Contre-Regards

par Michel SANTO

Chronique du Comté de Narbonne.

     

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  Jeudi 19 avril de l’an 2012

Ciel ! Quel froid, mon oncle ; quel vent ! Mais d’eau ? Hélas point ! Certains éminents académiciens de la Société Royale affirment doctement que notre petite terre serait à un tournant (!) de sa longue histoire, comme il y en eut tant dans son passé, qui verrait son climat brutalement changer. Oracles qui font les délices et les profits de nos  suivistes gazettes qui, chaque jour ou presque, prédisent des mers de glaces en Egypte et des océans de sable en Sibérie. La peur, cette sinistre passion à l’origine de tant de tyrannies, envahit insidieusement les esprits de ce siècle, mon oncle ! A ces dires, je te l’avoue humblement, je préfère l’observation des mouvements de la nature et des  saisons ; et te faisais remarquer, dans ma dernière lettre, l’arrivée des premières hirondelles, comme chaque année à la date qui me vit naître ; et savoir, comme nous l’enseignent les anciens, qu’elles ne font pas le printemps. Cela suffit à mon entendement et me rassure sur l’apparente aberration de nos présentes et forts désagréables, j’en conviens, intempéries.

Il est cependant d’autres constantes, sociales celles là, qui, elles, mon oncle, à l’inverse des grandes migrations naturelles, ne m’enchantent guère ; je pense ce disant, à cette autre espèce de volatile, à deux pattes et deux bras, qui, régulièrement, vient siffler bruyamment dans les complaisantes colonnes de nos « feuilles » locales. Un couple de personnages légers et sautillants, car il s’agit d’oiseaux de notre sorte, mon oncle, mais dotés, par un esprit malin, d’un chant à faire douter les esprits les plus tolérants qu’il puisse exister, en ce monde, un brin, si je puis dire, sinon de raison commune, à tout le moins de modeste réserve. Tu l’as compris, mon oncle, c’est dans le théâtre politique du Comté que s’ébattent nos drôles de moineaux ; ils y dirigent, en duo, une section du parti de la rose. Ils sont deux ; mais quel ramage ! Lui est long et mince ; elle est courte et replète ; leurs mines sont fraîches et avenantes ; leurs libelles pompeux et violents ; et, si leur vue est large, leur discipline consentie l’est comme on consent une avance : dans l’espoir d’un profit. Jeunes, ils chantent déjà un langage de vieux, plein de cette suffisance qu’arborent les ambitieux; et rien ne les touche moins que les pires turpitudes, qui ne  sauraient concerner, par un décret conçu par je ne sais quelle divinité, les « amis » du peuple et de l’humanité. Voilà donc, mon oncle, le sieur Bonoeil (1) et la dame Sophie de Malmon (2) puisqu’il s’agit bien d’eux, se lancer récemment dans un assaut risqué contre le sieur Lemaillet (3), au motif scandaleux que, de son temps, le Comté étouffait sous les prébendes ; et de se fourrer, ce faisant, tant l’innocence leur brouille l’esprit, leurs épées dans les pieds, et le reste ! Rends toi compte, mon oncle ! Ce Bonoeil est arrivé dans la cantinière du Comte de Labatout (4), qui l’a propulsé, sitôt installé,  au grade envié de jardinier en chef du Grand Comté (5); et dame Sophie, elle, fille de Raymond de Courrière, qui fut le seigneur de ces terres d’Aude (6), n’a fait que s’installer dans une discrète charge héritée de son vénérable père ; et gérée par le même parti au pouvoir du Comté, Petit (7) et Grand ! La décence eût voulu qu’ils se taisent, n’est ce pas, mon oncle ?  Car en l’espèce, de prébendes, celles là, nourries de lourdes dîmes prélevées sur le dos du bon peuple, n’ont rien à envier à celles jadis perçues par nos généreux évêques. Un comble, pour le « parti du progrès » ; mais un don de la providence pour l’entretien de ses troupes. Quelquefois, même les dévots se rendent ridicules, mon oncle ; et la communication découvre à leur insu des imperfections que leur retraite couvrait. Comme le dit si bien notre Jésuite admiré : «  La facilité est une branche de bas esprit. ». Et ce qui vaut ici, pour le parti de la rose, vaut sans doute ailleurs pour celui de l’oeillet, du lys ou de la primevère. Il est des intérêts communs, en effet, dans l’ordre politique, qui transcendent les valeurs de justice et de beauté proclamées à grands coups de trompettes par les différents chefs d’églises et de partis. Toi même, mon oncle, me rapportait dans une de tes études récemment adressée, les us et les coutumes des seigneurs de tes terres ; seigneurs du parti opposé à celui qui gouverne les miennes ; et que conforte en tout point mon propos de ce jour.

