Contre-Regards

par Michel SANTO

Eloge de la médiocrité.

 

Je feuillette un de mes nombreux carnets (remplis ou pas, de différents formats de poche…) dans lesquels j’ai pris l’habitude de consigner les livres à acheter ou à consulter, les idées récoltées aux terrasses de café ou à l’écoute, volontaire ou pas, d’une radio, les tics et phobies de mes « amis » internautes, les miens aussi, quand ils me sont gentiment rapportés. Il porte en couverture et en titre : « Tour de France 2008, du 5 au 27 Juillet » et en accroche :  » Le Tour toujours « . Attribuant ainsi, de façon tout à fait inattendue et salutaire, un statut un brin dérisoire à des notes pourtant emplies de sérieux. Les premières de la première page (pas de date !), je les ai pêchées chez Renan (Pensées de 1848 : l’avenir de la Science), qui affirmait  » Ma religion, c’est le progrès de la raison, c’est-à-dire celui de la science « . Pour, vingt ans plus tard, nous dire :  » Notre siècle ne va ni vers le Bien, ni vers le Mal ; il va vers le Médiocre.  » Avouons que des générations d’êtres humains du vingtième siècle, broyées par l’histoire au nom d’idéaux se réclamant du Bien, se seraient satisfaites de cette « médiocrité » envisagée par Renan ; une « médiocrité » dont je me demande, aujourd’hui, si, finalement, elle n’est pas le meilleur des remparts contre toutes les tentations totalitaires et totalisantes (1).

(1)  L’extrême esprit est accusé de folie, comme l’extrême défaut ; rien que la médiocrité n’est bon. [Pascal, Pensées]

A chacun sa Chimère.

 

Il est des auteurs qui finissent toujours par ressembler à quelqu’une de leurs créations. Ainsi de ce Dominique, qui, tous les jours, se place aux extrémités de tous les toits médiatiques pour y clamer la haine de ce Nicolas. Comme une gargouille dont il fit du cri le titre d’un de ses essais. Une gargouille qui prend la pose et surjoue. Comme cette Chimère de Notre-Dame qui, penchée vers le sol, semblent se repaître du spectacle des turpitudes de l’humanité.

Priez et se taire?

 

Afficher l'image en taille réelle

 

 

 

 

Mardi 2 novembre, vers 18h30, alors que Bruno Garrouste célébrait la messe pour les défunts dans l’église du quartier sensible du Viguier à Carcassonne, deux jeunes adolescents d’origine maghrébine sont entrés dans l’église et ont lancé des pierres sur les fidèles qui participaient à l’office. Une profanation qui a laissé de marbre les autorités publiques locales. Mais qui les auraient certainement jetées dans la rue en même temps que l’information propagée sur l’ensemble des chaînes de télé et de radios nationales si elle avait eu lieue dans une mosquée. Ainsi va le filtre médiatique qui, de deux faits sociaux parfaitement identiques, fait de l’un un banal incident de quartier et de l’autre un odieux sacrilège raciste. Du premier, un vague et inutile bruit de fond et, du second, une forte et très rentable information. Une forme de discrimination positive bien à la mode dans les milieux « progressistes » qui assimilent encore l’Eglise et les chrétiens à la classe dominante. Une discrimination validée par des médias pour qui  le jeune musulman de banlieue opprimé est en effet plus vendeur sur le marché de l’indignation morale que le chrétien «  caillassé » du même quartier. Ne resterait-il , pour ce dernier, sur le parvis du droit à la dignité, que celui de prier? Et de se taire ?…

Cimetière.com!

 

 

 

 

C’était dans le cimetière de Bages. Un joli petit cimetière aux tombes bien entretenues. Un jour de cette semaine, par un bel après midi ensoleillé. Un cimetière couvert de fleurs et plein de vie. Celle de familles se croisant et se parlant comme si elles ne le pouvaient plus ailleurs. Des éclats de rires aussi, venants de derrière un cyprès. Ou d’une chapelle, porte ouverte. C’est au coin d’une allée que je l’ai rencontré. Fatigué, courbé par les ans. Un panier à la main rempli de tout son matériel de jardinier. Terreau, sarcloir, bouteille d’eau et un peu d’engrais. Perdu et épuisé. Je lui ai proposé mon aide et nous avons bavardé jusque devant la tombe, qu’il n’aurait jamais trouvée me dit-il. Sur la stèle, des noms italiens. Les seuls en ce lieu. Des vies qu’il m’a racontées le sourire aux lèvres. Le bonheur de les dire pour l’amour qu’il leur porte.

 

Plus tard, repensant à cette étrange communion des vivants et des morts dans une ambiance sereine et joyeuse qui m’a rappelé celle du cimetière de Séville où les andalous se promènent en famille le dimanche, m’est revenu à l’esprit cette annonce d’un cimetière virtuel. Un cimetière sans terre et sans ciel. Sans âme. Avec sa boutique et ses tarifs. Un cimetière où se croisent des signes et des images. Plates. Sans profondeur. Où la mort semble communier avec la mort. Un monde lisse et glacé comme la préfiguration de celui à venir. Un monde sans amour et sans les mots pour le dire. Sans les mots et l’amour de ce Monsieur Gentili qui, les disant par ce bel après midi de cette semaine, m’a fait l’offrande d’un instant de bonheur.

Les vieux préjugés sont moins funestes que les nouveaux!

 

Ce soir, je le disais à une amie, je n’avais pas le coeur ( ni l’esprit ) à l’écriture. Aussi me suis je plongé, un peu au hasard, comme d’habitude, dans la lecture du  » Jardin d’Epicure « . Le livre refermé, je note ces deux extraits.

 

 

 

Extraits du  » Jardin d’Epicure  » d’Anatole France

 

 

 

« Je suis persuadé que l’humanité a de tout temps la même somme de folie et de bêtise à dépenser. C’est un capital qui doit fructifier d’une manière ou d’une autre. La question est de savoir si, après tout, les insanités consacrées par le temps ne constituent pas le placement le plus sage qu’un homme puisse faire de sa bêtise. Loin de me réjouir quand je vois s’en aller quelque vieille erreur, je songe à l’erreur nouvelle qui viendra la remplacer, et je me demande avec inquiétude si elle ne sera pas plus incommode ou plus dangereuse que l’autre. A tout bien considérer, les vieux préjugés sont moins funestes que les nouveaux: le temps, en les usant, les a polis et rendus presque innocents. »

                                      .°.

« Quand on dit que la vie est bonne et quand on dit qu’elle est mauvaise, on dit une chose qui n’a point de sens. Il faut dire qu’elle est bonne et mauvaise à la fois, car c’est du mauvais. La vérité est que la vie est délicieuse, horrible, charmante, affreuse, douce, amère, et qu’elle est tout. Il en est d’elle comme de l’arlequin du bon Florian: l’un la voit rouge, l’autre la voit bleue, et tous les deux la voient comme elle est, puisqu’elle est rouge et bleue et de toutes les couleurs. Voilà de quoi nous mettre tous d’accord et réconcilier les philosophes qui se déchirent entre eux. Mais nous sommes ainsi faits que nous voulons forcer les autres à sentir et à penser comme nous et que nous ne permettons pas à notre voisin d’être gai quand nous sommes tristes. »