Les mots ne sont jamais que des mots…

 

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Un peu de poésie ce matin: celle de Jaccottet!

 

« Qu’ils disent légèreté ou qu’ils disent douleur, les mots ne sont jamais que des mots. Faciles. »… « Néanmoins, même si les mots n’empêchent pas la mort qui me désarçonne et qui m’interdirait dès maintenant de vivre si j’acceptais sa fascination, j’ai le sentiment confus qu’il faut dépasser cette oppo­sition entre mots et choses, surmonter cette mau­vaise conscience et ce dégoût. Faute de quoi, d’ail­leurs, je lâcherais la plume une bonne fois. Si, tant bien que mal, ici, elle poursuit son travail, c’est conduite, plus que par ma main, par cette intuition d’un sens, ce très faible reste d’espoir. Par exemple, je ne puis m’empêcher d’éprouver que certains mots, dans des circonstances données, semblent plus «vrais» que d’autres, que je ne peux absolument pas en user indifféremment; je m’entête à les cher­cher, bien que je sois incapable de m’expliquer comment il se fait qu’un tel choix soit possible, et paraisse légitime. »

 

Philippe Jaccottet : «  A travers un verger »

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mardi 17 juillet de l’an 2012

Cher parent !

Si j’en crois ta dernière lettre, les dieux de la météo boudent notre bon roi François et déversent des trombes d’eau sur ses cheveux teints à chacune de ses sorties ; il paraît même qu’un « homme volant » s’est écrasé à ses pieds lors de la dernière fête royale. S’il n’y prend garde, c’est le ciel qui un jour lui tombera sur la tête. Ce que craignaient le plus au monde nos ancêtres gaulois qui, demain, vont se retourner dans leurs tombes narbonnaises. Les romains vont entrer dans la ville, mon oncle ! Enfin, des quidams déguisés en légionnaires et conduit par un César qui, dans la vie civile, exerce, paraît-il, le téméraire métier de poissonnier. Ce sera un plongeon « dans l’histoire de nos racines », nous dit artistiquement la feuille qui présente cette célébration d’un temps où Narbonne fut grande. Et pourquoi pas un double salto ? Et moi qui naïvement pensais que ton ami Patrick de la Natte veillait désormais à ce qu’on ne blessât point notre langue dans les publications comtales! Des danseuses et des gladiateurs feront donc les pitres sur la place du Château, te disais-je, alors que d’envahissantes caravanes de bohémiens occupent illégalement depuis hier mails et prés de Gruissan. Le Prince, dit le petit, en avale de rage et de désespoir (oh !) son épée, et repart à l’assaut de Labatout et du Comté tout entier. A commencer par un envoi de factures de portes fracturées et de gazons endommagés par ces pacifiques pèlerins. Et voilà que la guerre des roses prend désormais des  airs de fandango où chacun tente de se refiler les sauvages campements de nos pittoresques « gens du voyage ». A ce propos, j’ai le souvenir d’un marquis rosien qui, s’en rire, lors d’une réunion alors présidée par le duc de Lemoyniais du temps de sa gloire, proposait généreusement d’accueillir ces familles nomades en des terres inondables administrées par le sieur Vladimir Oulianov Plavich. Par charité chrétienne, j’en tairai le nom, comme je m’interdis de citer tant d’autres énormités jaillies de ces bouches qui, tous les jours, font pourtant orgueilleusement profession de vertu, et de justice. J’en ai  encore de plus grossières, que j’ai soigneusement notées dans un carnet qu’à l’occasion je publierai.

A part cela, mon oncle, qui démontre, s’il le fallait, que les vraies vertus répugnent à l’ostentatoire, il fait chaud. Très chaud ! Les « touristes » se baladent en marcel et culottes courtes, le nez dans des cornets colorés de glaces italiennes. Le regard vide, ils portent leur ennui comme on subit les dimanches. Parfois, un éphémère et discret sourire éclaire le visage d’une élégante inconnue croisée au hasard d’une rue. On ne voyage jamais qu’avec soi même, mon oncle ! A bientôt de te lire.

 

Ton neveu !

Chronique du Comté de Narbonne.

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Lundi 1 juillet de l’an 2012,

Hé bien, mon oncle ! nous voilà donc, enfin, dans la gestion des affaires du Royaume. Notre bon roi François, qui nous avait promis de fesser l’opulente Mèrequel, s’en revient de Belgique avec quelques petites pincées d’écus pour relancer une hypothétique croissance et de grosses mesures d’austérité pour diminuer nos  déficits publics.

Jack Lang? Une image d’Epinal!