 

Contenir, se défier des passions, te disais je dans l’entame de cette lettre. Garder en toute chose la lucidité qui sied aux esprits les plus nobles ; voir, à s’en brûler les yeux, que la misère de l’homme ne consiste pas seulement dans la faiblesse de sa raison, l’inquiétude de son esprit, le trouble de son coeur ; et qu’elle se voit encore et surtout dans un certain fond ridicule des affaires humaines. Shirley et Dino, saltimbanques parisiens, triomphent à le montrer à la Cour ; leur talent et leur humanité nous aident à l’accepter. Le mieux que l’on puisse espérer de nos deux duettistes narbonnais, mon oncle, c’est qu’ils  s’en inspirent ; ils seront moins ridicules.

Je t’embrasse, mon oncle.

 

(1) Laurent Borreil, secrétaire de la section PS de Narbonne

(2) Sophie Calmon, idem

(3) Patrice Millet, ex DGS de la Ville de Narbonne

(4) Jacques Bascou, député-maire de Narbonne, Président du Grand Narbonne, etc…

(5) Grand Narbonne ( Communauté d’agglomération )

(6) Conseil général de l’Aude

 

(7)  Ville de Narbonne

         

Pourquoi tournons nous en rond?

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Lu, ce matin, dans « le Monde », cet article : « Pourquoi Dupond et Dupont tournent en rond ». Sa conclusion : « Selon les chercheurs, l’hypothèse la plus plausible pour expliquer que l’homme privé d’un fort repère visuel ou sonore se met à tourner en rond lorsqu’il marche est que son système interne de gestion du déplacement est très vite saturé en informations et ne sait plus gérer la situation. »

Qui vaut aussi dans l’espace médiatique dans lequel nous errons !

A lire, donc, comme il le mérite : un vrai conte philosophique!

Chronique du Comté de Narbonne.

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Samedi 14 avril de l’an 2012.

Merci, mon oncle, pour ton habituelle lettre arrivée par diligence ce 9 avril matin. Comme chaque année, trois points au centre de la page ; et ces mots : « Bonne chance ! ». Comme chaque année aussi, à la même date, j’attends le retour des hirondelles. Elles sont arrivées le 11, virevoltant dans une lumière de fin d’après midi.Dans quelques jours, suivront les martinets noirs en compactes et bruyantes escadrilles.En attendant, mon oncle, de lourds et tonnants coups d’escopettes animent la vie du Comté. Il ne t’a pas échappé que nous sommes en pleine bataille pour la succession de sa majesté Nicolas, dans un royaume en faillite que le peuple feint d’ignorer. Demain sera donc une épreuve, que ne connaîtront pas nos élites, à l’abri de leurs titres, dans leurs châteaux, entourés de leurs cours…Une constante de l’histoire, n’est ce pas, mon oncle ? Enfin ! laissons les innocents à leurs niaiseries intéressées.C’est donc madame Richita Gati, l’ancienne Garde des Sceaux de notre Roi Nicolas, qui est venue porter la bonne parole dans le Comté. Tout, chez elle, semble couvrir son passé : son arrogance et ses goûts de luxe ostentatoirement affichés, notamment. De sang oriental, elle en a le port de tête, la noire et brillante chevelure, les yeux sombres et profonds où brille, étrangement, une vive et froide lumière, signe d’une inflexible ambition. Petite, serrée dans des habits simples mais coûteux, de hauts et pittoresques souliers à talons rouges, mobiles emblèmes d’un tempérament de feu, la portent. Ce qu’elle fit : feu !, tout sourire, et denture affichée, sur le favori du Comte de Labatout, le prétendant au trône François de Gouda ; en n’oubliant pas de rappeler que le Comté, à l’époque où le duc de Lemonyais en administrait les affaires, avait bénéficié de ses douceurs et lui était redevable d’un moderne et fort beau tribunal. Eberlué, et les plumes en bataille, comme un Grand-Duc réveillé en plein jour, le comte de Labatout, avec le mol aplomb qui le caractérise, lui a répondu illico dans les gazettes locales : que nenni, que nenni ! C’est à la dame Zabet de Guichou, du parti de la rose, et à lui seul, tenait-il à préciser, comme à son habitude : modestement, que les Narbonnais devait ce magnifique palais de justice. Non mais !Je ne vais pas entrer dans les détails de cette polémique, aussi stupide qu’inutile, mon oncle, mais si je te rapporte cette anecdote, c’est qu’elle me paraît symptomatique du fonctionnement cérébral du Comte. Pour notre homme, en effet, tout le patrimoine du  Comté accumulé au fil des siècles , bâti ou pas depuis le début de l’histoire humaine, est à mettre à son actif ; les éventuels impairs, fautes ou sottises résultant de sa propre gestion des affaires publiques, au débit de ces opposants.Une conception bien singulière de l’histoire, n’est ce pas ? Pour un peu, si le ridicule ne tuait pas, le nombre de nos prestigieuses propriétés historiques le justifierait à revêtir chaque matin les habits d’un consul ou ceux d’un archevêque. Un de ses conseillers, de mes connaissances, dont je tairai le nom, y voit là, pour des raisons qui échappent encore à mon entendement, l’influence néfaste de Patrick de la Natte. Il faut donc nous attendre, mon oncle, dans le futur et à l’occasion d’un brusque accès de fièvre nostalgique, à l’inauguration des égouts romains, qui passent sous la rue Droite, et à la  consécration de la cathédrale Saint Just, qui jouxte le palais comtal. En ces temps là, il est vrai mon oncle, Narbonne était grande! Comme tu le vois, en pensant à ceci qui me vient sous la plume: « La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief », ton ami La Bruyère n’est guère lu dans nos châteaux. Point d’ombres ici, mon oncle! Mais d’aveuglantes lumières…Six heures viennent de sonner au clocher de Saint Paul : l’heure où les hirondelles prennent le vent et le ciel ; la porte-fenêtre de ma terrasse est ouverte : deux, trois viennent d’en traverser le champ ; une autre histoire commence; à ne savoir qu’en dire. Il est temps que je te quitte, mon oncle, pour te retrouver tantôt. Je t’embrasse !

