La société du divertissement.

 

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Depuis quelques semaines, on observe, sans vraiment s’y intéresser plus que de raison, la petite et vaine agitation politico-médiatique produite par l’annonce, aujourd’hui réalisée, d’un imminent remaniement ministériel. Trop tard, trop long, Borloo contre Fillon, Fillon contre Borloo… Bref, les commentaires ont plu et continueront à tomber encore pendant quelques temps. Inutiles et farfelus. Personne n’ayant voulu relever que Nicolas avait pourtant annoncé qu’il remanierait après la réforme des retraites. Ce qu’il a fait. Et qu’il continuerait sur la même voie. Ce qu’il vient de faire en renommant le premier ministre sortant. Tout, dans cette affaire, le fond comme la forme ressortit donc du non-évènement. Une sorte de vide politicien. Du rien néanmoins transformé par l’industrie médiatique, la vanité de quelques uns  et l’ennui de beaucoup en divertissement. Qui les occupe tous entiers et les dérobe à eux mêmes…

Question d’identité, suite.

 

 

 

J’avais promis à mon ami blogueur P-H Thoreux de poursuivre notre discussion sur l’identité française ( voir billet en lien ). Voici ma lecture de l’article de Finkielkraut à l’origine de cet échange :

En conclusion de son texte : « Etre français par la littérature. », Alain Finkielkraut (A.F) nous dit : « Je ne veux pas me détourner des urgences du présent, mais je ne vois pas comment une politique digne de ce nom, c’est-à-dire une politique qui soit souci du monde, pourrait faire l’économie de la culture et s’affranchir du passé. » 

Loin donc de tout repli frileux et nostalgique sur une France et des français du passé mythifiés dans leur amour et leur fierté qui ne seraient plus, A.F nous invite au contraire à penser un présent où la culture et l’histoire de ce pays font l’objet d’un déni systématique  d’existence, quand elles ne sont pas étroitement bornées au seul horizon historique de 1789.

Trop lourdes, trop difficiles et demandant trop de temps, la culture et sa langue, comme l’histoire, sont devenues, en effet, des obstacles, dans l’esprit de nos élites modernes, à l’intégration (ne parlons pas d’assimilation, terme devenu infâme) de populations venues d’autres horizons culturels comme de celles résidant en France depuis quelques générations, d’ailleurs…

Etre français, se résument donc, pour ces esprits, à la possession d’un « titre » garantissant l’accès à des droits juridiques, politiques et sociaux. Et sans aucune autre « contrepartie » que la participation aux dépenses communes par l’impôt (exonérée ou pas). Une conception essentiellement juridico-politique qui, à la limite, place tout individu habitant notre planète, et pour peu qu’il adhère, ne serait ce que formellement, à nos valeurs constitutionnelles, en situation de se revendiquer « français ».

Une « francité » qui, de fait, promeut un « être » a-historique et a-culturel, délesté de toute référence à cette dimension spirituelle (conceptuellement difficile à cerner, j’en conviens) dans laquelle se trouve fondue une histoire et sa projection dans l’avenir, une langue et sa capacité d’énonciation, une culture et sa faculté d’adaptation. Et qui, comme le note Koz, dans un de ses billets, « ramène l’identité nationale à quelques grands principes, certes louables, mais si généraux et communément partagés qu’ils sont évidemment impuissants à caractériser une quelconque identité française  ». Avec, conséquemment, comme seul statut d’appartenance celui de client, de consommateur et de créancier d’un Etat-Providence désincarné.

Un Etat-Providence désincarné ne disposant cependant plus, en outre, des ressources économique, financières et militaires qui lui permettraient de peser dans les débats internationaux et de mobiliser ses ressortissants  autour de  ses seuls attributs de la puissance .

Dans ce contexte, comme les autres nations européennes, la France et les français n’ont d’autres choix, s’ils veulent survivre dans le monde à venir, que de transcender leur vieille identité pour la fondre dans ce qui fait l’identité européenne. Et, au-delà, « d’être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale. »

 Les derniers débats sur « la charte européenne des droits fondamentaux » ne me rendant pas, hélas, très optimiste…

Question d’identité.

 

 

 

 

 

Pierre-Henry Thoreux, dans son blog « Les amoureux de la liberté », revient sur un texte d’Alain d’Alain Finkielkraut que j’ai publié il y a quelques jours: (Etre français par la littérature). Son point de vue est très pertinent. Et je ne pense pas que nous différions beaucoup. En attendant de m’expliquer plus avant, je livre ici son analyse…

 

« Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l’épineux problème de l’identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d’excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu’il est sous tendu par un texte d’Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d’interpeller.

 

Pour faire simple, l’idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : « Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. « 

 

A dire vrai, au terme d’une introspection, et malgré tout l’amour que je porte à l’Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.

 

Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l’histoire, le fondement exclusif de l’identité nationale.

Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

 

Je prends à l’inverse, l’exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d’avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu’est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?

 

Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d’unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d’une vraie personnalité. E pluribus unum…

 

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d’être fier de mon pays.

 

Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu’elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu’elle n’a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu’un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S’agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.

