Lecture d’Anatole France.

Anatole France - Histoire contemporaine. L'Orme du Mail, le Mannequin d'osier, L'Anneau d'améthyste, Monsieur Bergeret à Paris

 

 

 

 

 J’ai déniché, la semaine dernière, chez mon bouquiniste, l’édition du 28.12.1948, chez Calmann-Lévy, en parfait état, d’ «  Histoire contemporaine », d’Anatole France. Depuis, passant outre le jugement commun et celui d’Aragon sur l’auteur de cette tétralogie satirique de la société française sous la Troisième république : «  Exécrable histrion de l’esprit. Je tiens tout admirateur d’Anatole France pour un être dégradé. », je suis, avec délectation, les heurs et malheurs conjugaux et professionnels de M. Bergeret, professeur de lettres anciennes, esprit sceptique et doux. Hier au soir, par exemple, je me suis endormi, le sourire aux lèvres sur les pages 299-303. Extraits :

 

« Le journal, en effet, portait en manchette l’annonce d’un de ces incidents communs dans notre vie parlementaire, depuis le mémorable triomphe des institutions démocratiques. Les Saisons alternées et les Heures enlacées avaient ramené en ce printemps, avec une exactitude astronomique, la période des scandales. Plusieurs députés avaient été poursuivis dans ce mois. Et la feuille déployée par M. Bergeret portait en lettres grasses cette mention : « Un sénateur à Mazas. Arrestation de M. Laprat-Teulet. » Bien que le fait en lui-même n’eût rien d’étrange et révélât seulement le jeu régulier des institutions, M. Bergeret jugea qu’il y aurait peut-être quelque affectation d’insolence à l’afficher ainsi sur un banc du Mail, à l’ombre de ces ormes sous lesquels l’honorable M. Laprat-Teulet avait joui tant de fois des honneurs que les démocraties savent accorder aux meilleurs citoyens. C’est là, sur ce Mail, que dans une tribune de velours grenat, sous des trophées de drapeaux, M. Laprat-Teulet, siégeant à la droite de M. le président de la République, avait, aux grandes fêtes régionales ou nationales, aux inaugurations diverses et solennelles, prononcé ces paroles si propres à exalter les bienfaits du régime, en recommandant toutefois la patience aux masses laborieuses et dévouées. Laprat-Teulet, républicain de la première heure, était depuis vingt-cinq ans le chef puissant et vénéré de l’opportunisme dans le département. Blanchi par l’âge et les travaux parlementaires, il se dressait dans sa ville natale comme un chêne orné de bandelettes tricolores. Il avait enrichi ses amis et ruiné ses ennemis. Il était publiquement honoré.Il était auguste et doux. Il parlait aux petits enfants de sa pauvreté, chaque année, dans les distributions de prix. Et il pouvait se dire pauvre sans se faire de tort, car personne ne le croyait, et l’on ne pouvait douter qu’il ne fût très riche ….Sage, jaloux de ne pas fatiguer la fortune, modéré, ce grand aïeul de la démocratie laborieuse et intelligente avait depuis dix ans, au premier souffle de l’orage, renoncé aux grandes affaires ; il avait quitté même le Palais-Bourbon et s’était retiré au Luxembourg, dans ce grand conseil des communes de France où l’on appréciait sa sagesse et son dévouement à la République. Il y était puissant et caché. Il ne parlait qu’au sein des commissions. … Ni l’honorable M. Laprat-Teulet, ni son juge d’instruction, ni son avocat, ni M. le procureur de la République, ni M. le garde des sceaux lui-même n’avait prévu, n’avait compris la cause de ces déclenchements subits et partiels de la machine gouvernementale, ces catastrophes burlesques comme un écroulement d’estrade foraine et terribles comme un effet de ce que l’orateur appelait la justice immanente, qui par moments culbutaient de leur siège les plus vénérés législateurs des deux Chambres. Et M. Laprat-Teulet en concevait un étonnement mélancolique…. »

 

C’est fin, élégant, subtil et ironique. Le style est l’homme même, en effet, et le sien suffit à définir la petitesse de nos histrions contemporains gangrénés par l’exécrable esprit journalistique…

A propos des vaches.

 

 

 

 

Je terminerai sans doute ce soir l’ « A propos des vaches », de Benoît Duteurtre, paru en 2000 aux Belles Lettres. J’aime, en effet, lire à contretemps. Une façon, la mienne, d’échapper à une actualité littéraire qui, comme l’autre, nous noie quotidiennement dans le vulgaire et l’insipide à l’image de la grotesque et minuscule manifestation de soutien au cruel duo d’histrions Guillon-Porte. A la page 143, donc, je lis ceci :

« J’écoutais des disques et regardais dans les flammes qui crépitaient dans la nuit, tout en feuilletant les Histoires naturelles de Jules Renard : « Elle s’appelle simplement « la vache » et c’est le nom qui lui va le mieux.

D’ailleurs, qu’importe, pourvu qu’elle mange !

