Archives de l’auteur

Envoyez donc paître les donneurs de leçon…

 
 
 
 
 
 
Humeur d’août !
 
Il y a des gens pour qui tout est politique, jusqu’à la manière de se vêtir, de boire et de manger ; de choisir ses auteurs et ses lectures ou de s’asseoir ou pas sur la lunette des WC. Ceux-là donc ne cessent de me faire un peu partout, jusqu’ici, la leçon : mes goûts et dégoûts littéraires, notamment, seraient des actes politiques. Ainsi, que Chardonne et Déon, par exemple, soient rangés dans ma bibliothèque, alors que n’y figureront jamais ni Despentes ni Angot, feraient de moi, né blanc et hétérosexuel assumé, un parfait réactionnaire. Honteusement misogyne de surcroît. Et je serais, pour ces redresseurs (j’allais écrire pleurnicheurs !) de torts, soit un imbécile en suggérant que, contrairement à eux, je suis inconscient de mes actes, soit un hypocrite, en suggérant que je suis complaisant au mal qu’ils dénoncent. Une façon, finalement, de m’imposer leur vision du monde pour m’imposer leur cadre idéologique et leur pouvoir. Ce qui m’amène, presque par instinct, à ignorer ce type d’injonctions et à envoyer paître ceux qui en font, et les présentent, comme les « obligations morales » de notre temps. Aussi, continuerai-je à lire les seuls auteurs susceptibles de nourrir mon autonomie et ma solitude, ma résistance et mes plaisirs (En ce moment, Emmanuel Bove : « Un homme qui savait ». Extrait : « Mais derrière la grande réputation du professeur, il n’y avait rien, ni intelligence, ni fortune, ni bonté, ni noblesse. On s’épuisait à faire son propre chemin, à maintenir des apparences. On attendait plutôt une aide du gendre qu’on ne songeait à l’aider. Sa jeune femme luttait pour tout le monde, avec plus d’ardeur même quand il s’agissait de sa famille. Le professeur était un homme sans valeur profonde, faible, paralysé par une femme qui se croyait continuellement dans l’obligation de tenir un rang. Maurice comprit qu’il ne ferait jamais rien dans ce milieu, qu’il ne serait jamais que le petit protégé d’une famille ambitieuse. Il n’eut plus qu’un désir : retrouver sa liberté. »)
 
 
 
 

Une scène de marché dans Gruissan village …

Sa.30.7.2023  

Les jours de marché, à Gruissan, je les retrouve toujours assis dans le même ordre et toujours à la même table de la terrasse de la boulangerie Bertrand. Des hommes seulement ayant passé la soixantaine, le visage buriné, les cheveux gris, diserts et, d’apparence en tout cas, en bonne forme physique. J’ai compris très vite à leur accent qu’ils n’étaient pas natifs du village ou des environs, mais qu’ils y habitaient de façon permanente. Sur leurs voiliers, sans doute. En effet, leurs conversations tournent souvent autour de leurs nombreux et lointains périples en mer. Aujourd’hui, changement de sujet, le réchauffement climatique était au centre de leur discussion. Très animée ! A l’évidence, de ce que j’entendais, ces hommes étaient bien informés et dotés d’une culture moyenne d’assez bon niveau. Tout y passait, jusqu’à l’évocation de Thomas More et son Utopia, auteur validé par l’un d’entre eux sur Google. Je les écoutais d’une oreille discrète, mais curieuse, pendant que défilait devant nous la foule molle, débraillée et somnambulique de touristes pas tout à fait réveillés. Ils se promenaient, se traînaient plutôt. Leurs enfants étaient à la peine. Leurs chiens aussi. Un homme se distinguait au milieu de ce flux dense et ininterrompu. Grand, massif, cheveux longs, frisés, blancs et moustache foisonnante de la même teinte, il se déplaçait en slalomant, son VTT à la main. Il portait une casquette d’une université américaine et un maillot aux couleurs de l’Inter de Milan, le short sortait vraisemblablement d’un magasin Décathlon. Ici je dois préciser que l’entrée du marché est étroite, moins de deux mètres, et que, sur sa moitié, un dénivelé fait un semblant de marche ; et qu’un étal de tomates du marchand de fruits et légumes voisin et la corde de séparation de la terrasse de la boulangerie où je m’installe tout à côté, la bornent. Un auvent couvrant le tout, qui repose en partie sur un tube monté sur roulettes. Je choisis toujours cet emplacement où je m’amuse à parier mentalement sur ceux qui buteront du bout de leurs orteils en général nus sur cet obstacle – je sais, ce n’est pas bien ! Une personne sur trois, environ. Et qui se retrouve pendant quelques secondes dans des postures et mouvements aériens inédits, ridicules et souvent grotesques – Je n’avouerai pas le nombre de fous rires attrapés à leurs dépens. Comme lorsque ce petit bonhomme, court sur pattes et rond, qui, croyant pouvoir retrouver son équilibre, a cru bon d’accélérer sa course pourtant incontrôlable pour finir un peu plus loin le nez dans l’étal d’aubergines et de melons. Ce samedi matin, et je ne sais pour quelles raisons, quand j’ai vu mon numéro 10 de l’Inter prendre la direction de cette porte de tous les dangers, j’ai craint le pire. Qui est finalement advenu ! Sous le choc, son VTT est parti en roues libres sur le rayon des tomates, tandis que son impressionnant gabarit plongeait dangereusement vers ma table. Dans un geste réflexe plein d’à propos, si on peut dire, il a bien tenté de se rattraper au tube de l’auvent, mais il ignorait évidemment qu’il était monté sur roulettes. Le temps de l’entendre gueuler « putain de marche ! », j’avais sa moustache de grognard dans ma tasse de café crème, ou presque. Le miracle est qu’il soit finalement resté sur ces deux pattes. Pour retenir mes rires et lui permettre de reprendre ses esprits, je l’ai invité à prendre un café. Il a refusé, pensant sans doute que l’accepter eut été manquer de dignité. Puis s’en est allé en pestant après le maire et ses subordonnés. Très vite après cet extravagant numéro de voltige, la conversation sur le réchauffement climatique, elle, avait repris son cours philosophico-politique à la table voisine. L’idéal pour régler tous nos problèmes, disait l’un, serait finalement le mode de vie monastique : vœux de pauvreté, étude, chants, autonomie et autosuffisance alimentaire ; l’autre suivait l’un en invoquant les tibétains et leurs moines safrans – Certes, certes pensai-je, en souriant. C’est à ce moment précis de grande intensité intellectuelle et spirituelle que leurs téléphones portables se sont mis

