Moment de vie : Les mantecaos d’Éric et de Lola !

       

Ve.9.12.2022

Moments de vie.

Les mantecaos d’Éric et de Lola.

9 heures ce matin. Le téléphone sonne. Sur l’écran de mon smarphone apparaissent les noms et prénom d’un adjoint au maire que je connais bien. Un nom qui sonne comme le mien. Ses parents sont « valenciens », mes grands-parents étaient de Cox et de Fuente Alamo. « Bonjour Michel ! j’ai quelque chose pour vous, pouvez-vous passer au salon tout à l’heure ? — Bonjour Éric ! Oui, mon boulanger est à côté de votre boutique. Vers les onze heures, ça vous convient ? — Parfait ! » À l’heure convenue, je pousse la porte de son salon. Éric coupe et rase. il lâche son client et ses ciseaux, puis me tend, un paquet « Voilà ! C’est pour vous. » Sans réfléchir, je m’exclame : « Des mantecaos ! — Oui, je me souviens d’un billet que vous aviez écrit sur ces gâteaux. Ceux-là ont été faits par ma mère. Et je sais ce qu’ils représentent pour vous. » Ce geste inattendu m’a touché, ému. Ces gâteaux sont en effet associés à l’image de ma tante Dolorès, Lola ! Son souvenir est toujours vivant en ces jours de décembre. Je la revois encore préparer « ses » mantecaos dans cette pièce étroite et sombre, au plancher branlant, qui servait de cuisine et de salle à tout faire : manger, laver les corps et le linge ; de chambre aussi à l’occasion quand s’installait chez elle un cousin venu du village de mon grand-père, Cox. Ses mains agiles étaient alors couvertes d’une fine poudre blanche qui dissimulait en partie des ongles et des doigts abîmés par de pénibles travaux domestiques dans de bourgeoises maisons où elle était employée. Ses mains, je les trouvais cependant belles ; et mon insistance à les observer, m’attirait souvent d’affectueux sourires de reproches. À la « bader » ainsi, me disait-elle, ses mantecaos allaient «virer». Et ses étoiles, ses lunes et ses soleils n’auraient pas le fondant et la friabilité qui les faisaient craquer sous la dent. Rien au monde ne pouvait m’éloigner d’elle en ces circonstances. Elle était si sûre de son art et si fière des plaisirs qu’elle allait nous donner les jours suivants ! Surtout quand les premiers mantecaos étaient servis à la fin du repas de midi du dimanche suivant. Lola alors attendait, droite, les bras croisés sur son tablier serré à la taille, les manifestations de joie de l’enfant que j’étais en ce temps-là. Jusqu’à ce qu’elle perde la mémoire et les mots, malgré l’éloignement, chaque année, à la même période, Lola ne manquait jamais de m’envoyer, où que je fus, un plein colis de ses merveilleux biscuits de Noël ; colis qu’elle enveloppait dans une vieille édition du journal local qu’enserrait une solide cordelette savamment nouée. Sur l’étiquette, mon nom et mon adresse étaient écrits, tout en rondeurs. Longtemps, très longtemps, j’ai toujours reçu les mantecaos de Lola. Toujours à la même date, à la même « heure ». Depuis que Lola n’est plus de ce monde, les rares fois où le désir me pousse devant un présentoir qui en expose quelques uns, je sais toutefois en pensant à elle, qu’ils ne pourront jamais égaler le goût des siens. Dans la rue Rabelais, au 32, qui n’est plus, il m’arrive parfois d’entrevoir, au travers de la fenêtre du troisième étage de cet immeuble qui fut condamné à la démolition et souvent squatté, et où demeurent encore d’aimables fantômes, celle qui avait, plus que toute autre, le culte de la famille et de la générosité. Une générosité au goût plein et riche de ses mantecaos. Éric, ce matin, m’a fait un très beau cadeau. S’il lit ce petit texte, il comprendra l’émotion qui fut la mienne quand je le reçu. Il est des gestes simples qui parfois soulèvent la corne jaunie par les ans.

       

Moments de vie : Un homme seul à sa fenêtre…

 
 
Lu.28.11.2022
 
Moments de vie.
 
