Jusqu’alors, je n’avais jamais regardé ses mains avec autant d’attention. Non sans raison, d’ailleurs ! Enfant et jeune adolescent, je les redoutais plutôt. Vives, elles l’étaient ; et agiles pareillement pour tirer une oreille, y glisser prestement son petit doigt humide les « jours de sortie » ou pour placer sèchement une barrette sur un « épi » de cheveux particulièrement rebelle. Je craignais trop souvent qu’elles n’enflamment aussi mes joues ; et ne garde aujourd’hui aucun souvenir de leur caressante douceur. Les tenir dans les miennes, comme hier, abandonnées mais confiantes, était en ce temps-là du reste inconcevable. Hier donc, elles étaient dans ce moment où la chair palpite au seul diapason des émotions, d’une extraordinaire légèreté. Sous leur peau d’une blancheur opaline, de larges veines bleues en gonflaient la surface d’une finesse semblable à celle du papier de soie. Je lui faisais remarquer qu’aucune, ou si peu, tache brune ne les enlaidissait, que ses doigts n’étaient pas marqués par de vilaines cicatrices, que ses mains avaient de celles d’un enfant le velouté. Je ne saurais dire combien le temps a passé ainsi, mais je sais que peu de mots furent échangés : regards et caresses suffisaient. Il arrive un âge en effet où rien n’importe plus que le témoignage des sens, où la vie s’éprend de la chaleur de mains confondues dans un îlot d’indicible tendresse. Le temps de le comprendre, il est hélas ! souvent trop tard…
Lire ne sert à rien, lire ne rapporte rien, lire est une perte de temps ; lire est improductif, lire ne capitalise rien. Rien ne reste, que des livres. Lire c’est s’oublier ; oublier, se perdre, gagner en nuances et complexité. Se retrouver. Lire est un luxe ; et un scandale. Lire est un acte de résistance. Lire, c’est arrêter le temps, ne pas le compter. Lire n’est pas rentable. Oui, la lecture ne sert à rien, c’est sa puissance. Un jour lointain, j’ai ouvert « Lucien Leuwen » ; le lendemain, mes « idées et essais » étaient déposés chez Emmaus. En ce moment, je relis « La Recherche… », page à page. Des heures et des heures. Inutiles, hors du temps… Lire c‘est vivre !
Nous étions sur le même trottoir, large et désert. Il était 18 heures environ. Je marchais d’un bon pas, l’esprit en balade ; elle roulait d’un bon train, ses cheveux au vent. Nous avancions l’un vers l’autre quand j’avisai soudain les mouvements suspects de sa bicyclette.
Un sursaut d’ambition et d’énergie était attendu par le « Présidium » du R.C.N, vendredi soir à Béziers. En contrepartie, ils ont assisté à un humiliant effondrement physique et moral de leur équipe. Et c’est avec 34 points dans la « musette » et une dernière place au classement de la Pro 2, qu’ils sont tous rentrés à la « maison ».
J’en fais l’aveu : je n’achète jamais les romans, récits et essais couronnés d’un prix littéraires le lendemain de leur festive et gastronomique attribution. En général, je le fais, pour certains, les années suivantes, et plutôt chez un bouquiniste, d’ailleurs ; ou bien mais plus rarement, pour ne pas dire jamais, parce que l’un de ceux-là – ou deux, peut-être ! – est déjà rangé dans ma bibliothèque. C’est ainsi ! Le manque de temps, bien qu’il ne soit plus consacré à « gagner ma vie », en est la seule raison. En vérité une authentique allergie au « cirque publicitaire et médiatique » qui précède et suit la proclamation des lauréats de ces prix, aussi. Je disais donc que le temps me manquait et que celui que je consacrais à la littérature, je le réservais, depuis juin, à la (re)lecture quotidienne de Proust – au moins dix pages ! – à celle des journaux de Matthieu Galley et de Pavese, notamment. Je relis aussi, au hasard, des pages de Michon dont le style ne cesse de m’éblouir et celles – déjà lues ou pas – d’ouvrages qui me tombent sous la main quand « je suis planté » tôt le matin devant ma bibliothèque pour les feuilleter ensuite, tout en buvant ma première tasse de café pendant que tout le monde encore dort. (Aujourd’hui, c’était la dernière Pléiade : Virginia Woolf, achetée récemment à moitié prix dans une librairie amie ayant hélas! « plié boutique ».) On l’aura compris, je ne suis pas prêt à lire ceux qui font l’actualité littéraire de ce mois ; je n’en dirai donc rien. Cependant, à propos d’écriture et de style, j’ai souligné ceci, hier soir, un peu avant de m’endormir. Qui n’a rien à voir avec le sujet évoqué dans ces premières lignes. Encore que !
« Par là M. de Guermantes pouvait être dans ses expressions, même quand il voulait parler de la noblesse, tributaire de très petits bourgeois qui auraient dit : « Quand on s’appelle le duc de Guermantes », tandis qu’un homme lettré, un Swann, un Legrandin, ne l’eussent pas dit. Un duc peut écrire des romans d’épicier, même sur les mœurs du grand monde, les parchemins n’étant là de nul secours, et l’épithète d’aristocratique être méritée par les écrits d’un plébéien… Mais une autre loi du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et s’éloignent certaines maladies dont on n’entend plus parler ensuite, il naît on ne sait trop comment, soit spontanément, soit par un hasard comparable à celui qui fit germer en France une mauvaise herbe d’Amérique dont la graine prise après la peluche d’une couverture de voyage était tombée sur un talus de chemin de fer, des modes d’expressions qu’on entend dans la même décade dites par des gens qui ne se sont pas concertés pour cela. » Proust, Marcel. A la recherche du temps perdu (Edition enrichie): L’intégrale des 7 livres. Édition du Kindle.