à sonner dans un invraisemblable chœur aux tonalités exotiques. Un rappel à l’ordre, en quelque sorte : il était l’heure du déjeuner et de clore cette discussion pour retrouver enfin la vraie vie…

Apprendre par cœur pour décorer son être intérieur…

 

 

Je.27.7.2023

23 heures 30 hier soir. Le vent était tombé. La nuit était calme et douce et j’écoutais, sur France Culture, la version radiophonique de « By heart » présenté au Théâtre National de Lisbonne, que Tiago Rodrigues joue depuis 10 ans, et qu’il vient de donner en clôture du festival d’Avignon dans la Cour d’honneur du Palais des papes. « Par cœur », c’est d’abord l’histoire émouvante de la grand mère de Tiago Rodrigues. Celle d’une vieille dame pauvre et travailleuse qui un jour lui demanda de reprendre tous les livres qu’il lui avait prêtés depuis des années. Âgée de 94 ans, elle perdait la vue, et cherchait un texte dont elle pourrait apprendre par cœur des extraits avant de devenir aveugle, pour continuer sa conversation secrète avec les faiseurs d’histoires. Mais qu’est-ce qu’apprendre par cœur, c’est-à-dire avec le cœur ; quel est ce lien si particulier qui nous accorde à certaines œuvres, s’interroge avec nous Tiago Rodrigues. Et ce en commençant par citer George Steiner pour tenter d’y répondre : « Apprendre par cœur, c’est entrer dans l’œuvre même : « tu vas vivre en moi et je vais vivre avec toi ». Ou encore : « Ce que nous apprenons par cœur, personne ne peut nous l’enlever. Ni la censure, ni la police politique, ni le kitsch qui nous entoure. » Tiago Rodrigues développe ensuite sa pensée en nous parlant de ses passions littéraires

: François Truffaut et Ray Bradbury, notamment. Et de Boris Pasternak, de ses démêlés avec le pouvoir soviétique et du poème de Shakespeare qui le sauva de la déportation, le Sonnet 30 : « Quand je fais comparoir les images passées, au tribunal muet des songes recueillis, je soupire aux défauts des défuntes pensées, pleurant de nouveaux pleurs les jours trop tôt cueillis »… À ce moment du spectacle Tiago Rodrigues convie sur scène dix spectateurs volontaires. Et nous les entendons se livrer à cet exercice d’apprentissage ; puis réciter séparément et ensemble ce splendide poème. Ainsi, peu à peu réalité, théâtre, Histoire, fiction, références ou citations tissent une profonde réflexion sur la beauté et la consolation que peut apporter la littérature ; sur la liberté et la résistance qu’elle oppose à toutes les tentatives totalitaires lorsque les livres sont à jamais inscrits dans les esprits. Il était minuit quand, bouleversé, j’ai retiré mes écouteurs et éteint mon iPhone. Le ciel brillait de toutes ses étoiles. J’entendais le bruit des vagues. Les yeux verts d’un chat noir étincelaient dans la haie de lauriers. Ma cabane était de tous les lieux où ce spectacle avait été donné. Et la voix envoûtante de Tiago Rodrigues , et ses mots prononcés dans un français magnifique, parfaitement maîtrisé, classique et coloré, désormais m’habitaient. J’ai aussi compris, un peu plus tard, qu’en portugais, « decorar » signifie « apprendre par cœur » et aussi « décorer ». Hier soir, loin d’Avignon et de Lisbonne, pendant une petite heure et pour longtemps, Tiago Rodrigues a décoré de sons, de mots et d’images tout ce que mon être intérieur est encore capable d’accueillir.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-fictions-avignon/by-heart-de-tiago-rodrigues-7711235

 

Sortir des vagues le soir ; se répéter que la mer est belle…

Sa.23.7.2023

 

Sortir des vagues le soir ; se répéter que la mer est belle, le ciel aussi ; et les pins et les tamaris tordus par les vents ; et le soleil au coucher sur la Clape et les étangs sous la lune. N’avoir d’envie que d’écouter Billie Holliday, Nat King Cole et le bruissement du mûrier ; et le soupir d’ombres somnolentes. Se répéter que l’amitié n’a pas d’âge, qu’elle est belle et ne s’explique pas ; que sont beaux ces mots lus pour en exprimer le désir et le manque. S’asseoir enfin autour de ma table bancale ; se répéter n’avoir d’autre besoin qu’écrire. Qu’écrire cela seulement.

 

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