 

De ce point de vue j’ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu’il s’avoue déprimé en évoquant l’aveu d’une personne d’origine polonaise, qui revendique d’être français bien qu’elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette… Qu’y a-t-il de si choquant ?

 

J’aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l’apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J’adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j’ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j’éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J’admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d’autres formes d’expression artistique, la Peinture ou la Musique…

 

En définitive, le poids de l’histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d’être français. C’est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D’ailleurs réduite à celle d’un seul pays, la culture expose au chauvinisme.

 

Le coq gaulois est une forme d’expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l’idée de culture et d’intelligence.

 

En France je veux être Français, mais en Amérique j’aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol…

 

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s’empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que « la culture a la vertu de nous vieillir », mais est-il vraiment opportun de pouvoir « s’émanciper du présent » comme il le recommande, ou « de pouvoir habiter d’autres siècles » comme il en rêve ?

 

Ce n’est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu’on peut imaginer l’avenir. Encore une fois l’Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants vers le Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.

 

Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation « sans culture ni histoire ». Ils auraient pu à l’inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.

 

Car il est à craindre que les nations qui constituent ce conglomérat fatigué n’aient d’autre choix, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l’auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l’identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l’essence de la civilisation occidentale… »

 

Le règne de la bêtise.

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Dans « La bêtise s’améliore », Belinda Cannone fait dialoguer trois personnages autour de l’amour, la politique, l’économie, l’art, la morale, le désir, le bonheur…, trois personnages qui s’étonnent de ceux, nombreux, dont nous respectons l’intelligence et qui s’en servent…bêtement. Comment comprendre en effet que des esprits sophistiqués et en apparence libre en viennent à patauger dans les idées toutes faites ? A cette question, l’un de nos protagonistes (page 128 et 129…), Gulliver apporte la réponse suivante : « …Tu te souviens que j’avais désigné le réflexe, la pensée-mode et la paresse comme trois sources de la bêtise intelligente. Il faut y inclure un quatrième mécanisme : le bon sentiment. Appelle-le compassion, empathie  ou révoltisme, selon les cas. » Autrement, et plus succinctement dit : le penser-court, les bons sentiments avant le raisonnement. Ou le militantisme compassionnel  nourri « par le cordon ombilical de la misère des autres, par ces souffrances collectives où elles abolissent du même coup leur individualité. », comme le dit si bien Philippe Muray. Un constat sociétal que partage, un jeune homme de 89 ans, Lucien Jerphagnon, qui nous livre aujourd’hui un savoureux florilège des réflexions sur la sottise, de Lucrèce à Cioran, tout en essayant de définir ce qu’il appelle la « sottise atmosphérique ». Celle qui traîne dans l’air du temps et à laquelle on n’échappe guère. Par exemple, au XIXe siècle, l’excès de rationalisme qu’incarne un M. Homais. Et aujourd’hui celle  alimentée par des opinions proférées avec solennité dans certaines émissions de télévision ou dans des « réseaux sociaux », comme Facebook, par exemple. Le remède à cette moraline ? La prudence et la modestie : celle des sages, Socrate et Jean Gabin : « Je sais que je ne sais pas. » Et l’humour aussi…

Edward Hopper et l’éloge du rien.

Les toiles d’Hopper m’ont toujours fasciné. Et les commentaires érudits sur son œuvre toujours déçus. Exclusion, mélancolie, aliénation reviennent sans cesse. Surtout sous la plume de critiques français, qui ne voient , chez Hopper, que le peintre d’une société américaine par essence plate, froide et opprimante. Comme si le silence, la tension, l’exclusion, voire la mélancolie qui enveloppent ses personnages étaient le propre d’un pays, d’une époque. Comme si George de la Tour, Goya, Munch… , en d’autres temps et d’autres espaces, n’avaient pas, eux aussi, tentés de cerner ce qui réside au plus profond de nos consciences : la solitude et l’attente. Ainsi de cette toile où le lieu de la scène, un bar vivement éclairé et sans murs, semble plonger, tel l’étrave d’un paquebot, dans l’océan de la nuit. Trois personnages y bavardent. Indifférents au quatrième, de dos, dont l’ombre ne laisse à la lumière que le bas d’un visage penché sur un verre que l’on devine à peine. Le mouvement de ses épaules marque la fatigue de l’attente. Le monde entier semble reposer sur lui. Mais que regarde-t-il ? Ce jour qui s’éteint, emporté ?  La pensée et le monde, vides en cette heure ? La solitude est en nous comme une lame, nous dit Christian Bobin, dans son « éloge du rien », profondément enfoncée dans les chairs. On ne peut nous l’enlever sans nous tuer aussitôt. L’amour ne la révoque pas, il la parfait. Et qui nous dit de cet homme, qu’en cet instant où plus rien n’est à attendre sinon l’inattendue, dans sa nuit, au loin, qu’il n’est pas au plus près de la saisir. Comme une prière le vent, comme une âme son être. Le génie d’Edward Hopper est dans cette faculté qu’il a de transformer la banalité des formes et des situations en représentations d’un univers métaphysique d’une profondeur inouïe. Le glacé de ses toiles en lumineuses rêveries. Le rien de la vie en tout de l’être… Inutile de dire qu’on l’aime…