La valeur d’une idée, d’un engagement, d’une vie.

     

Je.4.5.2023

Altruisme.

Elle s’appelait Jade. Jade Rabier. Elle était jeune et jolie. Elle avait décidé très tôt de donner une partie de sa vie pour sauver celle des autres ; en toutes circonstances, de leur porter secours. Quel qu’en soit le prix ! Son sourire, timide, tendre et volontaire, exprimait comme une évidence de belles qualités de cœur. Du courage et de l’endurance aussi. Elle avait 22 ans. Elle était sapeur-pompier volontaire à Narbonne et a perdu sa vie lors d’un accident en dehors de son service. On pense alors à ses parents, à leur immense tristesse. À ses amis, ainsi qu’à tous ces jeunes et moins jeunes « soldats du feu ». On pense aussi à la futilité, à la bêtise, et à la théâtralisation des « informations » qui circulent souvent sur les réseaux sociaux. On pense encore au spectacle donné par tous ces désespérés mondains, amoureux des grandes et vagues « idées » du moment qui ricanent sur les chaînes de télé et les radios. Et puis on pense surtout à toutes ces jeunes filles et ces jeunes garçons qui n’aspirent qu’à servir ; qu’à servir en prenant tous les risques dans l’anonymat du plus grand nombre et des médias. Je ne connaissais pas Jade, ni ses parents. C’est en consultant le fil d’actualités de Facebook courant sur mon écran que j’ai vu son visage et appris son décès. Il m’a bouleversé. Il m’a bouleversé, comme tout ce qui soudainement nous rappelle la valeur d’une idée, d’un engagement, d’une vie. Et qu’on oublie. Par habitude. Ou indifférence…

   

En mémoire de Bernard Lapasset.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Me.3.5.2023
 
Moments de vie.
 
« L’ancien président de la Fédération française de rugby (FFR) Bernard Lapasset est mort, mardi 2 mai, vers 22 heures, a annoncé la FFR mercredi matin. » Il était 8 h 30, quand j’ai lu sur l’écran de mon smartphone cette « alerte » du journal le Monde. Le temps s’est alors arrêté. Brutalement. Plongé dans ma mémoire, triste et silencieux, j’ai laissé venir à moi celui de ma jeunesse. Et que d’images ; que d’images encore fraîches et bienfaisantes ! C’était un temps où, jeunes provinciaux « déracinés », nous nous retrouvions, Bernard et moi, sur les mêmes terrains de rugby de la région parisienne. Nous jouions alors dans la même équipe « corpo » des « Douanes ». Il était troisième ligne centre, j’étais à son aile, droite ou gauche, selon. Cette magnifique équipe était pour nous, dans cet univers parisien sombre, froid et humide, une seconde patrie de cœur. On y trouvait un même esprit de camaraderie ; de mêmes accents ensoleillés ; une chaleur qui terriblement nous manquaient dans nos vies banlieusardes étriquées, abstraites. Ces moments étaient des moments heureux, n’est-ce pas Alfred, André, Jean-Claude, Jean-Paul… Bernard ? Il faut que je vous le dise, mes amis : ces moments m’ont toujours accompagné ; ils étaient, sur d’autres routes professionnelles plus solitaires et risquées, mon viatique de fraternelles réjouissances de corps et d’esprit. J’ai retrouvé Bernard beaucoup plus tard. Les années avaient passé. Nombreuses ! Il venait d’être élu Président de la FFR avec la volonté de professionnaliser le rugby. Je suis alors « monté » à Paris et avons déjeuné ensemble. J’avais beaucoup changé, lui aussi. Il s’est un peu moqué de mon allure soignée de « techno ». Mais son sourire bienveillant et sa voix étaient les mêmes. Depuis, de loin, je prenais de ses nouvelles. Je le savais malade, souffrant, l’esprit égaré. Il avait 75 ans. En cet instant, celui où j’écris ces lignes, je nous revois encore dans les vestiaires de je ne sais plus quel stade. Vincennes, peut-être ! Nos adversaires étaient ceux du Crédit Lyonnais. Plus costauds et mieux vêtus, nous leur avions pourtant donné une sérieuse raclée. Haroun Tazieff était en deuxième ligne dans cette équipe de banquiers. T’en souviens-tu Bernard ?
 
 
 
 
 

Conversation avec Laly autour de Pâques et de Pâquettep

                 

Di.9.4.1947

Moments de vie.