C’est la pluie qui m’a réveillé. Je me suis levé. La pendule murale de la cuisine affichait cinq heures. J’ai mis en marche la cafetière et attendu que ma dose « passe », debout devant une fenêtre. Toujours la même. La pluie tombait d’une manière régulière. Ni trop forte, ni trop faible. Une perfection de pluie. Personne dans les rues. Il était encore trop tôt pour leur nettoyage. Des flaques de lumière jaunasses brillaient sur les trottoirs et des arbres encore verts, agités par « un petit vent du Nord », quelques feuilles tombaient, elles aussi. Une fenêtre s’est allumée dans l’immeuble voisin. Derrière je savais un homme seul. Il attend chaque matin son infirmière. J’imaginais ses gestes, ses déplacements. Peut-être était-il assis dans son fauteuil, plongé dans de vagues et brumeuses pensées. Le jour, nous échangeons quelques mots sans importance. Il est âgé et fatigué. Il marche d’un pas lourd et s’arrête souvent à la terrasse d’un café voisin. Je l’ai quitté pour aller dans le salon prendre un livre dans ma bibliothèque. C’est une habitude. Je lis deux ou trois pages, prises au hasard, tout en buvant ma première tasse de café. « La femme et l’enfant attendaient dans la gare en cul-de-sac de la petite ville. Après l’entrée du train en gare, le père, un vieil homme avec des lunettes, fit des signes derrière une fenêtre. Il y a bien des années, il avait été un écrivain qui avait eu du succès, maintenant il envoyait aux journaux des doubles de petites esquisses et de petites histoires. En descendant il n’arriva pas à ouvrir la porte du wagon et la femme l’ouvrit de l’extérieur et l’aida à descendre sur le quai. Ils se considérèrent l’un l’autre et finalement furent contents. » Je me suis arrêté un long moment sur ce passage où il est étonnamment question de fenêtre, d’un vieil homme avec des lunettes, d’écriture. J’y ajoute des images d’une arrivée en gare au petit matin ; il fait nuit ; il pleut. Une pluie régulière. Ni trop forte ni trop faible… Lisant et le relisant ce texte, j’ai vite retrouvé le climat sombre de ce roman et le style de son auteur * ; et aussi son art de donner aux petits faits et gestes de la vie quotidienne une dimension tragique, universelle. Le temps de prendre une deuxième tasse de café, j’ai fini par ranger mon livre – ranger est excessif ! Comme d’habitude. La pluie, elle, indifférente, toujours tombait devant ma fenêtre…
 
*Peter Handke : « la femme gauchère ». Folio : page 76
 Illustration : « La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
 
 
 
 
 
 

Moments de vie : « La magie de Noël » !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.26.11.2022
 
La magie de Noël.
 
Un immense Père Noël en matière plastique a été installé avant-hier sur la place, à quelques mètres seulement de ma porte d’entrée. Immensément gros et bedonnant, il a le même air ahuri, stupide et las que ceux, animés, postés dans les halls des grands magasins, un enfant sur leurs cuisses, attendant d’être pris en photo par des parents tout excités. Il arrive parfois que certains de ces petits garçons ou petites filles, effrayés ou lucides, pleurent. Alors, on n’a qu’une envie : les consoler.
Ce matin, un touriste espagnol a grimpé sur l’immense Père Noël trônant sur ma place. Il s’est assis sur ses cuisses et a fait grossièrement le pitre. Ses amis l’ont encouragé de la voix, pendant qu’ils le filmaient avec leurs portables. Tous riaient. Grassement. Alors, je n’ai eu qu’une envie : partir !
 
 
 
 
 
 

Un dimanche au cinéma ! Histoires de mères : « Saint Omer », d’Alice Diop .

 
 
 
 
 
 
 
 
Ma.15.11.2022
 
Dimanche au cinéma.
 
Dimanche après midi, dans la salle art et essai du Théâtre + Cinéma Scène nationale Grand Narbonne, j’ai assisté, en « avant-première », à la projection de « Saint Omer », le premier film de fiction d’Alice Diop. Un film présenté aussi en première mondiale à la Mostra de Venise en septembre et qui en est « sorti » couronné de trois prix, dont le prestigieux Lion d’Argent, Grand prix du jury présidé par l’actrice américaine Julianne Moore. La presse internationale, qui le couvre de louanges avant même sa présentation dans les salles françaises, le 23 novembre, est au diapason de cette reconnaissance.

Moment de vie : Au-dessus du temps le ciel sonnait creux

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Di.6.11.2022
 
J’ai taillé le murier,
balayé ses feuilles
sèches
et noires.
Au toucher
elles craquaient
comme la neige gelée
sous le cuir.
Plus tard,
désœuvré,
j’écoutais la mer et les Albères
au loin voilée.
Le goût du sel venait au visage,
dans les yeux,
les narines.
L’air était peuplé de chimères,
de faux souvenirs.
Au-dessus du temps,
le ciel
immaculé
sonnait creux.
 
 
 
 
 

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