Images d'Epinal

En ces lendemains de fêtes de la musique, comment ne pas se réjouir, tout de même, de la chute, à Epinal, de celui qui, autrefois, inventât ce viol festif et moralisé. En hommage à ces valeureux combattants vosgiens de la dignité offensée, ce texte de Philippe Murray:

 

 

 […]Notre monde est le premier à avoir inventé des instruments de persécution ou de destruction sonores assez puissants pour qu’il ne soit même plus nécessaire d’aller physiquement fracasser les vitres ou les portes des maisons dans lesquelles se terrent ceux qui cherchent à s’exclure de lui, et sont donc ses ennemis. A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n’avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d’avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu’on appelle Fête de la Musique, mais entend s’illustrer encore par de nouveaux forfaits, à commencer par la greffe dans Paris de la Love Parade de Berlin. Je suis véritablement chagriné de n’avoir pas alors fait la moindre allusion à ce dindon suréminent de la farce festive, cette ganache dissertante pour Corso fleuri, ce Jocrisse du potlatch, cette combinaison parfaite et tartuffière de l’escroquerie du Bien et des méfaits de la Fête. L’oubli est réparé.[…] 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mercredi 13 juin de l’an 2012,

 

Fin du second acte, mon oncle ; et, comme prévu, la prime batavienne donne au parti de la rose la quasi certitude d’une majorité absolue, ou presque, à la Cour. Les français ont donc fait preuve d’un « esprit » rationnel en donnant à nos nouveaux gouvernants tous les moyens politiques qu’ils  souhaitaient dans l’espoir qu’ils les sortiront de la crise économique et financière, sans diminuer l’ensemble des dépenses publiques et sans augmentation de la fiscalité : le rêve ! Ainsi, à partir de dimanche prochain, plus aucune dérobade ne sera permise à François de Gouda  quand viendront inévitablement à  l’ordre du jour de son Conseil des décisions douloureuses  à des clientèles électorales qui n’en voulaient pas du temps du précédent Roi ; ce qu’elles ne manqueront pas de  lui vertement , et rougement, rappeler. Combien de fois, mon oncle, faudra-t-il répéter que la vie humaine est un combat contre la malice de l’homme même ; en politique plus qu’en toute chose où s’y emploient les stratagèmes de l’intention, voire même la vérité, dans la seule visée de tromper. Mais laissons aux bedeaux  et aux gardes suisses de toutes les chapelles leurs illusions, même s’il me faut accepter que l’humanité est ainsi faite qu’il y ait pour elle des illusions nécessaires ; que trop de raffinement amène la dissolution et la faiblesse, et que trop bien savoir la réalité des choses lui devienne nuisible. Tenons donc, comme tu me l’as si souvent enseigné, mon oncle, les deux termes de cette contradiction, tout en conservant cette implacable et brûlante lucidité dont ton ami poète dit qu’elle est la blessure la plus rapprochée du soleil. A ce propos, notre présent monarque me semble n’en point trop posséder dans le choix de ses dames. Sa première portait culotte et ne manquait pas de toupet ; l’actuelle, d’une féroce jalousie, en porte aussi et vient de lui administrer une offensante et publique fessée. Tout le Royaume en rit ! le roi, lui, en pleure… de rage ! Mais n’en peut mais… Je le crois en effet, d’un tempérament soumis envers les dames : il les aime dominatrices. Un trait de caractère sans doute consécutif à une enfance, me dit-on, où, avec sa mère, il subissait les foudres d’un homme autoritaire et violent. Te souviens tu aussi de ce qu’il récemment affirmait : « Il y a des trucs que Sarkoty a tués, notamment l’affichage permanent du conjoint. Les Français ne supportent plus cette confusion du privé et du public. » Un certain docteur viennois  dirait, dans ce langage à la mode prisé par nos boboisantes élites : «  il y a là quelque chose comme un retour du refoulé. » Aie, aie ! Vite, vite un divan, mon oncle…

Dans le comté, c’est la marquise de Fade qui a gagné la guerre des roses ; elle sera opposée au marquis de Leucate, le seigneur Si, du parti bleu. Le prince de Gruissan, dit le petit, et Daredare du Rocher, son sémillant maître de chapelle, mais aussi les sieurs Fraise et Labombe, de la Brindille et du Félé, qui rêvaient de l’y voir en de pieuses mains dès dimanche prochain, ont les traits ravagés. Je te le disais dans ma dernière missive, mon oncle : « la marquise surfera sur la vague batave, l’officielle ; tandis que Bodorniou, anciennement «  rosien », n’aura que l’officieuse suivie de celle, qu’il espère, toute droite dirigée, si je puis dire, vers le sieur Labatout, pour le noyer » Hélas, hélas ! la droite vague ne fut que vaguelette et voilà nos Bodorniens dans le sable à ramer . Pari perdu aussi pour Dédé de Navarre et son « Dépendant », qui tractait contre Fade et ses troupes. Il avale son encrier et ne sait plus, de sa barbe, à quel saint la vouer. C’est de la Natte qui doit bien se marrer, mon oncle ; et un coup d’estoc ne saurait tarder. Le temps presse, il se fait tard. De ce champ de bataille comtal, je t’en dirai davantage tantôt. Mais que la navigation de la vie civile  et politique est dangereuse ! Elle est pleine d’écueils où la réputation se brise, mon oncle ! Le plus sûr serait de s’en détourner, en prenant d’Ulysse des leçons de finesse. C’est ici qu’une défaite artificieuse est de grand service ; qu’une belle retraite fait honneur. Cela, j’eusse aimé en parler à Bodorniou et aux siens. Je t’embrasse, mon oncle. Que ce jour où tu me liras te soit le plus agréable. Ton neveu, qui pense à toi!

             

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