Quoiqu’elle vive seule, l’appétit l’empêche de s’ennuyer. Il est rare qu’elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d’où pendent un fil d’eau et un brin d’herbe. »

Pour me plonger illico dans la suite de ce portrait symbolique chez Renard lui-même, page 21, qui finit ainsi :

 « Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu’une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur.

Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu’elle s’approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu’à ce que j’aie mis le pied dans sa bouse. »

Je vous laisse découvrir le paon, page 13, et les dindes, page 8…



Oublier,choisir et penser à Madrid!

L’évènement estival dans le domaine des arts photographiques est à Madrid. C’est à une française que nous le devons: Claude Bussac, née à Narbonne en 1963, directrice de La Fabrica, bras armé du festival et entreprise de gestion culturelle privée (3,30 Millions d’euros de budget cette année, un peu moins que les Rencontres d’Arles).

74 lieux d’expositions où on y trouve : « des icônes poignantes de Dorothea Lange à celles, glamour et arrogantes, d’Annie Leibovitz, juste en traversant la Calle de Alcala. Des photographies peintes avec une minutie narcissique par Gerhard Richter (Fundacion Telefonica) aux jeunes talents sud-américains un peu brumeux (Instituto Cervantes), juste en remontant la Gran Via. Sous l’avalanche de clichés, la marche à l’ombre permet de penser, de comparer, de se souvenir, d’oublier, de choisir. »

 

 

 

Manzanar, California, grand-père et petit fils, 3 juillet 1946, quand les Japonais d'Amérique sont emprisonnés après Pearl Harbor, reportage inédit de Dorothea Lange. (Dorothea Lange)

 

 Manzanar, California, grand-père et petit fils, 3 juillet 1946, quand les Japonais d’Amérique sont emprisonnés après Pearl Harbor, reportage inédit de Dorothea Lange. (Dorothea Lange)

Carolina Martínez

« Hola soy Carolina Martínez …A través de mis imágenes intento vertebrar un mundo de sentimientos y emociones; hablar sin palabras, hablar con imágenes. Todas mi trabajo es fruto de un momento, de un disparo espontáneo que intenta recoger toda la carga emocional y escondida de las situaciones que me encuentro. »

Ouvrir les yeux quand il est temps.

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J’ouvre, au hasard (qui sait ?), « L’homme de cour » de Baltasar Gracian (éditions Champ libre 1980) et je tombe sur ceci, page 139-140 : « Tous ceux qui voient n’ont pas les yeux ouverts ; ni tous ceux qui regardent ne voient pas. De réfléchir trop tard, ce n’est pas un remède, mais un sujet de chagrin. Quelques-uns commencent à voir quand il n’y a plus rien à voir. Ils ont défait leurs maisons et dissipés leurs biens avant que de se faire eux-mêmes. Il est difficile de donner de l’entendement à qui n’a pas la volonté d’en avoir, et encore plus de donner la volonté à qui n’a point d’entendement. Ceux qui les environnent jouent avec eux comme avec des aveugles, et toute la compagnie s’en divertit ; et d’autant qu’ils sont sourds pour ouïr, ils n’ouvrent jamais les yeux pour voir. Cependant, il se trouve des gens qui fomentent cette insensibilité, parce que leur bien être consiste à faire que les autres ne soient rien… » Ecrit par le grand jésuite en 1646, ça vaut bien l’édito du « Monde » de demain, non ?

Deux femmes: de T.B.Jelloun et de C.Bobin.

 

 

 

« Arrêtez la planète, je veux descendre ! Mais personne ne m’entend. C’est comme dans un cauchemar, où les cris n’arrivent pas à sortir du fond de la gorge. Mais, après la pluie, après la noirceur du monde, arrivent le printemps et la lumière d’un monde neuf et beau ! Je pense à cet espoir parce que je viens de voir une belle femme en train d’allaiter son bébé, assise sur un banc, au jardin du Luxembourg, indifférente au tumulte et au bruit du monde. » C’est la conclusion d’un article de Tahar Ben Jelloun publié dans « le Monde » : Peurs. Sa dernière phrase m’amenant à monter sur mon escabeau pour sortir du troisième rayonnage de ma bibliothèque « La part manquante » de Christian Bobin, où on peut lire ceci : « Elle est seule avec, dans le tour de ses bras, un enfant de quatre ans, un enfant qui ne dément pas sa solitude, qui ne la contrarie pas, un enfant roi dans le berceau de sa solitude. » ( page 9 ). Et un peu plus loin ( page 14 ) : « Si totalement brûlée d’amour qu’elle en est lumineuse, et que son visage suffit à éclairer le restant de votre journée, tout ce temps à tuer avant le train à prendre, avant le jour de votre mort. » . Sur la plus haute branche d’un arbre dont j’ignore le nom, écrivant ce texte devant ma fenêtre largement ouverte pour jouir de l’air frais du matin, un chardonneret, ignorant nos peurs et nos manques, chante à la vie…