Je n’ai pas reçu le baptême. La mémoire familiale concernant ma naissance, du moins celle qui me fut transmise oralement à un âge adulte, fait seulement état d’un ondoiement pratiqué dans la petite chapelle de l’Hôtel Dieu de Narbonne. Comme cela se faisait, paraît-il, systématiquement, dans cet établissement hospitalier où les infirmières portaient encore – en 1947 – des cornettes blanches. J’imagine mal en effet mes parents, et mon père surtout, athée et de tradition communiste, solliciter ce rite pour ma naissance, le 9 avril de cette année-là. Ma mère non plus, d’ailleurs, qui néanmoins se disait vaguement croyante, mais sans église, et qui, pendant longtemps, paradoxalement, m’a reproché, en silence, de n’avoir pas fait baptiser mon fils. On l’aura compris, c’est d’abord dans l’ignorance totale de l’apport « civilisationnel » du christianisme, enfant, et son déni ensuite, adolescent et jeune adulte, que s’est déroulée une grande partie de ma vie. De ma vie disons imaginaire et intellectuelle. Et ce jusqu’à ce que je finisse par comprendre que je ne pouvais pas regarder le monde autour de moi, le monde dans toutes ses dimensions politiques et esthétiques notamment, autrement qu’avec des « lunettes » chrétiennes. Les livres, la musique, les arts en général, l’architecture de nos villes, l’ordonnancement de nos paysages, certaines traditions que j’aimais en témoignaient. Dès lors, la voie s’ouvrait, sans fin, qui m’amène encore aujourd’hui, à toujours vouloir approfondir des connaissances patiemment acquises au fil des ans. Ce désir longtemps refoulé, je le confessais, hier soir à Laly assise à mes côtés, lors du dîner familial, en présence de nos petits et arrières petits enfants. Laly qui, à 17 ans, s’est lancée dans la lecture de la Bible et m’a confié vouloir aller à la cathédrale Saint Just-Saint Pasteur demain matin pour assister à la messe de Pâques. Elle me disait aimer son décorum, les chants, la musique. À ses questions, je répondais en insistant un peu pour lui donner quelques bribes de culture sur cette semaine sainte : son déroulement, son histoire, ses acteurs ; la signification de certaines « images ». Que ce samedi était un jour de grand silence, de recueillement, et pourquoi ; que l’on n’était pas obligé d’avoir la foi ou de faire semblant pour goûter les rites et les symboles chrétiens, notamment ; et que les comprendre donnait de la profondeur et augmentait les plaisirs et les émotions ressentis sous un chef-d’œuvre de l’art gothique comme celui de la cathédrale Saint-Just dans laquelle elle assisterait demain dimanche à la messe. Je n’ai pas revu Laly depuis. Mais je sais qu’avec ses parents, sa sœur et des amis, ils « feront pâquette » lundi autour de « ma cabane » en bord de mer. Avec les miens, c’était dans le massif de la Clape que nous nous installions sous les pins pour y manger la traditionnelle omelette pascale. Une tradition durablement inscrite dans nos mœurs et nos usages. Un jour prochain, je dirai à Laly que c’est à cela, à ces traces aussi, que l’on reconnait ce qui fait et fait vivre une civilisation.

Illustration : Le Greco, Marie-Madeleine pénitente.

       

Un dimanche des Rameaux à Narbonne et… Cox !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Di.2.3.2023
 
Dimanche des Rameaux.
 
Moments de vie.
 
10 heures 30. Les cloches de Saint-Just appellent les fidèles à se rassembler sur l’esplanade située à l’arrière de la cathédrale. C’est l’heure du rituel de la bénédiction des rameaux d’olivier et de laurier. Elles sonnent haut et fort. Et le vent porte loin dans les airs des vibrations d’allégresse. Le curé et ses servants sont en place. Autour d’eux, une petite foule se presse. Elle attend, impatiente, que la cérémonie commence. Leurs feuilles de laurier ou d’olivier bénies, de nombreux participants fuiront la messe et quitteront vite les lieux. Les rameaux orneront leurs maisons et les protégeront des malheurs du monde ! Ceux-là m’ont toujours fait penser à des adeptes clandestins d’une sorte de rite magique. Plus tard, en remontant le Cours Mirabeau, j’ai croisé une famille d’Espagnol. L’homme, jeune, tenait à la main une longue branche de palmier séchée, tandis que sa femme et ses enfants arboraient des assemblages de palmes tressées. Comme à Elche, pendant la procession des palmes blanches, ou à Cox. Cox, le village de mon grand-père, où j’ai pu discuter, en 2013, je crois, de cet art du tressage des feuilles de palmier avec deux dames le pratiquant, ce jour-là et selon la coutume, devant l’église. Un art délicat qui se pratique et se transmet encore dans quelques rares familles. Depuis cette étonnante rencontre, je ne cesse de m’interroger. Pour quelles raisons ce jeune couple et leurs enfants se promenaient-ils ainsi dans les rues de Narbonne avec, dans leurs mains, les emblèmes d’une tradition qui, le même jour, réunissait une multitude de personnes dans les rues d’Elche, d’Orihuela ou de Cox ? Depuis, j’ai le regret de ne pas leur avoir adressé la parole. Ils ne pouvaient venir en effet que de terres paternelles. Nous aurions pu alors communier, peut-être, sur de mêmes histoires familiales. Que d’occasions de partage d’idées ou de sentiments sottement perdues dans une vie d’homme, songeai-je.
 
Illustration : photos prises lors de mon dernier séjour à Cox.
 
 
 
 
 

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