Dans « La bêtise s’améliore », sorti en 2007, Belinda Cannone fait dialoguer trois personnages autour de l’amour, la politique, l’économie, l’art, la morale, le désir, le bonheur… Trois personnages qui s’étonnent de ceux, nombreux, dont nous respectons l’intelligence et qui s’en servent bêtement. Comment comprendre en effet que des esprits sophistiqués, et en apparence libre, en viennent à patauger dans les idées toutes faites ?
FABRICE LUCHINI : « IL FAUT RECONNAITRE QUE LA BETISE PREND DES PROPORTIONS INOUÏES »
Interview pour Le Figaro, 13 décembre 2014
LE FIGARO. – Vous commencez le 5 janvier un spectacle intitulé « Poésie ? ». Vos choix sont de plus en plus exigeants…
Fabrice LUCHINI. – La poésie ne s’inscrit plus dans notre temps. Ses suggestions, ses silences, ses vertiges ne peuvent plus être audibles aujourd’hui. Mais je n’ai pas choisi la poésie comme un militant qui déclamerait, l’air tragique : « Attention, poète ! » J’ai fait ce choix après avoir lu un texte de Paul Valéry dans lequel il se désole de l’incroyable négligence avec laquelle on enseignait la substance sonore de la littérature et de la poésie. Valéry était sidéré que l’on exige aux examens des connaissances livresques sans jamais avoir la moindre idée du rythme, des allitérations, des assonances. Cette substance sonore qui est l’âme et le matériau musical de la poésie.
Vent violent, ciel clair et température basse. Il fait froid ! Les visages sont fermés et « fripés ». Un temps à courir chez sa boulangère, pour filer ensuite dans une brasserie. Au chaud ! Y lire son journal, observer son voisin et se laisser envelopper par un fond de paroles brouillées propre au lieu, qu’une odeur de café crème leste d’une délicate pointe de suavité. Chaude et bienheureuse bêtise…Plus tard, France Culture : « le journal de la philosophie ».François Noudelmann reçoit Claude Coste pour son ouvrage « Bêtise de Barthes » paru chez Klincksieck, 2011. Son hypothèse : la bêtise et le stéréotype sont liés. Comme chez Flaubert ( son dictionnaire des idées reçues ). Et personne n’y échappe. Barthes comme nous tous. Le Moi, suprême bêtise, est une illusion, et seule la littérature, l’écriture : la fragmentée, peut nous permettre d’en sortir. Peut-être ! Exemple de bêtise : celle du politique. Dumilitant, plus précisément, qui ne pense jamais par lui-même. Par nature, si je puis dire…
Dans « La bêtise s’améliore », Belinda Cannonefait dialoguer trois personnages autour de l’amour, la politique, l’économie, l’art, la morale, le désir, le bonheur…, trois personnages qui s’étonnent de ceux, nombreux, dont nous respectons l’intelligence et qui s’en servent…bêtement. Comment comprendre en effet que des esprits sophistiqués et en apparence libre en viennent à patauger dans les idées toutes faites ? A cette question, l’un de nos protagonistes (page 128 et 129…), Gulliver apporte la réponse suivante : « …Tu te souviens que j’avais désigné le réflexe, la pensée-mode et la paresse comme trois sources de la bêtise intelligente. Il faut y inclure un quatrième mécanisme : le bon sentiment. Appelle-le compassion, empathie ou révoltisme, selon les cas. » Autrement, et plus succinctement dit : le penser-court, les bons sentiments avant le raisonnement. Ou le militantisme compassionnel nourri « par le cordon ombilical de la misère des autres, par ces souffrances collectives où elles abolissent du même coup leur individualité. », comme le dit si bienPhilippe Muray. Un constat sociétal que partage, un jeune homme de 89 ans, Lucien Jerphagnon, qui nous livre aujourd’hui un savoureux florilège des réflexions sur la sottise, de Lucrèce à Cioran, tout en essayant de définir ce qu’il appelle la « sottise atmosphérique ». Celle qui traîne dans l’air du temps et à laquelle on n’échappe guère. Par exemple, au XIXe siècle, l’excès de rationalisme qu’incarne un M. Homais. Et aujourd’hui celle alimentée par des opinions proférées avec solennité dans certaines émissions de télévision ou dans des « réseaux sociaux », comme Facebook, par exemple. Le remède à cette moraline ? La prudence et la modestie : celle des sages, Socrate et Jean Gabin : « Je sais que je ne sais pas. » Et l’humour aussi…