Le 4 janvier 1960, Albert Camus se tuait dans un accident d’automobile. Il y eut des éloges sincères. Et d’autres qui ne l’étaient pas, prononcés par ceux qui, de son vivant, ne « voulant pas désespérer Billancourt » au nom de la défense du « socialisme réel », l’avait traîné dans la boue. Ceux là même qui préférèrent avoir eu tort avec Sartre et qui occupent toujours les esprits d’une « petite bourgeoisie intellectuelle » toujours prête à cautionner, au nom d’un anti-américanisme pathologique, les diverses formes de terrorisme et de fanatisme pourvues qu’elles se présentent sous les traits d’un peuple idéalisé ou d’une classe dominée.
Camus avait pourtant averti que le bacille de la peste veillait et veillerait jusqu’à la fin du monde; et qu’il était tapi au plus profond de nos consciences, fussent-elles éclairées par la recherche du bonheur ici-bas.
Cette leçon, je l’ai comprise un peu tard. L’attrait et le charme d’une posture romantique sans risque, théorisée par les détracteurs de Camus, étaient à l’époque trop puissants pour des jeunes gens avides de changer le monde.
Michel Renouleaud vit à Nîmes . Nous nous connaissons bien pour avoir exercé quelques responsabilités ensemble à la Région , et sommes amis.Dans son dernier billetil s’interroge : « … quand je lis qu’à Narbonne, avec le soutien financier du conseil régional, on s’apprête à construire un musée de la Romanité, projet également inscrit dans le programme municipal nîmois… ».Eh bien, mon cher Michel, non seulement je m’interroge comme toi sur ce projet « fréchien », mais trouve l’idée surtout assez démagogique . Si la romanité de Narbonne est bien avérée au plan historique, son patrimoine antique réel est lui malheureusement très pauvre. Il se résume en effet en une collection de « pierres », certes intéressante, mais qui ne saurait rivaliser, bien entendu, avec « la maison carrée » et « les arènes » de la préfecture nîmoise.Des trésors qui illustrent tous les livres d’histoire de la planète traitant de la période romaine. S’il doit donc se faire un musée de la romanité en Languedoc-Roussillon, c’est donc bien dans la capitale gardoise . Narbonne, a bien d’autres atouts, avec notamment son ensemble monumental autour du « palais des archevêques ». Un « bijou » négligé, mal entretenu et insuffisamment mis en valeur. Alors, plutôt que de courir à grands frais après une « romanité » qui jamais ne pourra rivaliser avec celle de Nîmes, nos élus seraient plus avisés de concentrer leurs énergies intellectuelles, politiques et financières sur le « cœur de ville narbonnais ». En ces temps d’agitations politiciennes, est-ce trop leur demander que de faire montre de sérieux et de cohérence, pour ne pas dire de solidarité, régionale ?
Le directeur et fondateur desEditions Verdier, àLagrasse,Gérard Bobillier, est mort, lundi. Je ne le connaissais pas et sa disparition me rend pourtant très triste. Je ne le connaissais pas mais ma bibliothèque est pleine de ses livres. QuandGil Jouanardet Anne Potié, des amis chers, dirigeaient le Centre Régional des Lettres de Montpellier, je me rendais régulièrement dans leurs locaux pour me plonger dans les cartons remplis des nouvelles éditions que leur adressait Gérard Bobillier. Que d’heures passées à feuilleter et lire, seul, dans cette grande pièce à l’odeur prégnante de papier…Et que d’auteurs découverts en ces occasions : Bergougnioux, Michon, Delibes, Llamazares…Erri de Lucaet son « Une fois, un jour » que je ne quitte plus depuis et qui après quelques années de prison est devenu maçon pour gagner sa vie. Un maçon qui, tout au long de ses années de vie d’ouvrier, feuilletait « les Saintes Ecritures et leur hébreu ancien une heure avant de partir au travail. » (Première heure. Rivages poche page 7) « en homme qui ne croit pas », sans être pour autant athée… Pour y constater que le métier de maçon y était même un titre honorifique, comme le prouve le prophète Isaïe lorsqu’il écrit à propos d’un homme juste : « Et je t’appellerai maçon de brèche, celui qui répare les chemins pour vivre.(Is 58,2)» (Page 18). Gérard Bobillier était lui aussi du métier, si je puis dire. Il lui en a fallu en effet du courage et de l’obstination pour construire, au cœur des Corbières, loin des bavardages mondains et médiatiques, une « maison » qui « refusait obstinément – et quoi qu’il lui en coûtât – la pénombre de la Caverne et le jeu des apparences trompeuses… pour s’approcher de la lumière des idées »
C’est Jean Tuffou qui m’a remis en mémoire ce texte de Max Rouquette, que l’on trouvera dans les » roseaux de Midas « . Un ensemble » d’écrits au quotidien « , entre 1945 et 1999, traduit de l’occitan par l’auteur et publié par l’ami Max Chaleil aux » Editions de Paris » ( 2000 ).
La première phrase, page 51 datée du 6 juin 1978, m’avait alors à proprement parler saisi : » J’avais besoin – je le croyais – d’éclaircissements. Je croyais nécessaire de reproduire la vérité telle qu’elle est. » Et la dernière, encore aujourd’hui, ne cesse de m’habiter : » Car écrire ce n’est pas copier le monde, mais le refaire, l’inventer dans l’air de la liberté, les lambeaux de vérité n’étant que le bois de ce grand feu, un bois qui se meurt en cendre. » Beaucoup considère Max Rouquette comme le plus grand écrivain d’expression occitane. Sans doute ! Mais c’est aussi et surtout un de nos plus grands écrivains; un maître de la prose poétique: » Arbres dans la forêt. Droits et tendus vers le ciel. Silencieux, ils s’écoutent. Ils écoutent la voix des autres.Cette écoute engendre un silence terrible. Pour que l’on puisse entendre le rouge-gorge. » ( page 108, à la date du 7 avril 1981)
…C’est qu’ils portent en eux, les arbres fraternels, Tous les débris épars de l’humanité morte Qui flotte dans leur sève et, de la terre, apporte A leurs vivants rameaux ses aspects éternels.
Et, tandis qu’affranchis par les métamorphoses, Les corps brisent enfin leur moule passager, L’Esprit demeure et semble à jamais se figer Dans l’immobilité symbolique des choses.