Contre-Regards

par Michel SANTO

Les photos les plus floues sont parfois les plus nettes…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cette photo scannée en 2013, je l’ai sortie du tiroir de mon bureau en début de semaine dernière. Elle y dormait depuis plusieurs années au milieu de carnets, de crayons et de stylos. Je ne sais plus qui me l’a donnée. Ni quand ! Au verso, la marque du support « Fujifilm/ Fujicolor/ ArchivePaper » indique toutefois que ce « tirage » est la marque d’un professionnel. En haut, dans le coin gauche : « 1946 » écrit à l’encre bleue avec une pointe fine de stylo-bille. Le « 6 » est décalée sur la droite. Je reconnais le tremblé de ma mère. L’image, elle, est très floue. Et celui ou celle qui l’a prise n’a pas cadré le couple qu’il visait. À l’arrière-plan et sur la moitié droite de la photo, un conifère et des platanes dénudés qui mangent tout « l’espace ». En bas, à gauche, une tâche blanche mord sur la jambe droite d’un jeune soldat. Il est en permission. Grand, mince, et sans doute gêné par le soleil, il semble froncer les sourcils. Il porte des gants. Il doit faire froid ! La jeune femme à son bras est vêtue d’un manteau serré à la taille. Elle est coiffée à la mode de son temps. Elle regarde le « photographe » droit dans les yeux. Elle a fière allure. On croit deviner un sourire. La scène se passe probablement sur la promenade des Barques, à Narbonne ; et certainement en mai 1946. Ils habitent chez leurs parents. Ce jeune homme, en effet, a été libéré par anticipation le 14 mai 1946 pour se marier avec cette jeune femme, le 12 juin de cette même année. En septembre, elle aurait 19 ans et lui 21. Quelques mois plus tard, je venais au monde.
J’ai souvent scruté cette photo depuis qu’elle est posée sur une petite pile de livres, sur mon bureau. La tenue militaire de mon père surtout m’intriguait. Je ne comprenais pas sa raison. Il fallait que je sache. J’ai fouillé dans ses papiers entassés, sans ordre, dans une vieille valise. Ce que je n’avais jamais fait depuis sa mort. J’ai consulté aussi des archives départementales, pour finalement apprendre que, jeune résistant dans les FFI, il avait été intégré, en février 1944, avec ses camarades de combat, dans l’armée régulière comme engagé volontaire à l’âge de 19 ans. Un an plus tôt, en décembre 1943, c’est ma mère qui avait vu son père, encadré par des miliciens, prendre le train pour Compiègne et Buchenwald. Ces deux-là étaient faits pour se trouver. Rien d’étonnant à les voir ainsi bras dessus, bras dessous, un mois de mai 1946, sur la promenade des Barques. Mais pourquoi donc ne nous ont-ils jamais rien dit de ce temps de leur jeunesse ? Rien ! Ou si peu et si tard…
Il faut toujours s’arrêter sur certaines images. Les plus floues sont parfois les plus nettes. Je regarde à présent la photo que je viens de prendre pour illustrer ce billet. Celle de mes parents figure sur la page de couverture de « W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec ». Et sur le côté gauche, « la fleur du temps », de Claude Roy… Tout est en ordre !
 
 
 
 
 
 
 

Par instants, la vie n’est pas sûre…

       

Le ton et les thèmes de campagne de Marine le Pen et d’Éric Zemmour, me rappellent ceux d’une époque où convergeaient, venant d’une certaine gauche et d’une certaine droite, une critique sans concession du libéralisme économique et politique, la promotion d’une économie administrée et planifiée, un anti-américanisme de principe, une glorification patriotique délirante, la peur de l’ouverture au monde…

Les « Jours heureux » de Julien Clerc, et les nôtres aussi, à l’Arena de Narbonne…

 
Hier, Julien Clerc était sur la scène de l’Arena, à Narbonne. Nous y étions aussi. Deux heures à revivre « Des jours heureux ». Les siens et les nôtres – qui ne l’étaient pas toujours cependant. Ceux où nous découvrions alors des voix, des textes, des noms qui depuis ne nous ont plus quittés : Bécaud, Barbara, Brel, Ferré, Trenet, Aznavour, Piaf, Montand… Dans la salle, toute une génération, la mienne, était massivement présente et la nostalgie de ce temps et de ses jours se lisait sur les visages et dans les attitudes. À nos côtés et derrière nous, des dames chantaient à mi-voix, de concert avec Julien Clerc, ces grands classiques qui ont tant compté pour lui, pour elles et pour nous. Nous murmurions « Boum ! », « Comme à Ostende », « Dis quand reviendras-tu », « Je reviens te chercher »…
Autour de lui, stylé de corps et de voix, généreux et bienveillant, quatre formidables musiciens l’accompagnaient dans une mise en scène judicieusement dosée de sonorités « électriques » et rocks. Et dans les moments « rocks » précisément, les « premiers rangs » se levaient et « les travées » ondulaient. Deux heures ont ainsi passé ! Deux heures à goûter des textes et des musiques d’une grande élégance ; deux heures volées à la vulgarité de notre temps. Au moment des « adieux », j’ai suivi la longue, mince et souple silhouette de Julien Clerc, jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière le lourd rideau de scène rouge. Je me disais que le temps n’avait décidément pas de prise sur lui ; que rien ne peut effacer durablement « les jours heureux » ; et qu’il suffit parfois le temps de quelques chansons pour nous les rappeler…
 

Vider les lieux !

 



Hier après-midi, j’ai procédé au nettoyage de printemps autour de ma « cabane » : ai ratissé le gravier, planté de jeunes géraniums, taillé les branches des lauriers abimées par le vent, constaté l’apparition d’abondants bourgeons sur le mûrier platane, vérifié la bonne santé de l’ipomée, effacé les images, les commentaires, les mots et phrases entendus et lus, ici ou là, les livres aussi ; ai pris le chemin qui mène à la plage, me suis adossé à un rocher, ai regardé la mer, respiré l’air du large, écouté le bruit des vagues…

 

 

 

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