 

 

Infinie bêtise !

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Vent violent, ciel clair et température basse. Il fait froid ! Les visages sont fermés et « fripés ». Un temps à courir chez sa boulangère, pour filer ensuite dans une brasserie. Au chaud ! Y lire son journal, observer son voisin et se laisser envelopper par un fond de paroles brouillées propre au lieu, qu’une odeur de café crème leste d’une délicate pointe de suavité. Chaude et bienheureuse bêtise… Plus tard, France Culture : «  le journal de la philosophie ». François Noudelmann reçoit Claude Coste pour son ouvrage « Bêtise de Barthes » paru chez Klincksieck, 2011. Son hypothèse : la bêtise et le stéréotype sont liés. Comme chez Flaubert ( son dictionnaire des idées  reçues ). Et personne n’y échappe. Barthes comme nous tous. Le Moi, suprême bêtise, est une illusion, et seule la littérature, l’écriture : la fragmentée, peut nous permettre d’en sortir. Peut-être ! Exemple de bêtise : celle du politique. Du militant, plus précisément, qui ne pense jamais par lui-même. Par nature, si je puis dire…

Chronique du Comté de Narbonne.

     
Narbonne: Hôtel de Ville.

Narbonne: Hôtel de Ville.

Mardi 10 avril de l’an 2012.

Mon très cher parent,

Il faisait un grand beau temps ce lundi de Pâques, mon oncle ; je remontais la rue Droite, qui ne l’est pas, quand je fus abordé par un quidam habituellement croisé lors de mes promenades urbaines ; de ceux avec qui l’on évoque facétieusement la force et le sens des vents, forts nombreux et puissants en ces terres d’Aude, comme tu le sais. Très agité, ce particulier, pourtant bien élevé et de bonne famille, à l’humeur vagabonde et aux gestes mous, brandissait furieusement comme on époussette ses souliers à grands coups de mouchoirs, une « feuille » au titre outrancièrement accusatoire, et entièrement consacrée, si je puis dire en cette fin de semaine pascale, à Patrick de la Natte, notre ex gazetier en chef du « Tirelire » comtal et présentement scripteur en chef du Comte de Labatout ; une « feuille » en forme de brûlot, qu’il me tendit sur le champ avec force commentaires auxquels je n’entendis goutte. Une véritable crucifixion, mon oncle ! une descente aux enfers sans passage compatissant par un éventuel purgatoire pour celui qui, naguère, se présentait sous les traits d’un preux chevalier de la liberté de la presse et qui, aujourd’hui, agit en mercenaire de la propagande politicienne. Si les masques finissent toujours par tomber, le sieur Loulou de la Godasse, lui qui tient plume, de la première à la dernière ligne dans ce brutal libelle, ne prend guère les gants de la civilité bourgeoise pour les arracher brutalement. Un drôle de pèlerin notre Loulou ! Un ancien et modeste gabelou très vite reconverti avec succès dans les affaires immobilières et cabaretières. Jadis patron d’une taverne flottante, il est à la tête, aujourd’hui, d’une des plus grosses fortunes du Comté ; toujours à ferrailler contre tous les pouvoirs, qu’il espère abattre et qui, toujours, le font chuter. Son style d’écriture, je te joins un extrait, est à l’image du personnage ; n’y brillent ni l’esprit de finesse ni celui de géométrie. Il le sait et en joue et surjoue, il faut le reconnaître, avec la  grasse gouaille qui tant plaît au peuple ; et de son physique et de ses costumes, dont il sait qu’ils n’en supporteraient pas le vernis, notre homme en tire avantage dans le genre plébéien et canaille qui lui sied finalement très bien.