne dans ce brutal libelle, ne prend guère les gants de la civilité bourgeoise pour les arracher brutalement. Un drôle de pèlerin notre Loulou ! Un ancien et modeste gabelou très vite reconverti avec succès dans les affaires immobilières et cabaretières. Jadis patron d’une taverne flottante, il est à la tête, aujourd’hui, d’une des plus grosses fortunes du Comté ; toujours à ferrailler contre tous les pouvoirs, qu’il espère abattre et qui, toujours, le font chuter. Son style d’écriture, je te joins un extrait, est à l’image du personnage ; n’y brillent ni l’esprit de finesse ni celui de géométrie. Il le sait et en joue et surjoue, il faut le reconnaître, avec la  grasse gouaille qui tant plaît au peuple ; et de son physique et de ses costumes, dont il sait qu’ils n’en supporteraient pas le vernis, notre homme en tire avantage dans le genre plébéien et canaille qui lui sied finalement très bien.

Chronique du Comté de Narbonne.

  imgres    

Vendredi 5 mars, de l’an 2012.

Je m’étais promis, mon oncle, de ne point perturber ton jeûne intellectuel et spirituel de Pâques, mais une pleine page accordée par Dédé de Navarre, le rédacteur en chef du «  Dépendant » local, à celui qui ne cesse de cultiver un ressentiment de mauvais aloi et une hargne de tous les instants envers l’à-présent candidat officieux-déclaré à la succession du Comte de Labatout,le sieur Lemaillet, m’oblige à t’adresser ce long post-scriptum à ma toute dernière et récente lettre. J’espère cependant que tu ne m’en tiendras point rigueur !

Alain de Pareo, donc, puisqu’il s’agit de lui, je te l’ai déjà dit dans mes derniers courriers, est de ces esprits qui aiment mélanger les genres et les ordres sans qu’ils en aient, en toute innocence, pour les moins philosophes d’entre eux, une conscience aussi claire qu’une épisodique fréquentation de Pascal le leur permettrait. Si la force, ici-bas, l’emporte toujours, en effet, elle n’est ni un argument pour la raison ni une valeur pour le cœur. De ce manque de discernement, de lucidité et d’exigence, il vient d’en faire une nouvelle démonstration avec une atavique délicatesse de taureau en perdition qui dépasse l’entendement  moyen d’un spectateur blasé, comme je le suis, fréquentant depuis de longues années les arènes du pouvoir et ses combats de plein air ; comme ceux de coulisses, d’ailleurs, faut-il te le préciser ! Tu n’en croiras pas tes yeux à la lecture de cet exemplaire du «  Dépendant », que je t’adresse avec la présente, mais voilà que ce Monsieur, tout à la fois petit marquis du Grand Comté, en charge d’âmes du minuscule fief de Villegeigne, et intendant général adjoint du même Grand Comté, après avoir été remercié par son seigneur le comte de Labatout de l’intendance en chef de Narbonne, dépassant toute mesure, s’en prend avec une violence inouï d’animal blessé à son prédécesseur le sieur Lemaillet du parti « oxygéné ». Récemment, je t’informais que ce dernier ambitionnait de conquérir le fauteuil du Comte de Labatout et qu’il avait, lors d’une première apparition, présenté une situation climatique du paysage politique comtal passablement pollué par une gestion qualifiée par lui de légère et incompétente. J’attendais donc logiquement la réaction du Comte… et c’est son ancien intendant qui est sorti du toril tel un « Miura » de mauvaise caste donnant des coups de cornes dans tous les sens. Te souviens-tu, mon oncle, de ce que te disait un de ces matadors jadis rencontré dans cette belle cité de Séville ; et qui vaut aussi dans beaucoup d’autres domaines de notre trop brève existence : quand la noblesse et la bravoure font défaut chez l’adversaire, il faut refuser d’engager le combat ; car on y perd son âme et sa réputation. Il est vrai que nos amis espagnols ont le sens du tragique et de la beauté ; il suffit d’assister à une messe dans la cathédrale de Jerez de la Frontera ou à une prestation de José Tomas dans les arènes de Barcelone pour en prendre l’exacte et profonde mesure. Que de leçons apprises en ces occasions, mon oncle ! Il ne suffit pas, en effet, de porter des habits de lumière ou se de vêtir « d’un humanisme qui place l’homme au centre de ses préoccupations », comme l’affirme notre homme, pour recevoir l’onction du public éclairé de ces sortes de combats. Seuls comptent en effet le choix des moyens, la sincérité des actions engagées, la noblesse des sentiments et le respect de l’adversaire. A cette aune seule sont jugés, du moins chez ceux qui accordent quelques vertus à ces valeurs, les faits, mots et gestes de quiconque prétend incarner les principes d’un art : en tauromachie comme en politique ; comme en d’autres pratiques aussi, beaucoup plus modestes, certes, mais toutes aussi essentielles dans nos vies : je pense, notamment à celles de table que nous  goûtons quelquefois de concert.

Le plus comique, dans cette affaire, si on peut parler ainsi, c’est que notre Alain de Pareo fait passer paradoxalement son seigneur et maître pour son vassal ; lui déniant en quelque sorte, à son seul profit, la responsabilité des politiques engagées depuis son accession au pouvoir du petit et du grand Comté. De sorte que j’en viens à me demander, s’il n’y aurait pas, en réalité, caché sous tant d’outrances et de publicité, à le rendre à ce point si visible, le désir de nuire à l’image et à la réputation déjà , comment dire ? si controversée, du Comte de Labatout. Le notoire engagement du petit marquis de Villegeigne et intendant adjoint du Grand Comté auprès du Prince de Gruissan et son contentieux personnel avec le Comte, donnent, après tout, quelque poids à cette, peut être, fantaisiste, hypothèse. Qu’en penses-tu, mon oncle, toi qui me disais qu’il faisait plein jour à minuit en certaine saison…à Saint-Pétersbourg ? L’illusion règne en ce monde ; comme un vulgaire chiffon rouge conduit la course d’un taureau…

Je te souhaite un bon dimanche pascal, mon oncle ! Adieu !

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

  image_2

Mardi 3 Mars, de l’an 2012.

Le temps n’est plus, mon oncle, où le dimanche des Rameaux mobilisait la ferveur du bon peuple. Ce matin là, Saint Just était pleine comme elle l’est à Noël, mais malgré les cloches qui battaient le rappel avec plus de vivacité et d’entrain que de coutume, plus nombreux encore étaient les narbonnais qui se rendaient au marché et aux halles ; des halles toujours remplies, elles, et toujours ouvertes à toutes les envies de table, notamment celle d’y goûter un bon verre de vin chez Bébel , ce comptoir à la mode où se côtoient petites et grandes notabilités locales.

Articles récents