10 heures 30. Les cloches de Saint-Just appellent les fidèles à se rassembler sur l’esplanade située à l’arrière de la cathédrale. C’est l’heure du rituel de la bénédiction des rameaux d’olivier et de laurier. Elles sonnent haut et fort. Et le vent porte loin dans les airs des vibrations d’allégresse. Le curé et ses servants sont en place. Autour d’eux, une petite foule se presse. Elle attend, impatiente, que la cérémonie commence. Leurs feuilles de laurier ou d’olivier bénies, de nombreux participants fuiront la messe et quitteront vite les lieux. Les rameaux orneront leurs maisons et les protégeront des malheurs du monde ! Ceux-là m’ont toujours fait penser à des adeptes clandestins d’une sorte de rite magique.
Plus tard, en remontant le Cours Mirabeau, j’ai croisé une famille d’Espagnol. L’homme, jeune, tenait à la main une longue branche de palmier séchée, tandis que sa femme et ses enfants arboraient des assemblages de palmes tressées. Comme à Elche, pendant la procession des palmes blanches, ou à Cox. Cox, le village de mon grand-père, où j’ai pu discuter, en 2013, je crois, de cet art du tressage des feuilles de palmier avec deux dames le pratiquant, ce jour-là et selon la coutume, devant l’église. Un art délicat qui se pratique et se transmet encore dans quelques rares familles. Depuis cette étonnante rencontre, je ne cesse de m’interroger. Pour quelles raisons ce jeune couple et leurs enfants se promenaient-ils ainsi dans les rues de Narbonne avec, dans leurs mains, les emblèmes d’une tradition qui, le même jour, réunissait une multitude de personnes dans les rues d’Elche, d’Orihuela ou de Cox ? Depuis, j’ai le regret de ne pas leur avoir adressé la parole. Ils ne pouvaient venir en effet que de terres paternelles. Nous aurions pu alors communier, peut-être, sur de mêmes histoires familiales. Que d’occasions de partage d’idées ou de sentiments sottement perdues dans une vie d’homme, songeai-je.
Illustration : photos prises lors de mon dernier séjour à Cox.
De mémoire de paroissien, jamais la basilique Saint Paul Serge, n’avait accueilli autant de monde. On se serrait sur les bancs, dans les travées, les chapelles et les coins les plus obscurs et reculés de l’église. Faute de places, de nombreuses personnes attendaient dehors la fin de la cérémonie. Une bénédiction conduite de très belle manière. Sobre et bien rythmée par les officiants, le rituel touchait le cœur comme l’esprit. Le mien en tout cas : je suis sensible à la beauté de certaines liturgies ! Adossé à l’un des piliers, près de l’entrée, j’écoutais l’hommage émouvant rendu à Solange. Le célébrant était doté d’une voix de chantre, chaude et profonde qui sonnait juste dans un silence parfait. Jusqu’à ce qu’une voix étouffée, très proche, hélas ! se fasse entendre. J’ai mis un certain temps avant d’en trouver la source. Les sons qui en sortaient, pareils à des lamentations murmurées, étaient ceux d’un vieil homme, petit, chétif, le nez collé à la jointure du grand portail et d’un mur latéral. La tête penchée sur son gros portable vert, le corps ramassé, crispé, il avait l’attitude d’un pêcheur à confesse. Rien au monde ne pouvait le distraire : il marmottait insolemment dans sa bulle numérique. Lorsqu’un employé municipal chargé du protocole s’est approché pour lui demander de se taire, j’ai pu apercevoir, devant moi, par-dessus les têtes qui m’entouraient, son visage. Ses yeux écarquillés et sa bouche ouverte exprimaient son incompréhension et glorieuse bêtise. La circonstance m’offrait ainsi,en ce moment de célébration et de receuillement, la figure contemporaine, brutale, de l’abruti connecté. Je ne suis pas prêt de l’oublier !
Ils sont trois ou quatre sur l’axe reliant la place de l’hôtel de ville et le quartier de Bourg. D’autres seront un peu plus loin sur la promenade des Barques, postés à hauteur de la passerelle enjambant le canal de la Robine. Et d’autres encore ailleurs en des lieux parmi les plus fréquentés de la ville. Et ce tous les matins. Outre cette parfaite connaissance de ma petite cité et de ses mœurs, j’ai pu constater chez eux la grande diversité de leur composition et la constance de leur « engagement » Toutes les catégories d’âge et de sexe y sont en effet représentées. Avec le plus souvent une parfaite égalité homme-femme. Ils semblent heureux d’être ensemble et bavardent gaiement autour de leur présentoir mobile.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]